Voler sa compagne

Le bruit des feuilles et des branches qui craquaient résonnait dans la forêt tandis que j'avançais sur l'ancien sentier menant à la maison de la meute.

Mes grosses bottes n'étaient pas discrètes, mais je ne cherchais pas à l'être aujourd'hui.

Ce n'était pas mon territoire, mais j'y étais invité.

Si l'alpha de la meute Moonstone avait posté des gardes, ils se tenaient à l'écart.

Je ne les voyais pas dans la clarté de la lune, mais je savais qu'ils se cachaient dans l'ombre.

Je humais l'air de la forêt. Je pouvais les sentir, ou du moins sentir leur peur.

Ils avaient raison d'avoir peur. Ce n'était pas pour rien que j'étais l'alpha le plus puissant de l'Ouest.

Je n'étais pas là pour me battre. Pas encore. Mais ma réputation me précédait. Ça ne me dérangeait pas. La peur était une arme puissante, et je connaissais les histoires qu'on racontait sur moi et ma meute.

La plupart étaient vraies.

J'étais impitoyable envers mes ennemis, et je dirigeais ma meute d'une main de fer. Ma parole faisait loi, et toute désobéissance était sévèrement punie.

Je n'autorisais personne sur mes terres sans permission, et j'accordais rarement cette faveur. Quiconque s'aventurait sur mon territoire, même par accident, n'était plus jamais revu ; du moins pas en dehors de mes terres.

En approchant de la maison de la meute, je la regardai avec dédain, tout comme mon frère.

Kyrian me jeta un coup d'œil en haussant les sourcils. L'endroit semblait vraiment délabré.

Pour une maison de meute, c'était petit.

Rien à voir avec notre propre demeure.

Je savais que cette meute était faible et peu nombreuse, mais je m'attendais à mieux que ça. Je me demandais ce que l'alpha pensait pouvoir nous offrir. Pas que cette meute m'intéresse vraiment.

L'alpha devait voir les choses différemment, sinon nous ne serions pas là.

« Rappelle-moi pourquoi on est ici », demanda Kyrian.

Je regardai mon frère.

Il était un peu plus petit que moi, et moins musclé. Mais notre lien fraternel était évident. Nous avions tous deux les cheveux châtain clair et les yeux d'un bleu vif. Nous portions les cheveux longs.

Les miens étaient rasés sur les côtés, lui les portait toujours en tresse.

J'étais heureux de l'avoir comme bras droit, même s'il était né pour être alpha.

« On est là pour conclure un marché avec ce semblant d'alpha », souris-je.

Kyrian leva les yeux au ciel.

« Ce que tu veux dire, Bastian, c'est que tu vas lui dicter tes conditions, et s'il refuse, tu menaceras d'exterminer sa meute. »

Je le laissais m'appeler par mon prénom.

Kyrian était le seul à pouvoir m'appeler ainsi ; pour tous les autres, j'étais Alpha.

Je ne lui en voulais jamais de ne pas utiliser mon titre complet quand nous étions seuls. Kyrian ne le ferait jamais en public.

Mais je pensais qu'un petit rappel était de mise.

« N'oublie pas de m'appeler Alpha une fois à l'intérieur », dis-je.

Kyrian sourit et inclina la tête.

« Oui, Alpha. »

Je levai les yeux au ciel en souriant.

« Allez, petit frère, finissons-en. »

En nous dirigeant vers la porte de la maison, je vis Kyrian scruter les alentours. Probablement à l'affût du moindre danger. Il n'y avait pas de gardes ici non plus.

« Tu crois qu'ils savent qu'on est là ? » demanda-t-il.

Je ris de son air renfrogné.

« Sers-toi de ton nez, petit frère. Tu ne peux pas les voir, mais tu peux sentir leur peur. »

Kyrian huma l'air, puis sourit.

Je suivis son regard. Il fixait une des fenêtres du deuxième étage. Mais en y regardant de plus près, je compris que ce n'était pas le bâtiment qui avait attiré son attention.

C'était la jeune femme, ou plutôt la jeune fille, qui nous observait.

