Attends-moi

« Cinq ! Quatre ! Trois ! Deux ! Un ! Bonne année ! »

De ma fenêtre, je contemple le feu d'artifice qui illumine le jardin. C'est un véritable spectacle de couleurs. Ma famille d'accueil ne rate jamais une occasion de faire la fête. Tout le monde en ville vient chez les Simpson, ils ont le chic pour se faire apprécier.

Moi, c'est une autre histoire.

Au début, tout allait bien. Ils ont su charmer les services sociaux. Leur grande maison blanche ferait pâlir d'envie les quartiers chics. C'est un peu incongru dans notre petite ville, mais ça plaît aux gens. Cette maison, c'est comme le cœur battant de la ville.

Les Simpson m'ont offert une jolie chambre et m'ont inscrite dans une école privée hors de prix. Ce n'est pas si mal, ma sœur d'accueil Lisa y est aussi. Elle, je l'apprécie. Elle ne m'a jamais donné de raison de la détester.

Les autres, c'est une autre paire de manches. Du jour au lendemain, ils se sont mis à me regarder de travers. Comme si une fois les félicitations passées, ils regrettaient de m'avoir accueillie. Fini la gentillesse.

Heureusement, il y a Lisa. Elle me glisse des sucreries en douce quand sa mère me met au régime sec. Elle remet son frère à sa place quand il me fait du gringue. Elle essaie de me protéger quand son père s'en prend à moi.

Ça fait quatre ans que je vis chez les Simpson. J'avais treize ans quand mes parents et ma petite sœur ont été tués chez nous. J'étais chez une copine ce soir-là.

Chaque jour, je regrette de ne pas avoir été dans mon lit, au-dessus de celui de ma sœur. Chaque jour, je voudrais être partie avec eux.

On n'a jamais retrouvé les tueurs. La police pense que c'était un règlement de comptes entre gangs. Un coup du sort. Ils ont choisi notre maison et ont bousillé ma vie.

Je sais que je devrais être en bas, à fêter la nouvelle année, mais je n'y arrive pas. Chaque jour sans ma famille est un calvaire, mais les fêtes, c'est pire que tout. Je suis coincée à faire semblant avec cette famille « parfaite » qui me traite comme un chien tout en se donnant bonne conscience.

En regardant la fête dehors, je pleure. J'en ai marre de cette vie. Je voudrais retrouver ma vie d'avant, ou plus de vie du tout.

J'arrête de ruminer quand ma porte s'ouvre. C'est Jason, mon ignoble frère d'accueil. Il ne frappe jamais. D'habitude, il se contente de me peloter et de me sortir des saloperies, mais j'ai peur que ça aille plus loin bientôt.

« Tu rates une sacrée teuf, frangine », dit-il en essayant de faire le mignon.

« Ouais, ça a l'air cool. Je suis juste crevée ce soir, mais bonne année ! » Je lui fais un faux sourire et lui fais signe de partir, mais il reste planté là, à me reluquer.

« Retourne à la fête, Jason. Je veux dormir », je dis, un peu agacée.

Il s'approche. Il est si près que je sens l'alcool dans son haleine. « Je crois que la vraie fête, elle est ici. » Il me sourit, matant mon corps. Je ne porte qu'un grand t-shirt et une culotte.

Je recule, j'ai du mal à respirer avec lui dans la pièce. Son parfum trop fort et son sourire flippant me donnent la nausée. Je m'assieds sur le lit et me glisse sous les couvertures, me sentant trop exposée. « Qu'est-ce que tu veux, Jason ? »

« Tu sais ce que je veux, Kyra. » Il s'assied sur mon lit et serre ma jambe à travers la couverture.

« Ça n'arrivera jamais. Dégage. » Je repousse sa main, ce qui le met en rogne. Il remet sa main et serre plus fort, laissant une marque sombre sur ma peau pâle. Puis, il retire ma couverture et me touche par-dessus ma culotte.

« Tu seras à moi ; ne le donne à personne d'autre. Je le prendrai quand tu auras dix-huit ans. » Il me serre encore une fois, puis quitte ma chambre en claquant la porte.

J'ai tout essayé pour éviter Jason. Je lui ai dit de partir. J'ai même essayé d'être gentille, mais il ne lâche pas l'affaire. Il ne me fiche pas la paix. Depuis mon arrivée, il a clairement fait comprendre qu'il me veut. Il me traite comme si j'étais sa propriété, mais ça n'arrivera jamais.

Je me casse dans trois mois, quand j'aurai dix-huit ans. J'ai mis de côté chaque centime de mon boulot de serveuse, et j'ai assez pour me tirer loin de cette famille.

