Je regarde les hommes et les femmes qui fouillent l'ancien site - un endroit qui était jadis notre village.
Aucun des bâtiments de notre époque n'existe plus. La demeure que nous partagions avec notre reine ne vit plus que dans mes souvenirs. Cependant, je préfère les constructions modernes.
Cette maison en bois où nous logeons maintenant nous protège des vents glacials sans grincer.
Mais la plupart des autres choses de l'époque actuelle me contrarient. J'ai vécu bien plus longtemps que je ne l'aurais souhaité. Nous ne vieillissons pas, ne tombons pas malades et ne mourons pas. C'est triste de savoir que nous serons prisonniers de cette vie pour l'éternité.
Nous n'avons toujours pas retrouvé le collier spécial ni notre reine, et chaque jour qui passe sans les trouver me rend plus morose.
« C'est absurde. Comment se fait-il que nous n'ayons pas encore mis la main sur ce collier ? »
Je m'éloigne de la fenêtre et fais les cent pas dans la pièce, lançant des regards noirs à Leif et Torsten - les autres rois condamnés à partager cette triste existence avec moi.
« Du calme, Erik, dit Leif en se levant pour me tapoter le dos. De toute façon, le collier ne sert à rien sans elle. »
Elle. Notre reine.
Je me suis senti vide quand nous l'avons perdue. Je ne me suis pas senti entier depuis des siècles. Nous cherchons notre reine chaque jour depuis qu'elle nous a été arrachée.
Chaque femme blonde avec des taches derrière les oreilles a partagé notre couche - aucune n'était elle ; aucune n'a pu nous supporter non plus.
« Vraiment ? Je l'ignorais, je réponds d'un ton las. Je n'ai pas envie d'entendre tes sornettes aujourd'hui, Leif. »
Je retourne à la fenêtre pour observer dehors. Les nuages arrivent du nord, masquant peu à peu le soleil et toute chaleur qu'il aurait pu apporter.
Le feu derrière moi est notre unique source de chaleur, réchauffant mon dos. Je trouve qu'il y a des similitudes entre notre époque et celle-ci - un feu pour nous réchauffer, par exemple.
Mais y songer ravive des souvenirs trop douloureux à évoquer.
Chaque jour devient plus froid sans notre reine, et chaque jour sans elle nous rapproche de Niflheim - le monde souterrain, ou ce que les chrétiens nomment l'Enfer.
Mais nous ne pouvons pas mourir, et je pense souvent que nous y sommes déjà.
« Il essaie juste d'aider », dit Torsten d'une voix grave depuis son coin. Il ne parle pas beaucoup, mais c'est le seul qui arrive à m'apaiser.
Je frotte mon visage las et ma barbe, me retourne et le toise avec colère. « Je sais. C'est juste que... » Je soupire et secoue la tête. « Ça fait plus de mille ans et nous cherchons toujours. »
J'ai juré à Odin il y a des années que si je trouvais un jour le sorcier qui nous a maudits à cette triste existence, je le ferais souffrir comme nous avons souffert avant de l'achever de mes propres mains.
Après toutes ces années, je ne l'ai pas trouvé, tout comme je n'ai pas retrouvé notre reine ou le collier.
Ça ne devrait pas être si compliqué. Nous avons fouillé presque chaque recoin de ce pays et rien ! Je commence à croire que nous ne le trouverons peut-être jamais.
« Nous le trouverons, Erik. Nous devons le trouver », dit Leif en allant ajouter du bois au feu.
Regardant Torsten, je secoue la tête. Nous perdons tous espoir. Il n'en reste plus guère en aucun de nous. Nous cherchons depuis des siècles.
Je commence à penser que le sorcier qui nous a maudits savait que nous ne trouverions jamais ce que nous cherchons. C'est comme s'il avait pris à la fois notre reine et le collier et les avait cachés ensemble dans un endroit que nous ne découvririons jamais.
Le seul lieu auquel je peux songer est le monde des esprits - là où nos âmes ne peuvent pas aller.
« Et si nous ne trouvons pas ? je demande, sentant les veines de mon cou pulser. Alors quoi ? Nous vivons le reste de nos jours dans cet endroit horrible ? Nous ne pouvons même pas y mettre un terme... »
Je me retourne vers la fenêtre et regarde dehors, me remémorant l'année où j'ai tenté de mettre fin à mes jours. 1735 n'était pas une bonne année.
Nous voyagions en bateau d'une île à l'autre, creusant et cherchant la moindre trace de notre bien-aimée. J'ai eu un moment de faiblesse et me suis tranché la gorge.
Mon corps est tombé le long du rivage, teintant la mer à mes pieds de mon sang vermeil. Pourtant, je respirais toujours, et mon cœur battait encore dans ma poitrine. La mort ne voulait pas venir.
La profonde entaille dans ma gorge avait cicatrisé au matin, ne laissant qu'une fine marque que je porte encore aujourd'hui. Je ne peux pas me regarder dans le miroir sans me souvenir de ce qui n'est pas arrivé ce jour-là.
Quand le monde prendra fin, je pense que nous serons toujours là. Que pourrait-il bien advenir de nous trois alors que nous ne pouvons pas mourir ?
« Erik, regarde, dit Leif le souffle court, pointant du doigt par la fenêtre. Serait-ce... serait-ce possible ? »
Je regarde dans la direction qu'il indique, et j'aperçois la femme qu'il montre.
Tous les poils de ma nuque se hérissent ; un frisson me parcourt l'échine et je retiens mon souffle.
Torsten vient à mes côtés, repoussant ses longs cheveux de son visage alors qu'il regarde aussi dehors.
Aucun de nous ne dit mot tandis que nous observons la femme aux cheveux blancs comme neige traverser le site de fouilles avec l'un de nos anciens ouvriers.
Nous avons déjà eu de faux espoirs, alors je ne veux pas m'emballer, mais nous devons nous en assurer.
« Leif, va dehors et salue la femme aux cheveux blancs », je lui dis, sans jamais quitter des yeux la belle inconnue.
Parmi nous trois, Leif est celui qui peut mettre n'importe qui en confiance.
Je suis un peu rustre, exigeant ce que je veux sans vergogne.
Et Torsten ? C'est difficile d'obtenir plus de quelques mots de lui à la fois.
« Que dois-je lui dire ? » demande Leif avec un large sourire.
Il est excité. Nous le sommes tous. Chaque fois que nous voyons une femme aux cheveux blancs, nous ne pouvons nous empêcher de ressentir une lueur d'espoir qu'elle puisse être celle que nous cherchons.
« Ce que tu veux, sauf qu'elle pourrait être notre reine perdue depuis longtemps. Ne l'effraie pas, mais ne la laisse pas filer non plus. »
Je frotte à nouveau ma courte barbe, fixant la femme alors qu'elle passe devant notre cabane.
Elle lève les yeux, et je retiens mon souffle. Je peux voir d'ici que ses yeux sont verts comme la sauge, faisant battre mon cœur aussi vite que les tambours de nos guerriers.
Cette fois, ça doit être elle. Elle doit être celle que nous cherchons.
