Travaillez avec moi - Couverture du livre

Travaillez avec moi

R S Burton

Chapitre 3

RUBY

Le lendemain, je suis entrée à Clarke Industries la tête haute, derrière les filles avec lesquelles j'avais travaillé quelques jours plus tôt.

Je n'étais pas idiote, je savais que ma promotion était vraiment un cas de « dernière arrivée, première partie », mais il y aurait un rebondissement.

Pourtant, travailler pour Tobias Clarke ne s'avérait pas aussi effrayant que presque tout le monde au deuxième étage semblait le penser.

Oui, il était froid, et après quatre jours, je ne l'avais pas vu sourire une seule fois. Mais il n'était pas non plus le pire homme que j'avais connu.

Je suis entrée dans l'ascenseur et je me suis mise sur le côté. Les filles du deuxième étage me regardaient sans rien dire. Les portes se sont ouvertes au deuxième étage et tout le monde est sorti. Tout le monde sauf moi.

Lorsque je suis arrivée au dernier étage, j'ai traversé le couloir jusqu'à mon bureau et j'ai trouvé un petit bout de papier plié sur mon clavier.

J'ai froncé les sourcils. Tobias ne semblait pas avoir l'habitude de laisser des notes, et je ne connaissais vraiment personne d'autre. J'ai refoulé ma panique et saisi nerveusement le morceau de papier.

Rubes, je t'aime. Réessayons. Ben.

Mon dos s'est raidi et j'ai regardé autour du bureau, en prenant soin de ne pas trop bouger. Mon ventre s'est noué et j'ai soudain ressenti une envie pressante de vomir.

J'avais fait attention à ne pas laisser de traces écrites derrière moi lorsque j'avais déménagé à Worthington, et même lorsque j'avais commencé à travailler, j'avais veillée à rester prudente.

En fait, si j'avais choisi ce cirque avec le train et les deux bus, c'était en partie pour que les gens aient plus de mal à me trouver... Pour que Ben ait plus de mal à me retrouver, pour être précise.

De toute évidence, j'avais échoué, car une note écrite de sa main se trouvait sur mon bureau. J'ai fermé les yeux.

***

Il m'avait maintenue au sol comme un policier maintient un criminel au sol. Les bras dans le dos, le genou sur la nuque.

J'avais essayé de m'enfuir, mais j'avais trébuché, et il avait profité de ma maladresse.

« Stupide pétasse ! » Il avait ri.

« Lâche-moi, Ben. S'il te plaît ! » l'avais-je supplié. J'avais passé l'année précédente à le supplier. J'en avais marre de supplier.

« Tu ne peux pas me dire ce que je dois faire, femme. » Il s'était déplacé un peu, enfonçant davantage son genou dans mon cou. J'avais hurlé de douleur, mais il s'en fichait. Il ne s'en était jamais soucié.

Il avait enfin bougé, pressant ses lèvres contre mon oreille. « Tu es à moi. Ne l'oublie pas. Tu ne me quitteras jamais. »

Il avait effleuré mon dos de ses doigts avant de les passer sous le col de ma chemise et de me soulever du sol. « Personne ne t'aimera jamais comme je t'aime. »

J'avais envie de lui cracher au visage et de le frapper, mais je n'aurais pas valu mieux que lui. Au lieu de cela, j'avais hoché la tête et j’étais passée devant lui pour retourner dans ma chambre.

J'avais mis mes livres dans un sac pendant qu'il me regardait, et je pouvais sentir sa colère monter à nouveau, même si je l'ignorais.

« Où tu crois aller ? » avait-il dit en ricanant.

« À la fac. J'ai un cours de marketing très tôt », avais-je menti. Ben avait abusé de moi pour la dernière fois. J'allais m'enfuir. J'allais m'enfuir le plus loin possible de lui.

Je l'avais laissé entrer dans ma vie parce que j'étais seule, et comme le vampire qu'il était, il m’avait vidée de ma vie. Je ne voulais plus de ça. C'était fini.

