˄QUATRE MOIS PLUS TARD˄
Le taxi s'arrête devant chez moi. Mon cœur se serre à la vue de l'allée vide. Kristy et Logan sont partis en escapade dans les Dandenong Ranges. Ils ne rentreront pas avant dimanche. Avant, Kristy venait toujours me chercher à l'aéroport après une longue absence. Mais les choses ont changé.
Kristy et moi étions inséparables autrefois. Nous comblions un vide dans la vie l'une de l'autre. Maintenant, Kristy a Logan et ses amis. J'ai peur de la perdre. Elle s'éloigne de moi petit à petit.
Que pensera Kristy quand elle apprendra ce qui s'est passé à Londres ? Me détestera-t-elle autant que je me déteste en ce moment ?
Je dois lui parler de Londres avant qu'Adam ne le découvre et ne lui dise. Si cela arrive, Kristy pourrait couper les ponts avec moi. Rien que d'y penser, j'ai la nausée.
Kristy a été mon pilier pendant si longtemps. Je ne peux pas la perdre.
Je règle le chauffeur et lui laisse un pourboire. Puis je l'aide à sortir mes bagages du coffre. Une fois tous mes sacs posés par terre, je lui adresse un sourire.
« Merci...
— Howie.
— Bonne journée, Howie. »
Il grogne et hoche la tête. Ça montre à quel point je suis épuisée. D'habitude, j'aurais bavardé avec lui pendant tout le trajet. Je lui aurais posé plein de questions sur sa vie et j'aurais été « amicale », comme dirait Kristy. J'aurais retenu son prénom tout de suite et je l'aurais utilisé.
Mais aujourd'hui, j'ai à peine réussi à aligner quelques mots polis. Et même ceux-là m'ont semblé difficiles à prononcer.
Tandis que Howie s'éloigne, je prends ma valise et me dirige vers la porte. Je regarde le joli jardin de chaque côté de l'allée. On voit bien que Kristy, Logan et leurs amis ont pris soin du jardin et planté des fleurs. Penser à eux ici sans moi me rend jalouse.
Kristy a un petit ami, un boulot qui lui plaît et des amis. Et moi ? Je ne sais plus trop ce qu'il me reste.
À Londres, je me suis sentie terriblement seule et j'ai fait une grosse bêtise. J'ai blessé des gens. On dirait qu'Adam Granger avait raison à mon sujet finalement - à propos des défauts qu'il me reprochait.
J'y ai beaucoup réfléchi ces derniers jours. L'homme qui ne m'aimait pas dès le début me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même. J'ai tout gâché en une seule erreur. Même si je devrais probablement tout perdre à cause de ça, je ne sais pas comment gérer l'effondrement de ma vie.
Arrivée au mur à côté de notre porte d'entrée, je retire la brique rouge où on cache notre clé de secours. Mon cœur s'emballe quand je vois que la cachette est vide.
« Zut. Où as-tu mis la clé, K ? »
Au moment où je m'apprête à faire le tour de la maison pour trouver une porte ou une fenêtre ouverte, une voiture bruyante se gare dans l'allée de Logan juste à côté. C'est Adam Granger. Son gros 4x4 fait trembler toute la rue, mais le voir me secoue encore plus.
C'est bien la dernière personne que j'ai envie de croiser en ce moment. En fait, je serais ravie de ne plus jamais le revoir après notre dernière conversation.
Adam ne m'aime toujours pas, je peux le voir dans ses yeux quand il sort de la voiture et me regarde. Ses cheveux bruns sont cachés sous une casquette de baseball. Il porte un jean bleu, une veste en cuir noir, des boots et un t-shirt blanc.
Il a une barbe de quelques jours, ce qui lui donne un air un peu négligé. Mais comparé à moi, il a l'air impeccable. En ce moment, j'ai l'air d'une épave. Mon visage, qui a fait la une de nombreuses pubs de maquillage et de parfum, n'est pas à son avantage. Ça me fait me sentir faible et vulnérable.
J'aurais dû me rafraîchir aux toilettes de l'aéroport comme je le fais d'habitude, mais j'étais trop pressée de rentrer chez moi - de m'éloigner de tout le monde et de me cacher des nouvelles que je sais venir à mon sujet.
« La ferme, Cricket ! » crie Adam vers la clôture de Logan. Je remarque alors le chien que je n'avais pas vu avant. Ça doit être le chien de Kristy que j'entends gémir. Adam est sûrement là pour le nourrir pendant leur absence. Mais pourquoi le chien est-il dans la maison vide d'à côté au lieu d'être chez lui ?
« Jess », dit Adam en s'approchant de moi.
« C'est toi qui t'occupes de Cricket pendant leur absence ?
— On m'a refilé le boulot.
— Si c'est trop contraignant pour toi, je peux m'en charger jusqu'à leur retour demain. Ça t'évitera un déplacement. »
Cricket appartenait à ma tante et mon oncle avant qu'ils ne le donnent à Kristy il y a sept mois. Il me connaît, et je peux facilement m'en occuper. Plus important encore, ça veut dire que je n'aurai pas à recroiser Adam ce week-end.
