Je suis sortie tôt le lendemain matin, sentant la brise fraîche sur mes pieds tandis que je fais des pas lents dans l'herbe humide de rosée.
La forêt est éclairée par le soleil du matin et le brouillard qui se lève lentement. C'est le moment idéal pour partir en exploration.
« Luvenia... ! »
Je grimace quand Ethne m'appelle derrière moi.
« Attends-nous ! Tu nous montres le chemin, n'est-ce pas ? »
Je m'arrête, la colère me donnant maintenant un frisson dans le dos alors que je me tourne vers Ethne et la dizaine de jeunes filles dragons derrière elle.
« Je suis pratiquement en train de ramper. On y arriverait toutes plus vite si vous... je ne sais pas... vous transformiez ? » C'est probablement le plus grand nombre de mots que je lui adresserai aujourd'hui.
Ethne me lance un regard noir puis un autre dégoûté à ses consœurs.
« C’est un jour comme les autres, Luv », m'explique Ginette, la petite rousse fougueuse du groupe. « Nous devons être jolies, Thad et Sylvan vont nous regarder. N'importe laquelle d'entre nous pourrait être leur compagne. »
« Ouais, Luvenia. Ils doivent nous voir sous notre meilleur jour. Allongées, mangeant des baies, nues, et belles. »
Ethne se passe une main dans les cheveux, les yeux fermés sur un fantasme qu'elle est sans doute en train de jouer dans son esprit en ce moment même.
Je lève les yeux au ciel, me retourne et marche encore plus lentement pour qu'elles puissent suivre le rythme.
Elles portent toutes des tenues d'esclaves qui ne cachent pas grand-chose, style « je suis une salope », fragiles et faciles à déchirer. Quelle blague.
Ces filles aiment voler et se battre entre elles, mais à chaque fois que Thaddeus ou Sylvan leur rendent visite, elles deviennent des petites merdes soumises.
Elles veulent supplier, se rabaisser, soupirer et écarter les jambes.
Je sais que la moitié d'entre elles ont déjà été baisées par les princes.
Ethne n'en fait pas partie. Alors elle est la plus désespérée.
Ginette, c'est celle que j'apprécie le plus. Elle est plus garçonne que les autres. Mais quand elle veut s'intégrer, elle fait semblant d’être pareille que les autres filles.
Je garde simplement mes distances avec elles.
Ce ne sont pas des mauvaises filles, elles sont juste... vraiment, vraiment irritantes.
Garder mes distances est sage de ma part. Dès que je me retrouve près d'elles, tous les regards masculins se portent sur moi. Ma mère dit que je suis née avec une aura qui attire les hommes vers moi.
Les autres femelles dragons n'apprécient pas de perdre l'attention si je me tiens près d'elles.
Raison de plus pour rester discrète.
Il nous faut environ deux heures de marche péniblement lente pour atteindre notre destination. Je leur montre les buissons de baies fraîches près de la rivière et tous les rochers et pierres plates, lissés par l'eau.
C'était un endroit parfait pour que les filles puissent s'allonger et exhiber leurs atouts.
Une fois arrivée, je disparais rapidement dans la forêt.
La seule raison pour laquelle je reste avec ce groupe, c’est pour faire plaisir à mes parents pour qu'ils ne s'inquiètent pas pour moi.
S'ils pensent que j'ai de la compagnie, je peux explorer la forêt toute seule sans que personne ne me cherche.
Même les filles ne savent pas que je peux me transformer, mais aujourd'hui, j'ai décidé de garder ma forme humaine.
C'est trop risqué de me transformer avec Thaddeus et Sylvan probablement encore à la recherche d'un petit dragon noir. Je ne veux pas qu'ils assemblent les indices et découvrent mon secret.
La nuit dernière, c’est passé près. Trop près à mon goût.
Cela fait quelques minutes que j’explore la forêt voisine, et un petit oiseau bleu se pose sur mon épaule en arrivant par derrière. Il m’a fait peur, mais je ris en réalisant que c'est juste Shai.
« Comment vas-tu aujourd'hui, petite Shai ? » demandé-je à l'oiseau bleu, sachant que ce n'est pas n'importe quel oiseau.
Je sais qu'elle ne peut que répondre aux questions, pas en poser. Elle ne peut pas non plus parler sans qu'on lui parle. C'est parce qu'elle était une humaine qui a été maudite en étant transformée en oiseau.
Je n'ai aucune idée de qui lui a fait ça, et elle refuse de me le dire.
« As-tu fait ton vol du matin ? » lui demandé-je, et elle gazouille avant de sauter sur ma tête pour s'y poser.
« Tu ne me pardonneras jamais d’avoir rougi quand tu m'as surprise en train d'essayer de me soulager dans la forêt, n'est-ce pas ? » dis-je sur un ton accusateur, et elle gazouille à nouveau.
« Veux-tu aller explorer avec moi ? » lui demandé-je.
Finalement, après un certain temps, je ne peux m'empêcher de grimper sur un arbre plus proche des buissons de baies et de la rivière pour voir comment vont les filles.
Je saute de branche en branche et m'installe tout au bout, les deux pieds en équilibre précaire sur les branches les plus fines de la cime. Je m'accroupis et me maintiens dans une position peu confortable mais en équilibre.
Shai descend et se pose sur mon omoplate droite.
