
Le jour où Rosa, la petite de ma sœur, a vu le jour, c'était à la fois un moment de joie et d'angoisse. Nous étions aux anges parce que ma nièce venait de pointer le bout de son nez. On lui a donné le prénom de notre mère, que je porte toujours dans mon cœur, même après tout ce temps. Mais nous étions aussi sur les dents parce que mon père avait fait un malaise.
Après le départ d'Emma, ma frangine, la santé de papa a commencé à décliner. Au début, je me disais que c'était le stress de gérer notre meute sous la coupe d'Orion. Mais même après avoir rendu les rênes à notre Alpha, l'état de papa ne s'est pas amélioré.
Je crois qu'Orion, mon beau-frère, a commis pas mal d'erreurs. Mais depuis qu'Emma l'a aidé à se ressaisir, j'ai l'impression d'être le seul à m'en souvenir. Comment pourrais-je oublier ?
Il l'a forcée à quitter le bercail, a pris le contrôle de notre meute pacifique, puis nous a laissés tomber quand il a compris sa bévue. Nous avons mis plus d'un an à nous en remettre, surtout grâce à l'argent qu'Emma nous envoie.
Je ne peux vraiment pas le supporter.
Je sais qu'il est le compagnon de ma sœur et la raison pour laquelle nous nous en sortons encore, mais je ne peux pas l'apprécier. Je pense que s'il nous avait fichus la paix dès le début, rien de tout ça ne serait arrivé. Mais je garde ces pensées pour moi.
Surtout maintenant que je suis censé vivre avec lui dans leur meute pour aider papa à se remettre sur pied. Je trouve ça vraiment nul. Mais voir le bébé aidera papa, et je sais qu'Emma lui manque.
Elle me manque aussi, et je veux faire partie de la vie de Rosa. J'ai juste besoin de temps pour être moins en colère contre son père.
« Il n'avait pas besoin d'envoyer une voiture », ronchonne papa pour la troisième fois alors que nous nous dirigeons vers la meute de la Lune de Sang. « Je peux encore changer. »
Il est contrarié maintenant qu'ils savent qu'il est malade. La voiture montre qu'Emma s'inquiète pour lui. Au début, nous voulions garder le secret pendant qu'elle se remettait de l'accouchement. Nous l'avons caché pendant deux mois, mais si nous avions attendu plus longtemps, elle aurait envoyé des gens pour nous surveiller au lieu d'une voiture.
« Si tu crois qu'ils ne vont pas te couver comme une mère poule, tu te mets le doigt dans l'œil », je lui dis en regardant par la fenêtre.
Depuis que nous sommes montés dans cette voiture, mon loup est agité. Mais papa n'aurait pas accepté le trajet si je n'étais pas venu, alors nous voilà. Je devrai courir à notre arrivée pour le calmer. Le collier autour de mon cou semble se resserrer à mesure qu'il supplie de changer.
« J'aimerais qu'elle ne s'inquiète pas autant... »
Je cesse d'écouter, mon oreille humaine bougeant d'une façon que je ne pensais pas possible. Ma main se tend vers la poignée de la portière comme si elle avait sa propre volonté — ou plutôt, celle de mon loup.
Avant que je puisse me retenir, il nous fait sortir de la voiture et atterrir sur la route. Nous changeons en quelques secondes et filons dans les bois. Je n'ai même pas le temps de m'excuser auprès de papa ou de m'expliquer par liaison mentale avant que mon loup ne hurle : « COMPAGNE. »
Attends, quoi ? Est-ce que ça m'arrive enfin ? Je ne l'ai jamais dit à personne, mais j'avais presque perdu espoir après toutes ces années. Mais ma compagne, elle est là et il peut la sentir.
« Où est-elle ? Trouve-la ! Cours ! » Je lui crie presque dans notre esprit, et il s'élance immédiatement.
Nous courons à toute allure à travers la forêt, suivant l'odeur de cannelle et de café. Ça me rappelle les dimanches matins avec ma mère, un moment dont je ne savais pas l'importance jusqu'à maintenant. Quelle sera mon odeur pour elle ?
Déesse, où est-elle ? J'aurai l'éternité pour poser ces questions, mais elles n'auront pas d'importance si elle n'est pas là. J'ai attendu des années pour ça, mais courir une minute de plus me semblera une éternité.
Compagne.
Mon loup s'arrête à la lisière d'une clairière, et c'est là que je la vois. Elle est grande, sombre, puissante, mais indéniablement féminine. Les yeux bleu vif de son loup nous fixent. Notre cœur s'emballe, et pendant un instant, je ne fais que regarder, incrédule.
N'arrivant pas à croire qu'elle puisse être réelle après tout ce temps.
J'ouvre notre gueule pour parler, oubliant un instant que je suis un loup. Je secoue la tête en réalisant et reprends forme humaine. Je veux tellement lui parler, à cette autre moitié de moi offerte par la Déesse de la Lune elle-même. Ça n'a jamais semblé aussi réel.
Mais ça paraît trop beau pour être vrai. Au moment où je tends mon bras humain vers elle, ma compagne tant attendue s'enfuit dans les arbres.
Qu'ai-je fait ?