Je m'apprête à entrer dans le café quand une jeune femme aux cheveux noirs en sort, les bras chargés. Je lui tends la main pour l'empêcher de trébucher. Elle lève les yeux vers moi, et son regard vert me transperce. Je ressens une attirance soudaine et intense, ce qui me prend au dépourvu.
Elle m'adresse un léger sourire et me remercie doucement avant de passer son chemin. J'essaie de capter son parfum, mais je ne perçois que son odeur naturelle. Une senteur fraîche, un mélange de fleurs et d'épices.
Ses yeux verts sont envoûtants. J'ai une envie irrépressible de mordre dans son cou et de la goûter. Je ne comprends pas d'où me viennent ces pensées.
Depuis que je peux me déplacer en plein jour, j'ai cessé de boire directement le sang des humains. Je m'approvisionne à la banque du sang chaque semaine. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas bu à même une personne.
Pourtant, cette femme éveille en moi quelque chose de puissant. J'ai envie de la mordre et de ne plus la lâcher. J'entre dans le café et commande mon café habituel. Je sens son regard peser sur moi à travers la vitrine. Elle semble tout aussi intriguée par ma présence.
Je prends mon café et me retourne pour partir, mais elle s'est évanouie dans la nature. Je me dirige vers ma salle de cours sur le campus. J'ai un cours à donner et un examen à préparer pour plus tard dans la semaine.
J'enseigne deux matières ici depuis que j'ai renoncé à mon titre de roi des vampires. J'ai écrit quelques ouvrages avant d'obtenir ce poste d'enseignant. Je dois déménager de temps à autre car mon apparence reste jeune, mais je peux toujours prétendre avoir simplement de bons gènes.
Mes cours sont populaires. Je dis la vérité sur l'histoire. Je m'assure que mes étudiants comprennent que dans les guerres, chaque camp pense avoir raison. Mais en général, c'est le plus fort qui l'emporte. C'est ainsi que va la vie. Les forts triomphent.
J'ai abdiqué mon titre de roi car mon clan de vampires voulait savoir comment je pouvais marcher au soleil sans périr. Je ne pouvais pas leur révéler que c'était grâce au sang de Lyric. Ils auraient tenté de la capturer et de la vider de son sang.
Je l'aime à ma façon. Je l'aime pour ce qu'elle est. C'est une guerrière née. J'ai autrefois eu une compagne qui était aussi une femme de caractère. Je l'ai perdue, mais je garde le souvenir de notre amour.
J'étais jeune à l'époque. C'était il y a une éternité. Mais je la désirais tellement... J'étais stupide de croire que ça ne pouvait pas marcher. Moi, un vampire, et elle, une louve. J'aurais dû l'accepter !
J'ouvre la porte de ma salle de classe et pose mon café sur le bureau. J'attends l'arrivée des étudiants. Aujourd'hui, nous allons parler des Templiers et du vendredi 13. C'est toujours un sujet qui suscite de vifs débats.
J'entends des pas approcher. Beaucoup d'étudiantes apprécient mes cours. Elles s'efforcent de s'asseoir au premier rang et de mettre leurs atouts en valeur. Je ris intérieurement. Ces jeunes filles ignorent à quel point je peux être dangereux.
« Bonjour, Professeur Albescu ! » lance joyeusement l'une d'entre elles.
« Bonjour ! » je réponds.
Les premiers rangs se remplissent rapidement de jeunes femmes cherchant à attirer mon attention. Je secoue la tête, amusé.
« Si j'étais encore aussi impitoyable qu'il y a quelques années, je les aurais toutes dévorées sans qu'elles s'en aperçoivent. »
Une fois tout le monde installé, j'écris « Chevaliers du Temple » au tableau.
« Que savez-vous des Templiers ? » je demande.
Les réponses fusent. Ils ont répandu le christianisme en Europe et mis fin aux pratiques païennes que l'Église réprouvait. Ils étaient considérés comme des combattants de l'Église, prêchant le salut par Dieu et son fils comme sauveur.
Toutes les réponses sont partiellement correctes.
J'entends une voix au fond dire : « Ils ont tué pour le roi de France et pillé l'or et les richesses des territoires qu'ils ont conquis pour l'Église. Puis, quand le roi a eu peur de leur popularité, Philippe IV et le pape Clément V ont ordonné leur arrestation.