Il esquisse un petit sourire. « Kristy ne t'a rien dit, on dirait ?
— Me dire quoi ? »
Il secoue la tête, avec un sourire chaleureux sur le visage. Ce sourire est pour Kristy, pas pour moi. Il l'a toujours appréciée. Logan me l'a dit une fois, mais je n'avais pas besoin de lui pour le savoir - c'est évident.
« Mon bail s'est terminé il y a un mois, et Logan m'a proposé de louer sa maison plutôt que d'en chercher une autre. C'était logique. Lui et Kristy sont heureux de vivre ensemble ; c'est du gâchis qu'une bonne maison reste vide.
— Tu es mon nouveau voisin ? »
Ma voix sonne étranglée, ce qui n'est pas surprenant vu comme mon cœur bat la chamade. Mes oreilles bourdonnent et j'ai l'impression que je vais bientôt tomber dans les pommes. Logan et Kristy vivent dans la maison que je loue encore - techniquement - avec Kristy.
J'étais prête pour ça. J'acceptais ça. Mais Adam vivant à côté ? Ça, je ne l'accepte pas.
Et je n'accepte pas le fait que Kristy ne m'en ait pas parlé avant. Je sais que je suis rentrée à l'improviste, mais elle aurait dû me dire quelque chose. Certes, chaque fois que Kristy parlait d'Adam pendant mon absence, je restais muette ou je n'écoutais pas. Mais elle aurait quand même dû me le dire.
Les yeux bleu foncé d'Adam montrent qu'il trouve mon malaise amusant. « Tu ne vas pas me souhaiter la bienvenue dans le quartier en m'invitant à prendre le thé et des petits gâteaux ?
— Pas question. » Je secoue la tête. « Je ne suis même pas sûre de pouvoir entrer. Je pensais que Kristy laisserait la clé de secours à l'endroit habituel.
— En fait, elle me l'a donnée. »
Il ouvre sa main, montrant la clé. Voilà donc où elle était passée.
Je le regarde, perplexe. « Je lui avais dit que je rentrerais par mes propres moyens.
— Elle voulait t'accueillir elle-même, mais leur voyage s'est mis en travers.
— Alors elle t'a envoyé à sa place ? » Je ne peux m'empêcher de rire.
« Dingue, hein ? On ne peut pas se blairer, et pourtant elle pense que je suis un bon remplaçant pour t'accueillir. »
Avant qu'il ne m'accuse d'essayer de piquer le copain de ma meilleure amie, je n'aurais pas dit que je ne pouvais pas le blairer. Je l'évitais, certes. J'étais mal à l'aise en sa présence, sur mes gardes. Mais maintenant, je le déteste autant qu'il me déteste.
« Alors pourquoi tu as accepté ? » je demande en prenant la clé de sa main.
Une sensation électrique remonte mon bras et descend dans mon dos quand mes doigts touchent sa main. Qui aurait cru que la haine pouvait provoquer une telle réaction physique ?
J'ignore les battements rapides de mon cœur et me tourne rapidement pour déverrouiller la porte d'entrée.
« Kristy a cette idée farfelue que si elle nous force à interagir, on finira par devenir potes. »
Je peux entendre l'affection dans sa voix quand il parle d'elle. Après avoir ouvert la porte d'entrée, je me retourne vers lui. Il arbore ce même sourire affectueux que tout à l'heure.
« Elle rêve », dis-je.
« Je ne pourrais pas être plus d'accord.
— Je ne pourrais jamais être amie avec un tel connard.
— Et je ne pourrais jamais être ami avec quelqu'un qui essaierait de piquer le copain de son amie à la première occasion. »
Je suis crevée par mon vol, mon monde a été chamboulé cette semaine, et je viens d'apprendre que l'homme qui me déteste est mon voisin. Tout ce que je veux, c'est entrer chez moi et lui claquer la porte au nez. Après lui avoir dit d'aller se faire voir.
Mais je ne peux pas. Pas maintenant. Il y a trop en jeu. J'ai besoin qu'Adam me lâche un moment. J'ai besoin de temps avec Kristy - du temps pour lui parler de tout ce qui s'est passé à Londres avant qu'elle ne l'apprenne par quelqu'un d'autre.
Luttant contre l'envie de lui crier dessus, je prends une grande inspiration et entre dans la maison, puis me retourne pour lui faire face.
Il croise les bras, l'air complètement fermé. J'ai besoin de lui faire comprendre à quel point mon amitié avec Kristy compte pour moi.
« Tu savais que quand j'avais seize ans, mes parents sont morts dans un accident de voiture ? » je demande, essayant de ne pas pleurer.
« Je suis désolé », dit-il, son visage s'adoucissant un peu.
Dieu merci. Il n'est pas un robot.
« L'année qui a suivi a été la pire de ma vie », je continue. « Ma tante a proposé de m'accueillir, mais elle ne le voulait pas vraiment. Elle venait d'avoir mon cousin, et il était malade. Elle n'avait pas l'énergie de s'occuper d'une ado de seize ans. »
Je peux voir les questions se former dans ses yeux.
