. . Je n'étais guère surprise de voir si peu de monde dans la salle de bal. La soirée n'avait pas encore véritablement débuté et d'autres convives allaient certainement arriver sous peu. Je savais pertinemment que mon père préférait les réceptions intimes de toute façon.
Tout était somptueux - les lumières, les décorations et la douce mélodie jouée par le petit orchestre sur l'estrade.
« Prensesim ! » J'entendis une voix familière m'interpeller depuis le groupe d'hommes en costume devant moi.
Mon père quitta la table haute et vint prestement à ma rencontre.
« Baba », souris-je, pressant le pas pour le rejoindre.
Lorsque j'arrivai près de lui, il ouvrit grand les bras et je me blottis contre lui.
« Après notre discussion, je pensais devoir batailler avec Selim pour te faire venir », dit-il en desserrant son étreinte.
Il posa sa main sur ma joue et ajouta : « Mais je suis ravi que tu sois là, prenses. »
J'avais failli ne pas venir. Il m'avait fallu beaucoup de détermination pour monter dans cet avion.
« Je pense toujours que tu ne devrais pas cesser de travailler. Tu as encore tellement d'énergie. »
« Moi, je pense que si », intervint Savvy derrière moi.
« Comment allez-vous, Dacey ? » Elle lui tendit la main.
« Bien, Savannah », répondit-il en la lui serrant.
« Vous devriez vraiment arrêter de travailler si cela me permet d'avoir ma meilleure amie ici. »
Je lui lançai un regard en coin.
« De quel côté es-tu ? »
Elle désigna mon père.
« Pour l'instant, je suis du côté de Dacey. »
Elle m'adressa un sourire d'excuse et ajouta : « Désolée. »
« Tu parles », rétorquai-je.
Je me tournai vers mon père et demandai : « Où est Annem ? »
Il balaya la salle du regard.
« La voilà », dit-il en repérant son épouse.
« On va aller la saluer. »
Il acquiesça.
Un homme en costume qui attendait pour s'entretenir avec mon père s'approcha tandis que nous nous éloignions.
Ma mère nous tournait le dos, elle ne nous vit pas arriver jusqu'à ce que la femme avec qui elle discutait me désigne du doigt.
Elle se retourna et son visage s'illumina instantanément.
Elle s'avança rapidement pour combler l'espace entre nous.
« Voilà ma belle kizim. » Elle m'embrassa sur les deux joues.
« Ma chère Savvy. » Elle fit de même avec ma meilleure amie. « Cela fait une éternité. Je suis ravie de te voir. »
« Moi aussi, je suis ravie de vous voir, Ruya. »
Elle tendit la main pour toucher une mèche de mes longs cheveux ondulés brun-roux foncé.
« Tu es resplendissante. Le vert te va à merveille. »
Savvy bomba le torse.
« C'est entièrement grâce à moi. »
Je levai les yeux au ciel.
« Tu as fait du très bon travail, ma chérie. »
« Merci. » Un sourire fier s'étala sur son visage.
« Excusez-moi. » Nous nous tournâmes toutes vers la jolie femme aux cheveux bouclés et à la peau marron clair qui venait de nous interrompre.
Elle me tendit la main en se présentant. « Chloé Johnson. »
« Ceylan Aslan. » J'essayai de me rappeler si je la connaissais.
Elle sourit largement.
« Je sais qui vous êtes. Votre père ne tarit pas d'éloges sur vous. »
Je fronçai les sourcils.
« Je suis désolée. Je ne pense pas que... »
« Je vois que vous avez déjà fait connaissance. » Mon père nous rejoignit.
Il posa nonchalamment sa main sur l'épaule de la femme.
« Chloé est mon assistante », il marqua une pause avant de poursuivre. « Et j'aimerais maintenant qu'elle soit la vôtre. »
« Je serai au bar », chuchota Savvy avant de s'éclipser.
« Je... euh... » Adieu l'espoir qu'il change d'avis sur l'arrêt du travail.
« Elle est très douée dans son travail et je détesterais la voir partir dans une autre entreprise. »
« Qu'est-il arrivé à Nicole ? »
« Sa famille a déménagé après que son mari ait obtenu un meilleur poste. »
J'acquiesçai en direction de Chloé.
Je la sentais retenir son souffle, attendant ma réponse.
Au lieu de rassurer la dame, je dis : « Pouvons-nous en parler plus tard ? J'ai besoin d'un verre. »
Je m'éloignai avant que quiconque puisse refuser.
Je traversai la salle presque en courant, ne m'arrêtant que devant le bar ouvert presque vide.
« Du champagne, s'il vous plaît. » Le barman hocha la tête à ma demande.
« Je n'arrive pas à croire qu'il vienne de faire ça. »
« Ton père qui essaie de s'assurer que tu aies un démarrage facile ? Je l'avais vu venir gros comme une maison. »
Je ne savais pas si Savvy se moquait de moi ou avait pitié.
« Je peux choisir ma propre assistante, tu sais ? Et si j'en avais déjà une ? »
Elle parut confuse.
« C'est le cas ? »
Le barman me servit mon verre.
« Non. » J'enroulai mes doigts autour du verre.
« L'assistante d'oncle Selim nous aidait toutes les deux à Harika Hudut. Mais là n'est pas la question. Il me donne encore quelque chose d'important et s'attend à ce que je l'accepte sans broncher. »
« Tu pourrais toujours refuser. »
« Il y a certains moments où je préfère laisser Baba faire à sa guise et éviter des prises de bec inutiles. Il en a déjà assez avec Baris. »
Elle secoua la tête.