« Beaucoup ont été exécutés, certains pendus. Ils ont été exposés publiquement. Beaucoup se sont enfuis en emportant les trésors convoités par le roi. »
Sa voix est agréable.
« C'est globalement exact. » Je m'interromps. Sa voix éveille quelque chose en moi. J'essaie de voir qui parle. Elle est assise au fond, en hauteur.
Tout ce que je peux voir, ce sont des cheveux noirs et des yeux verts. C'est la fille du café. Je commence à m'exciter, alors je me place derrière mon bureau.
« Pour le devoir, vous écrirez sur l'attaque du vendredi 13 contre les Templiers. Ça compte beaucoup dans votre note, alors faites de bonnes recherches.
« Certains les considèrent comme des tueurs sanguinaires. D'autres comme des héros de l'Église. Les deux peuvent être vrais.
« Je veux connaître votre point de vue. Ce sera intéressant de voir comment on les perçoit aujourd'hui. Vos devoirs sont à rendre vendredi. Ensuite, j'en choisirai un ou deux pour en discuter en classe. Vous pouvez commencer maintenant si vous le souhaitez. »
Je m'assieds à mon bureau et regarde à nouveau la fille aux cheveux noirs. Elle me fixe.
« La jeune femme qui a répondu en dernier, veuillez descendre s'il vous plaît. Je ne crois pas vous avoir déjà vue dans mon cours. »
Elle se lève et s'approche de mon bureau. Elle a un joli sourire qui illumine ses yeux. Elle fouille dans son sac à dos et me tend un papier.
Je le regarde. Elle s'est inscrite tardivement au cours. Son nom est Aspen Willows. Je la dévisage.
« La fille du café ce matin. »
Ses sourcils se lèvent et son sourire s'élargit.
« Oui. »
« Bienvenue dans mon cours, Mademoiselle Willows. » Je l'observe attentivement. Elle est athlétique et en forme. Elle fait visiblement de l'exercice.
Et d'après ce qu'elle a dit plus tôt, elle est intelligente aussi. Tout chez elle est intéressant. Je lui souris.
« J'ai hâte de lire votre devoir. » La cloche sonne, le cours est terminé. Tout le monde commence à ranger ses affaires. Elle se tourne et se dirige vers la porte, et je remarque à quel point son jean épouse bien ses formes.
Mince. J'essaie de me réajuster discrètement. Je sens mes crocs qui commencent à sortir et je bois rapidement mon café froid.
Une autre étudiante s'approche de mon bureau, se penchant pour mettre sa poitrine en valeur.
« Professeur, peut-on utiliser la bibliothèque de l'université pour nos recherches ? » Elle me regarde avec des yeux énamourés.
« Notre bibliothèque universitaire est très bien fournie. Vous y trouverez beaucoup d'informations pour un bon devoir, Mademoiselle...? » Je m'arrête, ne connaissant pas son nom. Et ne m'en souciant pas vraiment.
« Chamberline. Je suis la fille du doyen », dit-elle en souriant.
« Oh, alors vous devriez déjà savoir à quel point notre bibliothèque est bonne », je réponds, un peu agacé.
Elle a l'air surprise et recule d'un pas.
« Oui, bien sûr. Quelle idiote je fais. »
Je lève les yeux juste à temps pour voir Aspen s'arrêter à la porte et se retourner. Ses yeux brillent d'un éclat vert.
« Attends. Qu'est-ce que c'était ? » je me demande.
Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule et j'aperçois une fille qui tente d'attirer l'attention du professeur. Il est courtois, mais ne semble guère intéressé.
Elle se lève, secoue sa chevelure blonde et prend la pose. Je lève les yeux au ciel et continue de gravir les marches, dépassant mes camarades.
Juste avant d'atteindre la porte, je sens le besoin de me retourner une dernière fois, et nos regards se croisent. Quelque chose remue en moi. Je m'exhorte au calme et je sors.
Pas besoin de nous faire remarquer pour l'instant. Dehors, je retrouve Jenna et Rueben.
« Les gars font le tour de l'école ? » je demande en les rejoignant.
« Logan est sur le parking. On installe des petites caméras pour surveiller les coins sombres. Même si le prof ne conduit pas, on peut au moins sécuriser l'école pendant qu'on est là. Victor discute avec d'autres personnes envoyées par l'Alpha. Il essaie aussi d'obtenir une adresse pour qu'on puisse surveiller la maison du prof », explique Rueben en bougeant légèrement.
