Il m’a fallu rassembler toutes mes forces pour ne pas traverser la pièce en courant et serrer ma compagne bouleversée dans mes bras.
Mon pire cauchemar se réalisait.
Ces derniers jours avaient ressemblé à un film d’horreur conçu spécialement pour moi. Je n’avais jamais ressenti une telle peur, une telle panique, une telle colère.
En regardant Doe en ce moment, blessée et meurtrie dans son lit d’hôpital, j’étais plus que furieux.
La partie animale en moi était déchaînée, elle voulait attaquer et tuer.
À travers notre lien, je pouvais ressentir tout ce que Doe éprouvait : la douleur, la peur, la profonde tristesse.
Ça allait me détruire.
Je l’avais déçue. Je l’avais laissée sans protection alors qu’elle avait besoin de moi. Je l’avais mise dans une situation où elle pouvait être blessée et souffrir.
Elle avait failli mourir, et c’était entièrement ma faute.
Elle avait toutes les raisons d’avoir peur de moi. Elle devrait me détester pour ce que j’avais fait. Je me détestais moi-même pour ce que j’avais fait.
« Ace », a dit le beau-père de Doe.
Joe et Susan me fixaient du regard. Ils s’étaient assis sur des chaises près du lit de Doe, se préparant à ce qui allait être l’une des conversations les plus difficiles que nous n’avions jamais eues.
« Prends une chaise et assieds-toi. »
Je ne m’étais pas rendu compte que j’étais resté là, à fixer ma compagne blessée jusqu’à ce qu’ils me parlent.
C’était difficile de détourner le regard d’elle, mais je me suis forcé à me retourner et à prendre une chaise derrière moi.
Je l’ai tirée sur le côté du lit, en veillant à lui laisser suffisamment d’espace pour qu’elle se sente à l’aise.
Doe observait chacun de mes mouvements comme si elle craignait que je me transforme en loup et que je la dévore à tout moment.
Ça me faisait mal.
Ça faisait encore plus mal à mon loup. Tout ce qu’il avait toujours voulu, c’était l’aimer et la protéger.
« Alors ? » a soudain demandé Doe d’un ton furieux. « Quelqu’un va-t-il m’expliquer ce qui se passe ? »
La colère dans sa voix était surprenante et ne lui ressemblait pas. La fille effrayée qui venait de se réveiller dans un hôpital et qui pensait que j’étais un monstre avait disparu. À sa place se trouvait une femme exigeant des réponses.
En tant qu’oméga, Doe était naturellement calme.
Elle ne se rebellait pas et ne montrait que rarement sa colère, sauf si quelque chose la bouleversait vraiment émotionnellement. Sa capacité à réfléchir et à agir de manière logique était l’une de ses meilleures qualités. C’était la qualité d’une luna.
L’amertume inattendue dans sa voix montrait à quel point elle se sentait trahie.
Avant que l’un de nous ne puisse répondre, Doe a repris la parole.
« Ace n’est pas le seul loup-garou dans ma vie. N’est-ce pas ? »
La question s’adressait à son beau-père, Joe.
« Non », a répondu Joe. « Je suis un loup-garou, moi aussi. »
La profonde tristesse de Doe m’a frappé à travers notre lien. Elle m’étouffait. Brûlait mon âme.
Ses yeux se sont remplis de larmes, et elle s’est mordu les lèvres en essayant de ne pas pleurer.
Mon loup hurlait dans ma tête.
Les yeux tristes de Doe se sont tournés vers sa mère.
« T… toi aussi ? »
Sa voix était très faible.
« Non », a répondu Susan. « Je suis humaine, comme toi. »
« Mais tu savais quand même », a dit Doe, ne laissant rien passer. « Tu savais pour les loups-garous et tu ne m’as rien dit. »
Ce n’était pas une question. Elle assemblait clairement toutes les pièces du puzzle et réalisait tout ce qu’elle avait manqué au fil des années.
« Est-ce que ça veut dire que les garçons sont des loups aussi ? Thomas, et Elliot, et W… Wes... Sont-ils tous des loups-garous ? »
« Ils sont trop jeunes pour se transformer. Ils ne rencontreront pas leurs loups avant l’adolescence », a répondu Joe. « Mais oui, tes petits frères sont aussi des loups-garous. »
Il a marqué une pause.
« Tout Embermoon l’est. Ta mère et toi faites partie des très rares humains qui vivent dans notre meute. »
« Comme Marta », a ajouté Susan. « Marta et ses parents sont humains. Ils ne savent rien. Elle ne t’a jamais menti. »
Cela n’a pas semblé réconforter Doe comme Susan l’espérait probablement.