Lisa sait ce que je ressens et dit qu'elle m'aidera. Mais que peut-elle faire ? Je ne veux pas qu'elle ait des ennuis. Ses parents vont sûrement me faire passer pour la méchante.

Je les entends déjà : « On a tout fait pour elle, on l'a aimée comme notre propre fille, et c'est comme ça qu'elle nous remercie. »

Peu importe.

La chambre devient étouffante, alors je décide de sortir. Les Simpson habitent près d'un bar qui ne demande pas de carte d'identité. Ils ont pitié de moi et me laissent boire seule dans un coin. Parfois, j'ai même des verres gratuits.

J'enfile un jean noir et un haut rouge moulant qui met ma poitrine en valeur. J'attache mes cheveux bruns ordinaires en un chignon décoiffé et je file. Je saute de la fenêtre du deuxième étage et descends par un arbre.

Je ne me suis tordu la cheville qu'une fois en faisant ça, mais ça valait le coup. La nuit est le seul moment où je peux échapper aux Simpson. Ils ne me laissent pratiquement jamais sortir sauf pour le boulot ou l'école.

Mais ils ne se soucient pas assez de moi pour vérifier la nuit — ce qui m'arrange bien. J'adore la liberté que j'ai après 1h du matin.

J'entre dans le bar sombre et je suis surprise de voir du monde. Ce ne sont pas que de vieux poivrots ; il y a tout un gang de motards.

Comment ai-je pu rater toutes ces motos dehors ? Me sentant flippée quand les gens me remarquent, je décide de filer. Je recule et me cogne contre quelque chose de dur. D'où ça sort, ça ?

Je me retourne, et ce n'est pas un mur que je regarde ; c'est l'homme le plus sexy mais le plus flippant que j'aie jamais vu. Je suis scotchée par sa beauté. Ça peut paraître bizarre d'appeler un mec aussi rugueux et intimidant beau, mais il l'est. Il est carrément canon. Son cou et ses mains sont couverts de tatouages, certains anciens, d'autres récents. Il porte un blouson en cuir et un jean, mais je devine qu'il a d'autres tatouages que je ne peux pas voir.

Et puis il y a ses yeux. Ils sont d'un bleu vif et intense, si puissant qu'on dirait qu'ils peuvent voir à travers moi.

« Tu pars déjà, mon ange ? » me demande-t-il avec un sourire qui me coupe le souffle — et apparemment me rend idiote car je ne me souviens plus comment parler. Je suis perdue dans les yeux de ce mec. C'est comme si je pouvais voir tout le ciel. Ou peut-être que c'est l'océan profond que je regarde...

Attends, est-ce que je bave ?

« D-désolée », je réussis à dire. Le mec me regarde bizarrement, comme s'il était perplexe, peut-être même un peu énervé.

« Tu ne peux pas être assez âgée pour être ici », dit-il en me reluquant. Quand Jason fait ça, j'ai envie de vomir, mais quand cet inconnu le fait, je me sens toute chose.

Qu'est-ce qui cloche chez moi ? Ce mec est trop vieux pour moi, et ai-je mentionné qu'il est vraiment flippant ? Je ne sais pas pourquoi il est si intimidant... Peut-être que ce sont les tatouages ou ses gros muscles, mais il a aussi un visage qui semble gentil, presque jeune.

En le regardant, je vois qu'il a l'air fatigué, ce qui le fait paraître un peu plus âgé. Et il a une barbe parfaite, et une mâchoire parfaite. Une mâchoire que je veux lécher.

Bon sang, Kyra, arrête ça.

Je chasse ces pensées alors que je me sens soudain courageuse.

« Je viens ici tout le temps. » Je lève les yeux au ciel, me retourne et marche vers le bar, ignorant tous ceux qui me regardent.

Je fais trois pas, mon cœur battant plus fort à chacun d'eux. Mais avant d'atteindre le bar, je le sens derrière moi à nouveau, sa présence me faisant frissonner. Il m'a suivie.

« Tu joues à un jeu dangereux », dit-il, sa voix basse et rauque, plus forte que les autres voix.

Je me force à me retourner, levant les yeux vers lui, mais son regard sombre et puissant me cloue sur place. Il se penche, sa bouche près de mon oreille pour que je puisse sentir son souffle. « Tu es trop jeune pour cet endroit, mon ange. Fais demi-tour et pars avant qu'il ne soit trop tard. »

Mon visage s'enflamme de colère, et j'essaie d'ignorer la sensation d'excitation. « Je ne suis pas une gamine », je lance. « Et je n'ai pas peur de toi. »

Son sourire s'élargit, mais il n'est pas joyeux. Il est plus sombre. « Pas encore effrayée », dit-il doucement, sa voix comme un avertissement, « mais tu devrais l'être. Parce qu'une fois que tu entres dans ce monde, tu ne peux plus en sortir. »