« Comment s'est passé le cours ? » demande-t-il avec un sourire.
« Il a parlé des Templiers. J'ai un devoir à rendre vendredi. J'ai une faim de loup ! Allons manger, puis on fera le point pour ce soir. On devra peut-être filer le prof. La plupart des vampires dorment le jour et sortent la nuit, mais pour celui-ci, je ne sais pas trop à quoi m'attendre, alors il faut être prêts. »
« Le voilà. Il vient de sortir du bâtiment », dit Rueben, le regardant traverser le campus vers un autre édifice.
« Il est pas mal », dit Jenna.
Genesis émet un grognement sourd.
« Genesis vient de grogner contre moi ? »
« Oui. Il semblerait que l'ancien roi vampire soit mon compagnon. Ou du moins, c'est ce que Genesis m'a dit », j'explique.
Les yeux de Jenna s'écarquillent. « Oh là là ! Tu en es sûre ? »
Je hausse les épaules. « Elle le pense. Je ne l'ai pas encore touché, donc je n'en suis pas certaine, mais il sent bon. »
« Ça va poser problème pour notre mission ? » demande Rueben.
« Je ne pense pas. Je suis d'abord une guerrière fantôme, Rueben. C'est mon boulot. Si ça change quelque chose, ça rendra Genesis plus alerte. À cause du lien entre compagnons et tout ça. »
« Tu l'as dit à l'Alpha ? » demande Jenna.
« Non, je suis le chef d'équipe. C'est ma décision. Si ça devient un problème, je le lui dirai et quelqu'un d'autre prendra le relais. En attendant, on reste discrets, on surveille et on arrête tout vampire qui essaierait de s'en prendre à lui. »
Rueben hoche la tête alors que Logan nous rejoint. « Les caméras sont installées. Il faut juste vérifier sur l'ordi qu'elles fonctionnent et enregistrent. Tu veux qu'on installe ça dans vos dortoirs ? »
« Oui, ce serait l'idéal. Mangeons un morceau, puis on retournera au dortoir pour les configurer. »
On va dans un petit resto en face de l'école et on s'installe dans un box. Après avoir commandé, on discute des tours de garde à cinq pour surveiller notre prof.
Les autres loups envoyés par mon frère sont censés guetter d'éventuels dangers qui viendraient à l'école pour attaquer des étudiants ou attendre le prof.
La porte s'ouvre et je sens une odeur de montagne. Sans me retourner, je sais que c'est lui. Il passe devant notre box et nous regarde tous les quatre.
Il sait que je suis assise avec des loups, mais Genesis cache mon odeur. Il s'assoit à une table près de nous, et la serveuse lui apporte de l'eau. Il commande une soupe et un sandwich.
Je dis par liaison mentale à mon équipe qu'on ne parlera plus de notre mission. Il pourrait entendre. Alors, on se met à parler de choses et d'autres.
Jenna et moi discutons d'aller peut-être faire du shopping au centre commercial, et les gars parlent d'un match de foot qu'ils veulent regarder à la télé.
« Hé, Aspen, et si on allait au ciné ce soir ? Ça te dit ? » suggère Jenna.
« Qu'est-ce qu'il y a à l'affiche ? » je demande en grignotant une frite.
« Je ne sais pas. Quand on rentrera au dortoir, on pourra jeter un œil sur internet. »
« Je viendrai avec vous pour t'aider à télécharger cette mise à jour pour ton ordi dont tu m'as parlé. Comme ça ce sera fait, et vous pourrez vaquer à vos occupations », propose Logan.
« Ça marche. » Je demande l'addition à la serveuse, et quand elle l'apporte, on se lève pour partir.
Je les laisse passer devant, et en passant près de la table du prof, je fais tomber le ticket. On essaie tous les deux de le ramasser en même temps. Nos mains se touchent, et c'est comme une décharge, mais pas désagréable !
Mon cœur s'emballe, et Genesis fait un bruit fort dans ma tête. « Oh, merci, Professeur Albescu », je dis doucement.
Il se rassoit et me fixe. Il a l'air perplexe et regarde ma poitrine comme s'il pouvait entendre mon cœur battre la chamade.
« Je vous en prie, Mademoiselle Willows », dit-il. Sa voix est très agréable à écouter, presque comme s'il essayait de me charmer.
Je souris. Puis, je lui fais un clin d'œil, me tourne vers mon équipe, paie notre repas et nous partons.
