Je me tiens devant la fenêtre, les mains dans les poches, les épaules lourdes. Les étudiants s'affairent sur la place en contrebas, attendant le début de leur prochain cours.
Certains jouent au ballon, d'autres sont assis en regardant leur téléphone, d'autres encore discutent. Je soupire pour la millionième fois et m'assieds sur mon fauteuil de bureau.
Les lentilles que nous devons porter me démangent les yeux. Les yeux orange et jaunes feraient peur aux étudiants et enfreindraient le code vestimentaire de l’université. Nous devons porter des lentilles teintées en marron sur le campus.
« Ne perds pas la foi, mon frère. »
La voix grave d'Ezekiel résonne dans le bureau et me rassure.
« Cela fait huit ans que nous avons repris la meute », lui dis-je d’un air las. « Je pensais vraiment qu'elle serait parmi ces gens. »
« Je sais, moi aussi. J'avais un bon pressentiment », répond-il, tout aussi dépité. Il se passe la main sur le visage. « J'étais persuadé que mon rêve était un signe de la Déesse de la Lune. »
J'étais tellement content quand il m'a dit ça. Je pensais que c'était un signe, d'autant plus qu'il l'avait fait la veille de notre retour à l'université pour le début de l'année universitaire.
Mais hélas, cela fait deux semaines et il n'y a aucun signe d'elle.
La sonnerie stridente traverse l'épaisse porte de notre bureau et je grimace. Après avoir obtenu nos diplômes de premier cycle dans cette université, nous avons eu notre master.
Ensuite, nous avons obtenu notre doctorat pour devenir professeurs. Grâce à nos connaissances en la matière et à notre statut d'Alpha, nous avons pu tirer quelques ficelles et sauter quelques années.
Nous avons obtenu notre doctorat à l'âge de vingt-quatre ans, ce qui est presque du jamais vu.
C'est notre deuxième année d'enseignement à l'université. Nous aimons être des Alphas et nous aimons notre meute, mais ce n'est pas un travail à plein temps. Trois jours par semaine, nous enseignons à l'université.
Nous n'enseignons qu'à des étudiants de troisième cycle ou en master, pas à des étudiants de premier cycle, et c'est ce que nous préférons tous les deux. Cela signifie qu'il y a moins d'absences pour cause d'alcool et ce genre de choses.
De plus, les étudiants de troisième cycle ont tendance à se consacrer plus sérieusement à leurs études.
Je prends ma mallette et me lève. « Bon, on se voit au déjeuner ? »
« Oui. On va se faire plaisir chez le vendeur de hamburgers, ça nous remontera un peu le moral », propose Ez.
« C'est une bonne idée. À plus tard, frérot. »
« À plus tard. »
Je me dirige vers le couloir, en essayant d'ignorer les regards des élèves qui passent devant moi. C'est pire quand je sors du bâtiment et que j'entre dans d'autres sections. Au moins, dans cette section, les étudiantes ont l'habitude de me voir. Dans d'autres sections, où je ne suis pas connu, les étudiantes s'arrêtent pour me fixer sans gêne. Les humaines. Leur attirance est tellement évidente.
Ezekiel et moi avons des règles strictes : nous n'aurons jamais de relation avec une élève. Même si ce n'est pas contraire au règlement, nous pensons que ce n'est pas approprié.
Sauf, bien sûr, si l'élève en question est notre compagne.
Le cœur lourd, j'entre dans ma salle de classe et je commence à m'installer. Quelques étudiants sont déjà installés dans les sièges de type strapontins en gradins, les plus impatients.
J'ouvre les serrures de mon porte-documents et j'en sors quelques notes. Je connecte l'ordinateur et lance le PowerPoint pour le cours d'aujourd'hui. Une fois que tout est en ordre, je m'assieds et j'attends.
La deuxième sonnerie retentit et la salle commence à se remplir d'étudiants. La classe se remplit rapidement. Les cours du lundi sont les plus fréquentés, j'ai environ cinquante-cinq étudiants dans ce cours.