Les yeux larmoyants de Doe s’écarquillaient en les écoutant. À travers notre lien, je sentais ses pensées s’emballer, elle était probablement en train de passer en revue ses souvenirs, de réfléchir à tous les signes qu’elle avait manqués.
Sa respiration s’est accélérée alors que la panique, la douleur et la confusion commençaient à prendre le dessus.
« Des années », a dit Doe d’une voix rauque, en regardant Joe avec colère. « J’ai vécu avec toi pendant des années, je te considérais comme mon père depuis mes six ans, et tu ne m’as jamais dit qui tu étais vraiment ? Aucun d’entre vous ne l’a fait.
Je pensais devenir folle. Je... je voyais des choses, je remarquais les habitudes étranges de tout le monde dans notre ville, je voyais les conversations s’arrêter et changer quand j’entrais dans une pièce.
Et vous m’avez tous fait croire qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez moi. Vous m’avez fait douter de moi-même. Pourquoi ? Pourquoi m’avoir caché une telle chose ? »
« Au début, nous pensions faire ce qu’il y avait de mieux pour toi », a essayé d’expliquer sa mère.
« Tu dois comprendre, quand Ace et toi vous êtes rencontrés, Mitchell et moi avons vu comment Ace s’accrochait à toi et comment tu t’accrochais à lui en retour, et ça nous a fait peur.
Tu ne pouvais pas dormir sans lui, tu ne pouvais pas te concentrer s’il n’était pas à proximité, tu écoutais chacun de ses mots comme si c’était la chose la plus importante au monde. Il devenait toute ta vie, et je ne savais pas comment gérer ça.
Les parents d’Ace ont essayé d’expliquer qu’il était ton compagnon et qu’il était normal que vous ayez besoin l’un de l’autre et que vous vouliez passer chaque instant ensemble, surtout si rapidement.
Mais je n’arrivais pas à comprendre. Pas avant notre déménagement dans le Colorado.
C’est là que j’ai rencontré ton beau-père. »
Elle a souri à Joe, qui lui a pris la main et l’a embrassée.
« Et j’ai su que nous étions des compagnons. »
« Des compagnons », a répété Doe.
Ses yeux bruns et larmoyants se sont posés sur moi. Mon cœur battait la chamade. J’aurais fait n’importe quoi pour qu’elle continue à me regarder, pour maintenir ce lien avec elle.
« Comme toi et moi ? »
« Oui. Exactement comme toi et moi », ai-je dit en me penchant en avant. « Tu es ma compagne. »
Cela faisait tellement de bien de pouvoir enfin le dire. De le lui dire et qu’elle comprenne.
« Et ça veut dire qu’on est faits pour être ensemble ? » a demandé Doe.
« Exactement. Ça signifie que nos âmes sont liées, que nous ne pouvons pas vivre l’un sans l’autre. »
J’avais peur qu’elle soit submergée par la nouvelle que nous étions destinés à être ensemble, mais j’étais soulagé de ne sentir que de la curiosité à travers notre lien.
Elle avait peur et se sentait incertaine, mais pas au sujet d’être ma compagne.
Et cela me donnait de l’espoir.
« C’est pour ça que tu sais toujours ce que je ressens ? » a-t-elle demandé doucement.
J’ai acquiescé.
« Notre lien est fort. Plus fort que la plupart des liens. Cela veut dire que je peux ressentir tes émotions quand elles sont très intenses. »
Elle a regardé son beau-père.
« Tu peux ressentir ça avec maman ? »
« Oui », a dit Joe. « Pas autant qu’Ace peut ressentir tes émotions, mais j’ai un lien très similaire avec ta mère. »
« Rencontrer Joe m’a aidée à comprendre ta relation avec Ace », a ajouté Susan. « Dès que Joe est entré dans ma vie, j’ai su que je ne pouvais pas vivre sans lui. »
« Et si ce que tu ressentais pour Ace était ne serait-ce qu’un peu aussi fort que ce que je ressentais pour mon propre compagnon, je savais que je ne pouvais pas t’éloigner de lui. »
« Et c’est pour ça que Mitchell est parti ? Parce que tu as rencontré ton compagnon ? »
C’était la première fois que Doe évoquait son père biologique d’elle-même. Elle avait à peine eu le temps d’affronter la tristesse de la mort de son père biologique.
Son chagrin était si évident, si profond, que je le ressentais aussi dans ma poitrine.
