P. Gibbs
Voici ce que je pense des voyages en voiture : tout trajet de quatre heures ou moins est un jeu d'enfant. Plus on ajoute de temps, plus je m'énerve.
Le rock classique, la caféine et les bonbons ont leurs limites. Et plus le voyage est long, plus je vais vite.
Heureusement, aucun policier ne m’avait arrêté jusqu'à présent et j'en étais reconnaissante. Les dernières semaines avaient mis mes nerfs à rude épreuve.
Au fur et à mesure des kilomètres, je dressais une liste des questions que je voulais poser à Zach, la première étant de savoir s'il avait connu ma mère. Les autres, sans ordre particulier, étaient :
~Comment avez-vous appris la mort de ma mère ? Pourquoi ma mère voulait-elle que le testament soit lu dans un trou comme Sumner Creek? Combien de temps faudra-t-il pour tout régler ? Quand est-ce que ma mère avait rédigé son testament ? Pourrais-je signer tous les documents nécessaires pendant que je suis ici ou devrais-je faire un aller-retour ?
Les questions les plus pressantes, cependant, étaient celles auxquelles Zach ne pouvait pas répondre.
Pourquoi ne m'a-t-elle jamais parlé de cet endroit ? Pourquoi me l'aurait-elle caché ? Si elle m'a caché ce fait, que m’a-t-elle caché d'autre ?
Après quelques heures de route, je réalisai que je n'avais nulle part où dormir une fois arrivée en ville, puisque nous ne nous rencontrerions pas avant le lendemain matin.
Il fallait mettre cet oubli sur le compte du chagrin, sans doute. Ou du choc. Je n'avais jamais entendu parler de ce testament rédigé dans l’État de Georgia et je ne savais pas que ma mère avait beaucoup de biens.
Que faire lorsque quelqu'un que vous pensiez connaître vous a caché des secrets pendant des décennies ? J'avais réfléchi à cette question et je n'avais toujours pas de réponse.
Je m’arrêtai pour faire le plein et pendant que la pompe coulait, je sortis mon téléphone portable pour chercher des hôtels à proximité. Un problème apparut. Le seul hôtel entre ici - où que je sois - et Sumner Creek était un endroit appelé Motor Coach Motel.
Pas d’avis. Pas de commentaires. Je regardai sur des applications de voyage. Il n'y avait rien. Il n'y avait pas d'autre hôtel ou B&B près de la ville.
J'élargis ma recherche et je trouvai un endroit de l'autre côté de Sumner Creek, encore une heure de route plus loin. Il n'y avait aucun avis non plus,rien d’autre qu’un numéro de téléphone.
J’appelai et entendis le redoutable message suivant : "Nous sommes désolés. Ce numéro de téléphone est soit déconnecté, soit n'est plus en service..." Je rappelai pour m'assurer que j'avais bien composé le bon numéro. Même message.
Ma seule option maintenant était de conduire jusqu'au seul hôtel sur mon chemin vers Sumner Creek. Je pourrais jeter un œil sans perdre de temps ni d'essence.
Je n'avais pas d'autres options, sauf si je voulais aller dans une grande ville, mais cela signifiait un trajet supplémentaire et j'avais déjà dépassé mon seuil de tolérance aux bonbons et à la caféine.
Au moment où mon agitation atteignait son paroxysme, je vis le "Motor Coach Motel" éclairé en vert fluo avec un panneau adjacent qui indiquait "chambres disponibles". Quelle surprise !
Je quittai la route pour entrer sur le parking et je vis quelques autres voitures garées là - des voitures qui ne donnaient pas l’impression que l’une des chambres servait à vendre de la drogue. Un préjugé, je le savais. Trop de films policiers.
Je fis le tour du bâtiment et je fus choquée de voir à quel point il était propre. Aucune bouteille de bière ne jonchait le sol. La poubelle ne débordait pas d'ordures. L'herbe - ce qui restait sous la chaleur torride de l'été - avait été tondue récemment.
Je me garai sous l'auvent jaune près de l'entrée principale et j’avançai jusqu'à une porte en verre. Je tirai dessus mais elle ne bougea pas. J’observai l'encadrement de la porte jusqu'à ce que je trouve une sonnette. J’appuyai dessus et j’entendis un agréable tintement, mais personne ne répondit.
Je sonnai à nouveau, cette fois plus longtemps que la première fois. Une porte adjacente au bureau d'accueil s’ouvrit et une femme s’avança vers moi.