Je tambourine méthodiquement avec mes doigts sur le bureau, attendant les trois dernières minutes avant que onze heures sonne.
« Professeur Blake ? »
Je lève les yeux et vois Oya, l'une de mes étudiantes, devant mon bureau.
Lors de notre premier cours, chacun des étudiants devait nous parler de lui ou elle. Sa famille est originaire de Turquie et Oya signifie « dentelle » en turc.
« Oui, Oya ? »
« Avez-vous été informé que mon amie Rosemary est censée rejoindre la classe aujourd'hui ? » me demande-t-elle poliment. « C'est son premier jour. »
Je jette un coup d'œil à la feuille d'inscription posée sur mon bureau et cherche son nom. « Il n'y a pas de Rosemary sur cette liste », répliqué-je.
Je me souviens alors que le doyen a parlé d'une nouvelle élève la semaine dernière. Ce doit être elle. « Quel est son nom complet ? » lui demandé-je.
« Rosemary Moore. »
La plus douce des voix parvient à mes oreilles. Comme un murmure velouté. On dirait de la musique.
Je lève la tête et croise le regard de mademoiselle Moore, qui vient de s'approcher du bureau et de me donner son nom complet.
Elle n'est pas très grande, peut-être 1m60 ou 1m65. Elle a des traits asiatiques. Ses yeux en amande sont marron foncé, presque noirs, avec des paupières tombantes qui semblent faites pour la séduction.
Son visage est en forme de cœur, avec un petit menton et des lèvres pulpeuses. Ses cheveux sont d'un brun chocolat intense et descendent jusqu'à ses coudes en faisant un peu trop d'ondulations pour être considérés comme des cheveux lisses.
Lentement, je reprends le contrôle de mon corps. Je me penche en avant et souris à la beauté qui se tient devant mon bureau.
« C'est un plaisir de vous rencontrer, mademoiselle Moore », dis-je doucement.
Une légère couleur rose s'étend sur ses pommettes, ce qui ne fait qu'ajouter à sa beauté.
« Rosemary », corrige-t-elle doucement.
« Viens, Rose », dit Oya. « Allons nous asseoir. »
Je regarde les deux amies se diriger vers les escaliers. Rosemary me regarde par-dessus son épaule et rougit à nouveau.
C'est une métamorphe, et je sens son doux parfum de chèvrefeuille. Elle sait que je suis son compagnon, je peux voir la lueur enthousiaste qui brille dans ses yeux.
J'inscris son nom sur le registre et je le remets à l'un des élèves du premier rang pour qu'il le signe et le fasse circuler. De retour à mon bureau, je sors mon téléphone derrière mon ordinateur portable et j'envoie un message à mon jumeau.
Je souris et me relève, mettant mes mains dans mes poches en me tournant vers mes étudiants.
Faire un cours avec sa compagne dans le public n'est pas aussi amusant que je le pensais. C'est incroyablement difficile de se concentrer. Elle est assise au centre de la rangée du milieu, à côté d'Oya.
J'essaie de ne pas la sexualiser, vraiment, mais c'est vraiment difficile quand elle mordille et suce le bout du capuchon de son stylo à chaque fois qu'elle est concentrée.
Elle est absorbée par le cours et regarde mes diapositives avec un intérêt sincère.
Elle fait rouler le capuchon de ce foutu stylo d'avant en arrière sur sa lèvre inférieure et je me retiens de la jeter par-dessus mon épaule pour me tirer d'ici.
Vers la fin du cours, alors que je passe en revue mes dernières diapositives, j'aperçois Ezekiel dans le couloir. Il regarde à travers les panneaux de verre de la porte et scrute les sièges à la recherche de notre compagne.
La sonnerie retentit, signalant la fin du cours, et la déception m'envahit. Les étudiants commencent à quitter l'amphithéâtre, mais Oya et Rosemary restent sur place.