« Pas « certains moments », tout le temps. On pourrait même dire que tu n'as pas le cran de tenir tête à ton père. »
Je fronçai les sourcils.
« J'ai du cran. Je l'ai déjà fait. »
« Quand ? » me défia-t-elle.
Je tapotai mon menton, réfléchissant à un exemple.
« En voilà un », souris-je. « Quand je suis allée à l'université de Baris à Miami alors que Baba ne voulait pas. »
« Tu as quitté Seal Coast un an plus tard pour venir à Oakford, là où il voulait que tu sois depuis le début. » Elle eut un sourire narquois.
« Tu as cédé. »
Je pris une première gorgée de ma boisson.
« Oui, c'est vrai. » Savvy ignorait la vraie raison pour laquelle j'avais quitté Seal Coast. Et je n'étais pas prête à lui en parler. J'aurais aimé avoir écouté mon père à l'époque. J'aurais pu éviter la pire chose qui me soit jamais arrivée.
« Je suis contente que tu aies cédé. Sinon, on ne se serait jamais rencontrées. »
J'acquiesçai.
« Je vais prendre l'assistante. Je sais que j'ai besoin de quelqu'un qui connaît bien l'entreprise pour m'aider à démarrer en douceur. Et si Baba dit qu'elle est douée, alors elle l'est. De plus, je ne peux pas être la raison pour laquelle cette pauvre femme perd son emploi. »
« C'est vrai. »
Je portai la coupe de champagne à mes lèvres.
« Tu ne devineras jamais qui vient d'entrer avec ton frère », dit Savvy avec excitation, regardant vers l'entrée.
« Il est encore plus canon en vrai. »
« Qui ? » Je tournai la tête sur le côté. Maximo Gonzalo, le riche homme d'affaires de la tech, était un homme charmant avec un corps de mannequin et un visage de star de cinéma. Si je n'avais pas été si focalisée sur Liam à l'époque de Seal Coast, Max aurait été mon second choix.
Mais je ne l'appréciais que comme l'autre meilleur ami de Baris, rien de plus. « Tu peux l'avoir. Je peux t'assurer que Max est célibataire. Ce type ne sort jamais avec personne. »
Elle continua de regarder et secoua la tête. « Pas Max. Liam Chase. Je comprends maintenant pourquoi toutes les femmes de New York en sont folles. »
Mon estomac se noua. J'eus l'impression que tout mon sang quittait mon corps et que je ne contrôlais plus rien. J'avais envie de fuir et de me cacher.
Après toutes ces années, je n'arrivais pas à me résoudre à le regarder. Mais c'était en train d'arriver, que je le veuille ou non.
Les yeux gris de Liam croisèrent les miens et pendant un instant, je retournai à une époque où je pensais que ses yeux d'ange cachaient une autre facette, quelqu'un de doux et sensible. Mais je m'étais trompée.
Il était toujours aussi séduisant et cela m'énervait qu'il utilise son « pouvoir spécial » pour empêcher les gens de voir qui il était vraiment.
Il m'avait déjà tant pris ; je n'allais pas le laisser gâcher ma soirée. Vivre dans la même ville était déjà assez difficile, je ne pouvais pas le supporter à mon événement.
Il devait partir. Je sentis le regard de Savvy sur moi. « Ma chérie, est-ce que tu... »
Je ne lui laissai pas le temps de finir sa question. Je reposai brusquement la coupe de champagne sur le comptoir et m'éloignai rapidement.
Je marchai d'un pas vif, sentant à peine le sol sous mes pieds. J'entendis quelqu'un prononcer mon nom au passage mais je ne me retournai pas.
J'étais concentrée sur une seule chose. Une chose que j'étais déterminée à faire.
Alors que je m'approchais, ses lèvres parfaites, entourées d'une courte barbe, s'incurvèrent en un sourire qui ne fit qu'attiser ma colère.
« Ela », Baris me détailla du regard. « Tu es superbe ! »
« Que fait-il ici ? » Je jetai un bref coup d'œil à Liam avant de lancer un regard furieux à mon frère.
« Ravi de te voir aussi », répliqua Baris, sarcastique.
« J'ai été claire, Baris. Je ne veux pas de lui ici. »
« Je t'ai dit qu'il venait. Quand tu n'as pas répondu à mon message, j'ai pensé que ça ne te dérangeait pas. De plus, Liam m'a tout raconté sur ce qui s'est passé et pourquoi tu l'évites depuis toutes ces années. »
« Vraiment ? » Ma voix faiblit. Je ressentis un mélange d'émotions ; douleur, honte, soulagement, et par-dessus tout, trahison. Que faisait Baris avec lui après avoir appris la vérité ?
« Oui. Et tu dois tourner la page. »
Je le regardai, perplexe. « Tourner la page ?! » Je dus faire un effort surhumain pour contenir ma voix. Plus d'une douzaine de personnes nous observaient déjà.
« Tu ne peux pas en vouloir à quelqu'un de ne pas t'aimer en retour. »
« C'est ce qu'il t'a dit ? » Je me tournai vers Liam. « C'est tout ce que tu lui as raconté ? »
« Y avait-il autre chose à dire ? » Me défiait-il d'en parler ? En public, qui plus est ? Jusqu'où allait la cruauté de cet homme ?
J'avais envie de hurler. J'avais envie de crier. J'avais envie de frapper quelque chose, surtout Liam. Mais ce n'était ni le lieu ni le moment. Je ne pouvais pas faire de scène devant tous ces gens.
Ma voix était basse mais ferme quand je m'adressai de nouveau à Baris. « Je n'ai pas vu ton message. Alors s'il te plaît, demande à ton ami de partir. » Sur ces mots, je m'éloignai.