Vêtue d'un jogging en satin rouge et de Nike blanches, elle mesurait moins d'un mètre cinquante et ressemblait à une grand-mère prête pour les Jeux Olympiques Seniors. Elle avait des cheveux courts argentés qui montaient en pointes sur sa tête.
Elle courut presque jusqu'à la porte d'entrée pour la déverrouiller et commença à parler immédiatement.
"Je suis vraiment désolée, ma petite. Je suis la seule à travailler à l'accueil ce soir, alors quand je fais une pause pour manger ou apporter des draps supplémentaires à un client, je dois verrouiller les portes d'entrée. Je dois même fermer à clé quand je dois aller aux toilettes", expliqua-t-elle.
Je n'avais pas besoin de le savoir.
Je la suivis jusqu'au comptoir d'accueil, puis elle fit le tour pour s’occuper de moi.
"Comment puis-je vous aider, ma petite ?" demanda-t-elle.
"Avez-vous des chambres de libre ? Et... euh... pourrais-je en voir une avant de la louer ?" Je me sentais mal de demander ça, mais je n'allais pas dépenser de l'argent pour dormir avec des mouches et des cafards.
Grand-mère Olympe gloussa et hocha la tête d'un air entendu. On lui avait déjà posé cette question et elle n'était pas vexée par ma minutie.
"Bien sûr. Pas de problème. Suivez-moi."
Elle attrapa un trousseau de clés et une carte magnétique en plastique. Elle me guida hors du hall et ferma les portes derrière nous. Elle m’emmena vers le trottoir, et je fis une pause pour la laisser ouvrir la voie.
Je luttai pour suivre son rythme. Elle avait de l’énergie à revendre.
Elle me fit un récapitulatif des tarifs pendant que nous marchions. J’eus un agréable choc. Le prix d'une nuit ici couvrait à peine les taxes d'occupation d'un hôtel quatre étoiles à Nashville.
Elle s'arrêta à la deuxième porte, glissa la carte magnétique et tira sur la poignée pour ouvrir la porte.
"Voilà", dit-elle, et elle se recula pour que je puisse examiner la pièce.
J'avais devant moi la chambre d'une sitcom des années 80. Un lit occupait la majeure partie de l'espace. Un couvre-lit avec un motif floral était placé sous deux oreillers à la tête du lit. Des rideaux assortis étaient suspendus à la fenêtre.
Tous les meubles étaient en contreplaqué de chêne, il y avait une tête de lit, un petit bureau et une commode à six tiroirs. Au-dessus de la commode se trouvait une télévision qui n'était pas HD, mais qui datait au moins de ce siècle.
La chambre sentait le moisi mais était propre, ce qui m'impressionna étant donné l'âge du motel.
"Ça vous convient ?" La voix de l'employée me fit sursauter. J'avais oublié qu'elle était derrière moi.
Je hocha la tête. "Oui, madame."
Elle se dirigea vers le bureau de l'accueil, je la suivis. Elle prit son poste derrière le comptoir, attrapa ses lunettes et tapa mes informations avec autant d’énergie que sa démarche.
"Combien de nuits allez-vous rester ?"
Bonne question. Je n'avais pas réfléchi aussi longtemps à l'avance. Sans connaître les détails du testament, je n'avais aucun moyen d'estimer.
"Je ne suis... pas sûre. Est-ce que je pourrais laisser la date de départ ouverte ?"
Elle arrêta de picorer le clavier, enleva ses lunettes de lecture et me regarda de haut en bas comme si elle jugeait si j'étais ou non une détenue en cavale.
"Laissez-moi vous expliquer", proposai-je rapidement.
"Ma mère est décédée récemment et j'ai rendez-vous avec son avocat à Sumner Creek pour écouter son testament. Je ne sais pas ce qu'il y a dans le testament ni combien de temps je dois rester pour régler la succession."
Sa posture se détendit. Elle hocha la tête et remit ses lunettes en place.
"Très bien, ma petite. Nous n'offrons pas de réductions pour les tarifs hebdomadaires. Il y a trop de mauvais payeurs et de délinquants, si vous voyez ce que je veux dire", dit-elle en laissant tomber ses lunettes pour observer ma réaction.
Je hochai la tête comme si je comprenais les périls de l'industrie hôtelière.
Elle termina la paperasse et je signai un registre. J'échangeai le registre contre ma carte d'accès.
"Faites-moi savoir quand vous partirez. Je m’appelle Madeline. Dites-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit, d'accord ?"
Je murmurai un merci et quittai le hall. En ouvrant les portes vitrées, j’entendis : "Toutes mes condoléances."
Je serrai les dents, je la saluai sans me retourner et je marchai jusqu'à ma chambre.