Je suppose qu'elle a dit à son amie que je suis son compagnon. Oya est aussi une métamorphe. Sa famille nous avait contactés, Ezekiel et moi, pour nous demander de garder un œil sur leur fille pendant qu'elle est à l'université.
Oya est une bonne élève, alors ils voulaient juste qu’on la protège et qu’on veille à sa sécurité, ce n’était pas pour arranger ses notes. Oya s’en sort très bien toute seule.
Elle ne sait pas encore qui est Ezekiel. J'ai hâte qu'elle découvre qu'elle nous a tous les deux.
Tous les élèves quittent le hall, il ne reste plus qu’Oya et Rosemary. Elles rassemblent leurs affaires et se dirigent vers la rangée où se trouvent les escaliers.
Je fais un signe de tête à Ezekiel qui entre à grands pas dans la salle. Il vient se placer à côté de moi et ses yeux croisent ceux de Rosemary. La joie qui se lit sur le visage d'Ez me remplit de bonheur.
Nous avons attendu ce moment si longtemps. Cela fait huit ans que nous nous préparons pour elle et maintenant, elle est enfin là.
Tout ce que nous avons planifié peut enfin être mis en œuvre. Nous pouvons l'aimer, la chérir, lui donner du plaisir...
L'expression choquée sur le visage de Rosemary m'arrache à ma rêverie. Ses lèvres restent ouvertes et ses yeux sont écarquillés. Elle s'est figée à quelques mètres de nous, Oya se tenant maladroitement à ses côtés.
« Rose ? » murmure-t-elle. « Tu vas bien ? »
« Je ne peux pas avoir deux compagnons », murmure Rosemary. Sa voix est à peine plus qu'un murmure, mais Ez et moi l'entendons.
La colère et la confusion m’envahissent.
« Non », dit-elle, la voix brisée. « Ce n'est pas bien ! »
Elle quitte la salle en courant, emportant mon cœur avec elle. J'inspire brusquement et grimace sous l'effet de la douleur. J'ai l'impression que quelqu'un vient d'ouvrir ma poitrine et de me broyer le cœur.
J'avance en titubant, prêt à la poursuivre, mais Ez pose une main sur ma poitrine et secoue la tête.
« Je vais lui parler, ne vous inquiétez pas », dit Oya avant de sortir de la pièce.
« Elle a besoin d'un peu de temps pour accepter tout ça », me dit Ezekiel. « C'était évidemment un choc. La plupart des métamorphes ne s'attendraient jamais à avoir deux compagnons. »
Il grimace et se passe la main dans les cheveux.
« J'espère qu'Oya va lui parler », dit-il avec un soupir.
« Pour l'instant, nous devrions être reconnaissants de l'avoir rencontrée. Viens, nous allons manger quelque chose et tu pourras me dire tout ce que tu as appris sur elle. »
Ezekiel et moi achetons nos hamburgers à la camionnette située sur la place principale du campus. Nous trouvons un banc et nous nous asseyons pour manger.
« Il n'y a pas grand-chose à dire », commencé-je.
« Tout ce que je sais, c'est son nom et qu'aujourd'hui est son premier jour, c'est pourquoi nous ne l'avions pas encore vue. Oya et elle sont proches, je crois. Peut-être qu'elle pourra nous en dire plus sur notre compagne. »
« Je l'espère. Elle est belle, n'est-ce pas ? » dit Ezekiel, son expression est douce en pensant à notre compagne.
« Oui, elle l'est. Je me demande quelles sont ses origines. Je pense qu'elle a l'air asiatique. »
« C'est le cas. Déesse, tout en elle est parfait. J'espère qu'Oya va se dépêcher de lui parler. Je veux me présenter correctement. »
Je grimace à son commentaire. « Je n'ai même pas eu l'occasion de me présenter non plus. Elle ne me connaît que sous le nom de professeur Blake. »
« Ne t’inquiète pas, elle finira par l’accepter. »
« Je sais, j'espère juste que ce sera rapide. »