Cependant, j'oublie de lui demander quand mes yeux s'arrêtent sur les deux garçons en pantalon de cuir qui sortent de la forêt avec une fille à chaque bras.
Ils étaient donc déjà là, depuis un certain temps, semble-t-il.
Je ne suis pas trop surprise.
Je le savais. Au fond de moi, j'ai toujours eu de l’intuition avec ces deux-là. Je pouvais le sentir. Et maintenant, je peux le voir.
« Connards », dis-je entre mes dents, sans trop savoir pourquoi à chaque fois que je les vois flirter avec d'autres filles, j’ai le ventre noué.
J'ai envie de vomir presque à chaque fois.
« Je ne t'ai pas posé de question », dis-je sèchement alors qu'une plume tombe d'une de ses ailes. Elle grimace de douleur. « Fais attention. Tu vas bien ? »
Chaque fois qu'elle parle sans qu'on lui pose une question, elle est blessée d'une manière mystérieuse. C'est pourquoi elle parle si peu.
J'attrape la plume bleue qui est tombée d’elle et je lève la main pour la mettre dans mes cheveux.
« Je peux ? » lui demandé-je poliment.
Mes yeux se focalisent sur Ginette. Elle essaie de se lever et de marcher gracieusement vers eux, mais elle trébuche sur un rocher plat en saillie, qui n'est finalement pas si plat que ça.
Elle tombe à genoux, et Ethne se met à rire aux éclats pour essayer d'attirer l'attention des princes.
Ma colère monte et même Shai se redresse en sifflotant une exclamation choquée.
« Salope », murmuré-je, regardant Thad et Sylvan interrompre leur conversation avec d'autres filles pour se retourner et voir Ginette essayer de se relever en titubant.
Thad fait un pas en avant pour l'aider mais c'est trop tard. Elle est déjà debout, et elle envoie un coup de poing dans la bouche d'Ethne qui est en train de rire.
Ethne l'esquive au dernier moment et finit par trébucher elle aussi sur le même rocher.
Maintenant, les deux princes se moquent d'elles au lieu de les aider.
Shai s'envole brusquement de mon épaule et descend en piqué vers l'endroit où se trouvent les princes. Je retiens mon souffle alors qu'elle plonge rapidement vers le bas, et je n'ai aucune idée de ses intentions...
J'éclate de rire quand je vois une goutte blanche de matière visqueuse tomber sur la parfaite chevelure de Sylvan alors qu'elle repart en volant.
Les princes suivent l'oiseau du regard et des flammes jaillissent vers Shai, atteignant presque le bout de sa queue. Je suis surprise de voir qu'ils ont failli la brûler, et je la regarde se dissimuler dans les arbres.
Une minute plus tard, elle arrive en volant par l'arrière pour revenir secrètement jusqu'à mon épaule, fière d'elle.
« Tu as chié sur ses cheveux ? Oiseau taré », chuchoté-je, très fière d'elle en même temps.
« Je les déteste, tu sais ? Tous... Oh, génial. » Je plisse les yeux en regardant ce dont je pense être témoin.
Thaddeus regarde en l'air, très haut, comme s'il fixait une volée d'oiseaux.
Sauf que son regard est concentré sur un seul oiseau.
Un oiseau bleu posé sur mon épaule.
Putain de merde, je n'avais pas prévu d'être à nouveau harcelée par les princes de la forêt. Pourtant ils m'ont trouvée. Je me suis trop approchée.
À ce stade, je suis déjà en train de me précipiter le long de l'arbre aussi vite que possible.
« Désolée, Shai, je m'en vais. » J’atteins le sol et commence à courir vers la maison.
Elle descend en piqué avec moi, puis s'assied sur une branche et me dit au revoir.
Alors que je me faufile entre les arbres, en essayant de rester silencieuse, j'écoute attentivement les signes de la présence des princes.
Je cherche le silence, mais je me le dis seulement à moi-même. Je ne lui réponds pas directement. Je cours juste vers chez moi.
Finalement, je suis essoufflée et je trouve un rondin sur lequel me reposer alors que mon estomac me donne l'impression d'être retourné.
Je ressens de l'anxiété, de la peur, de la colère. Je me sens... énervée.
Chaque fois que les princes sont là, que je les vois ou sens leur présence... ça arrive.
Je suis secouée jusqu'au plus profond de moi-même. Je me sens confuse et émotive.
Plus que je ne l'avais jamais été de ma vie.
Je bloque Thaddeus et Sylvan. Le seul danger d’empêcher qu'ils me contactent, c’est que je me refuse aussi la possibilité de les localiser.
Cela signifie que je n'ai aucune idée d'où ils sont ou s'ils sont à ma recherche.
Une fois que j'ai pris ma petite pause, je continue mon chemin vers la maison.
Je ne les vois nulle part.
Tout ce que je sais, c'est qu'ils me suivent.
Je me sens nerveuse tout en courant.
Je n'aime pas qu'ils fassent soudainement autant attention à moi. La vérité, c'est que je... ne veux pas qu'ils apprennent à me connaître.
Je ne suis pas vraiment froide ou silencieuse comme je le fais croire à tout le monde.
Madeline.
Sa passion est la même que la mienne, ok ? Je l'admets. On a toutes les deux le même caractère, la même colère, la même passion pour l'indépendance.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi Madeline a perdu la sienne.
Et je suis terrifiée à l'idée de perdre la mienne.
Les princes me bouleversent, et je suis prête à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas qu'ils le voient.