« Quand Kristy a raconté à ses parents ce qui se passait, elle les a suppliés de me laisser vivre chez eux pendant que je finissais le lycée.
— Et ils ont accepté ? » devine-t-il.
« Ils m'avaient toujours appréciée, mais c'était beaucoup demander. Ce n'était pas comme si j'allais rester une semaine, ou même un mois. Mais ils ont dit oui. Ils m'ont accueillie. Pendant la dernière année et demie de lycée, et même plus longtemps, Kristy a partagé sa maison et ses parents avec moi. Tu comprends ce que je veux dire, Adam ?
— Alors maintenant tu t'attends à ce qu'elle partage aussi son mec avec toi ? »
Je viens de partager la partie la plus douloureuse de ma vie avec cet homme, et il me comprend délibérément de travers. Sa haine envers moi est trop forte pour être surmontée. Surtout quand je suis si fatiguée et à bout de forces.
Je commence à fermer la porte. « Au revoir, Adam. »
Il bloque la porte avec son pied, m'empêchant de la fermer complètement. « Je suis désolé », dit-il, l'air réticent. « Je ne m'attendais pas à tout ça, et j'ai été... insensible.
— Tu crois ? » je rétorque. Je ne suis jamais grossière avec les gens, jamais. Mais Adam m'agace comme personne d'autre. « Kristy est plus que ma meilleure amie. C'est ma sœur, ma famille dans tous les sens qui comptent. Je préférerais mourir plutôt que lui faire du mal.
— Donc tu dis que tu n'agirais jamais sur tes sentiments pour Logan ?
— C'est exactement ce que je dis. »
Il sourit, et il me faut un moment pour comprendre pourquoi il est si suffisant. Il m'a piégée. Prise à son propre jeu. Dans ma fatigue et mon désespoir de prouver que je ne suis pas une menace, je viens d'admettre avoir des sentiments pour Logan.
À ma connaissance, Adam n'a jamais parlé à Kristy de ses soupçons concernant Logan et moi. Mais quelles sont les chances qu'il garde le silence maintenant ?
Si je mens et essaie de me rétracter, il ne me croira jamais. La vérité est sortie, et je suis vulnérable, à sa merci. Je ne peux qu'espérer que si je dis la vérité à Adam - s'il me voit être honnête et que je lui explique que c'est du passé - cela m'achètera assez de temps pour parler à Kristy en premier et tout lui dire, y compris pourquoi j'ai quitté Melbourne en premier lieu.
Je me force à regarder Adam et demande silencieusement du courage. « Je ne lui ai jamais couru après. Je n'aurais jamais fait le premier pas. Jamais. Peu importe à quel point je l'aimais bien. Et oui, j'admets que je l'aimais bien. J'étais attirée par lui avant de quitter le pays, mais c'est fini maintenant. »
Pendant mon absence, j'ai réalisé que ce n'était pas tant Logan que je voulais, mais la proximité et l'intimité qu'il partageait avec Kristy. Mais c'est de l'histoire ancienne.
Il y a une raison pour laquelle j'ai toujours gardé mes distances avec les hommes. Je ne veux pas d'intimité. Même si l'idée d'une relation m'a attirée pendant un court moment, ce n'est plus le cas. Surtout pas après tout ce qui s'est passé avec Grant à Londres.
« Vraiment ? » Adam hausse les deux sourcils. « Comme ça ? Tes sentiments appartiennent au passé ?
— Oui. Et maintenant que je t'ai tout dit, même si tu ne m'as jamais donné une seule bonne raison de le faire, ou dit un seul mot gentil...
— Tu as besoin de mots gentils de ma part, princesse ? Je pensais que tu en recevais suffisamment de tout le monde.
— Oublie les mots gentils, alors. Tu pourrais peut-être juste essayer d'être poli.
— Je pense avoir été très poli ce matin, tu ne trouves pas ?
— Si remettre en question ma loyauté envers mes amis est poli, alors oui, je suppose que tu l'as été.
— Tu vois ? » Il hausse les épaules. « Totalement poli.
— Adam, pourrais-tu peut-être... » Je pose ma main sur le chambranle de la porte, essayant de trouver les bons mots. « Pourrais-tu éventuellement me faire un peu confiance ? On pourrait essayer d'être corrects l'un envers l'autre ? Pour Kristy ? »
Adam me regarde attentivement en me faisant un petit signe de tête. « Pour Kristy », répète-t-il. « Mais si je vois quoi que ce soit qui suggère que tu joues avec les sentiments de Logan...
— Je comprends », je réponds d'une voix froide. « Tu me surveilleras. »
Son sourire est large - un sourire qu'il ne m'a jamais montré en tout le temps que nous nous connaissons. « Quelle chance. J'ai l'endroit parfait pour garder un œil sur toi. »
Sur ces mots, il retourne vers ce que je suppose devoir commencer à appeler la maison d'Adam - anciennement celle de Logan. Il me jette un dernier regard avant de déverrouiller la porte et d'entrer.
Je ferme ma porte d'entrée et m'appuie contre elle.
Adam Granger est mon voisin d'à côté.
Franchement, je préférerais avoir le diable comme voisin.