« Qu'en penses-tu ? Tu crois qu'elle a peur de toi ? »

Je levai les yeux vers elle et souris.

Elle s'éclipsa rapidement, hors de vue.

« Si ce n'était pas le cas avant, ça l'est sûrement maintenant. » Je ris.

Je jetai un nouveau coup d'œil, espérant revoir la petite blonde à la fenêtre. Elle était très jolie, de ce que j'avais pu en juger.

Pas de chance aujourd'hui. Elle ne réapparut pas, alors je reportai mon attention sur les portes de la maison.

Arrivé devant, je serrai le poing et frappai violemment. Je jetai un rapide coup d'œil derrière moi.

J'avais amené deux autres combattants. Ils se tenaient en retrait, comme il se devait.

Je leur parlai brièvement par la pensée. « Restez dehors, sauf si je vous appelle. »

Les deux hommes inclinèrent la tête en signe d'assentiment.

Je me retournai vers la porte, prêt à frapper à nouveau, mais ce ne fut pas nécessaire car elle s'ouvrit lentement.

Un homme plus âgé se tenait là. Visiblement nerveux, il inclina la tête.

« Alpha Sebastian, Beta Kyrian. Bienvenue dans la meute Moonstone. Je suis le Beta William. L'Alpha James vous attend, si vous voulez bien me suivre », dit-il d'une voix légèrement tremblante.

J'étais surpris, c'est certain.

Un signe de tête respectueux était normal de la part d'un beta, mais pas une révérence complète comme celle-ci. De plus, je pouvais sentir la peur émaner de son corps. Mon frère n'agirait jamais ainsi.

Cette meute était peut-être encore plus faible que je ne le pensais. Cela faciliterait ma tâche.

Le beta nous conduisit dans ce qui ressemblait à une salle de réunion. Mais ça aurait tout aussi bien pu être une salle à manger.

La longue table en bois pouvait accueillir probablement douze personnes de chaque côté. Pour l'instant, l'alpha était assis en bout de table, essayant de se donner l'air de l'alpha le plus puissant de la pièce. Sans succès.

J'observai l'Alpha James. Mes impressions se confirmaient. C'était un alpha très faible. Ses cheveux bruns en désordre tombaient sur son visage, ses yeux marron peinaient à soutenir mon regard.

Sa barbe mal entretenue, parsemée de gris, trahissait son âge.

J'étais certain que mon frère pourrait le battre en combat singulier. Je commençais à me demander s'il était vraiment un alpha.

Mais nous n'étions pas là pour nous battre. Pas encore.

J'étais là pour voir ce que cet Alpha avait à offrir, ou plus exactement, ce qu'il voulait.

L'Alpha James se leva à notre approche. Il tendit la main, s'attendant à ce que je la serre.

S'il pensait que ça allait se passer comme ça, il allait être très déçu.

Au lieu de cela, je m'assis sur l'une des chaises, le laissant planté là, la main tendue. Il la retira rapidement.

Son beta se plaça près de la chaise où il était assis, légèrement sur sa gauche, comme une statue.

Mon frère s'assit à côté de moi.

Je m'adossai à ma chaise et croisai les jambes.

Je le fixai, attendant qu'il prenne la parole.

Mon comportement était extrêmement irrespectueux. N'importe quel alpha digne de ce nom m'aurait remis à ma place. Pas lui.

Je l'observais attentivement, mais ce n'était pas nécessaire.

Il empestait la peur.

Il s'éclaircit la gorge et désigna un plateau sur la table.

« Un verre ? » proposa-t-il.

J'acquiesçai. C'était du whisky, que j'appréciais. Mais j'étais sûr qu'il serait de piètre qualité. Surtout si sa maison de meute était dans cet état.

Il se tourna vers Kyrian, qui secoua la tête.

Mon frère aimait boire, mais dans ce genre de situation, il préférait rester alerte.

L'Alpha James nous servit deux grands verres et poussa l'un d'eux vers moi. Je le humais et pris une gorgée. Comme je m'y attendais, c'était médiocre. Je n'aurais pas été surpris qu'il soit coupé à l'eau.