Et voilà que je lui donnais encore des raisons d’être malheureuse. Je ne pouvais qu’imaginer ce qui se passait dans sa tête en ce moment. Ma pauvre chérie.
J’allais devoir m’assurer qu’elle ait le temps d’accepter la mort de Mitchell plus tard. Même si sa relation avec Mitchell était compliquée, très compliquée même, elle avait quand même le droit d’être triste à ce sujet.
Susan a poussé un long soupir.
« Mitchell et moi... ça n’allait pas bien. Nous parlions déjà de divorce à ce moment-là, et je savais que je ne pouvais pas rester avec lui après avoir rencontré Joe.
Je n’aimais pas Mitchell comme j’aime Joe. Mes sentiments pour Joe sont comme ceux que tu éprouves envers Ace, ils sont impossibles à changer et me submergent.
Je voulais tout te dire. Je ne voyais plus aucun mal à te faire grandir dans la communauté des loups-garous.
En fait, je me sentais mal de te cacher ce secret. Je voulais que tu aies une enfance normale, bien sûr, mais si tu avais su pour les loups-garous plus tôt, ils t’auraient semblé normaux. »
« Alors, pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? » a demandé Doe. « Pourquoi me l’avez-vous caché ? »
« Nous ne te l’avons pas caché », a dit Joe. « Tu étais bien trop intelligente. Durant les premiers mois où nous vivions ensemble, tu avais déjà compris que quelque chose était différent à Embermoon.
Et puis il y avait Ace, qui était incapable de garder un secret... »
Il m’a regardé d’un air appuyé.
J’ai haussé les épaules, ne regrettant rien du tout.
« Mon loup refusait d’être tenu éloigné de toi. Il n’aime toujours pas ça. »
Comme pour prouver un point, mon loup a grogné dans ma poitrine, montrant sa frustration. Les yeux de Doe se sont écarquillés.
« Tu te souviens de ce rêve que tu as fait de nous lorsque nous étions petits au chalet du lac ? » lui ai-je demandé. « Celui où nous avons construit un fort dans le jardin, et où tu as ensuite dormi dehors avec un loup ? »
Elle a hoché la tête.
« Ce n’était pas un rêve. C’était un souvenir caché de ton enfance. Tu savais que j’étais un loup-garou. Tu demandais à dormir avec mon loup chaque nuit. Tu aimais la douceur et la chaleur de sa fourrure. »
Je ne me souvenais pas exactement du souvenir dont elle avait parlé de nombreuses nuits auparavant, mais mon loup dormait assez souvent avec elle quand nous étions plus jeunes pour savoir qu’elle disait la vérité.
Quand elle m’avait annoncé qu’elle avait rêvé de mon loup, j’étais tellement choqué que je n’avais pas su comment réagir.
Mon loup, en revanche, avait été très heureux. Si heureux qu’il m’avait fallu beaucoup d’efforts pour l’empêcher de hurler de joie. Sa compagne lui manquait. Beaucoup.
« Un s… souvenir caché ? » a marmonné Doe. « Qu’est-ce que ça veut dire ? »
J’ai hésité, je voulais trouver la meilleure façon de lui expliquer sans l’effrayer davantage.
Susan est intervenue.
« Mitchell... Mitchell ne voulait pas que tu saches pour les loups. Il pensait qu’ils profiteraient de toi parce que tu es humaine et donc plus faible.
Surtout Ace. Il détestait votre lien de compagnons, il pensait que ce n’était qu’une excuse pour qu’Ace te contrôle.
Quand nous avons refusé de continuer à te cacher ce secret, il a décidé de se battre pour obtenir ta garde exclusive. »
Ma pauvre Doe avait l’air si confuse. En panique.
Elle ne se souvenait pas de la bataille pour sa garde. Encore un souvenir bloqué. Elle savait que Joe et Susan avaient sa garde, mais elle ignorait comment c’était arrivé. Et pourquoi.
« Mitchell... s’est battu pour moi ? » a demandé Doe d’une voix douce qui menaçait de me briser le cœur.
Susan a pris la main de Doe et l’a serrée.
« Oui. Bien sûr qu’il l’a fait. Mitchell tenait beaucoup à toi. Il était très triste quand nous sommes partis. »
Les yeux de Doe se sont écarquillés de colère, et son froncement de sourcils s’est accentué.
« Mon père m’aimait, il s’est battu pour moi. »
Elle m’a regardé d’un air sévère.
« Et tu l’as assassiné. »