Je grimaçai et reposai brusquement le verre sur la table.

« Pourquoi exactement m'avez-vous invité ici aujourd'hui, Alpha James ? » demandai-je.

Il déglutit nerveusement.

« Eh bien... Euh... J'espérais que nous pourrions devenir amis », bégaya-t-il.

Je fis un bruit pensif et hochai la tête.

« Et qu'avez-vous exactement à m'offrir, hmm ? »

Il se raidit légèrement.

« Comme vous le savez peut-être, la route principale traverse mes terres, et je prélève une taxe sur toutes les marchandises qui y transitent. Je suis prêt à vous exempter de cette taxe, si vous signez un accord de non-agression », dit-il.

Je regardai mon frère en levant les yeux au ciel.

Puis je fusillai l'Alpha James du regard.

« Vous pensez vraiment que la misérable taxe que vous prélevez suffit pour que j'accepte de ne pas attaquer votre meute ? » grondai-je. « Faites-moi au moins une offre intéressante. »

Son visage blêmit.

« C-comme quoi ? » bégaya-t-il.

Je me léchai les lèvres et me penchai en avant.

« Comme votre fille. »

L'Alpha James regarda son beta, puis se retourna vers moi.

« Que voulez-vous faire de ma fille ? » demanda-t-il nerveusement.

Je haussai les épaules.

« J'ai besoin d'une compagne. Une alpha femelle. Une louve capable de porter mes louveteaux, un héritier. »

Il hocha la tête et regarda son beta.

« Envoie un des omégas chercher Emmeline. »

Le beta acquiesça et sortit par une porte au fond de la pièce.

« Que se passera-t-il si vous trouvez votre vraie compagne ? » demanda l'Alpha James.

Je le toisai avec mépris.

« Ne jouez pas les idiots, Alpha. Tout le monde sait que ma vraie compagne est morte. »

Il hocha la tête. Il connaissait les rumeurs. Tout le monde les connaissait, mais maintenant il l'entendait directement de ma bouche.

« Pouvez-vous promettre que ma fille ne connaîtra pas le même sort ? »

Je haussai les épaules.

« Ça dépendra de votre fille », rétorquai-je.

Je regardai de l'autre côté du hall quand la porte s'ouvrit. Je fronçai les sourcils en voyant le beta amener une jeune louve.

Ce n'était pas celle que j'attendais.

Je m'attendais à voir la petite blonde. Celle-ci avait les cheveux foncés et les mêmes yeux bruns que son père. Elle était clairement plus âgée que la fille que nous avions vue à la fenêtre.

Si c'était aussi sa fille, alors elle ressemblait à sa mère.

L'Alpha James se leva et tendit la main vers la jeune femme.

« Voici ma fille, Emmeline. Emmeline, je te présente l'Alpha Sebastian, il cherche une compagne. »

Elle sourit et s'avança vers moi, tendant la main.

Elle sentait d'autres mâles. Si son père essayait de la faire passer pour vierge, il allait le regretter. De toute façon, elle ne m'intéressait pas.

« Ravie de vous rencontrer, Alpha... » commença-t-elle.

Je l'ignorai complètement et me tournai vers l'Alpha James.

« Pas celle-là... Elle a une tête à faire tourner le lait. La jolie, la blonde. »

L'Alpha James déglutit nerveusement, et le visage de sa fille se crispa de colère.

Elle ouvrit la bouche pour protester, mais heureusement pour elle, son père leva la main pour la faire taire.

Elle referma la bouche.

Au moins ses filles semblaient obéissantes. Enfin, celle-ci en tout cas. Je n'imaginais pas que la plus jeune puisse être différente.

« Sky—Skylar... elle est à peine en âge. Elle n'est pas prête à être la compagne de qui que ce soit », balbutia-t-il.

Je croisai les bras sur ma poitrine.

« Vous avez le choix : soit vous me l'amenez ici maintenant, soit je pars, je reviens demain et j'extermine toute votre meute. Ensuite je la prendrai quand même ! »