***

J'ai rouvert les yeux, reconnaissante de me retrouver dans ce bureau, tenant toujours la note repoussante entre mes doigts. Je l'ai jetée sur le côté et j'ai lutté pour calmer ma respiration.

« Ah, de retour parmi les vivants ? » a retenti la voix de Tobias devant moi.

J’ai levé les yeux pour croiser son regard désapprobateur et je me suis mordu la lèvre. « Désolée, monsieur », ai-je dit.

« Je ne vous paie pas pour que vous rêvassiez, mademoiselle Moritz. »

J'ai acquiescé. Il avait raison. J'avais ramené mon passé au bureau, ou plus exactement, mon passé m'avait retrouvée. Rêve ou cauchemar, peu importait.

Une partie de moi que j'espérais disparue depuis longtemps avait refait surface.

« J'ai trois réunions aujourd'hui. Je veux que vous vous prépariez pour chacune d'entre elles. Vous prendrez des notes. »

« Oui », ai-je répondu en serrant les dents.

Tobias a secoué la tête et pris la note sur le bureau. Je me suis apprêtée à lui demander de me la rendre, mais je ne l’ai pas fait. Je ne voulais pas m'expliquer à ce sujet.

Je ne voulais pas avoir à lui dire que ce mot n'était pas du tout désiré, et que les mots de Ben me remplissaient d'une peur que je n'avais pas ressentie depuis longtemps.

« Eh bien » a-t-il dit sèchement. « N'est-ce pas charmant ? »

J'ai ravalé la bile qui montait dans ma gorge. Penser à Ben, quel que soit le contexte, n'était pas charmant. J’aurais voulu ne jamais voir ce mot. Je voulais oublier jusqu’à son existence.

« Je ne donne pas de seconde chance, mademoiselle Moritz, alors vous feriez bien de comprendre que votre vie privée n'a pas sa place dans ce bureau. La première réunion est dans vingt minutes. »

Il a laissé retomber la note, et je l'ai regardée sur mon bureau.

Des larmes ont piqué le coin de mes yeux. Ben savait où je travaillais et pour qui je travaillais. Il était venu ici, il avait laissé un mot. Soudain, se faire virer avait un certain attrait.

« Mademoiselle Moritz », m’a appelée Tobias.

J'ai levé les yeux, refoulant pour quelques minutes encore les larmes qui voulaient s'échapper. Je pourrais les laisser couler quand Tobias serait de retour dans son propre bureau.

Le regard de Tobias était sombre. Il a froncé les sourcils, la main sur la porte en verre dépoli de sa glacière.

« Oui, monsieur », ai-je dit consciencieusement.

« Vous allez bien ? » Sa voix était soudain douce, ce qui m'a troublée. Alors qu'il m’avait réprimandée pour avoir été distraite, il semblait presque inquiet.

J'ai regardé le bout de papier qui traînait et j'ai hoché la tête. Sauf que je n'allais pas bien. J'étais terrifiée.

J’ai levé le regard et vu les portes du bureau de Tobias se refermer derrière lui.

La note était encore dans mon esprit lorsque j'ai marché avec les hommes dans le bureau de Tobias pour la première réunion. Je me suis assise dans un coin de la pièce et j'ai pris des notes sur un ordinateur portable pendant qu'ils parlaient.

Entre les discussions sur les acquisitions et l'argent, mon esprit vagabondait et je ne pouvais m'empêcher de me demander comment Ben m'avait trouvée et pourquoi maintenant... presque deux ans plus tard.

J'avais changé de ville et d'université pour l'éviter. Je voulais un nouveau départ. Je pensais avoir réussi.

« Mademoiselle Moritz ? » La voix bourrue de Tobias m’a sortie à nouveau de mes pensées.

J’ai levé les yeux vers lui et constaté que son bureau était vide.

« Il est clair que vous avez des choses plus importantes à l'esprit. Et si vous rentriez chez vous ? »

« Monsieur, je vous en prie. Ne me renvoyez pas... »

Pas encore. J'ai besoin d'argent, juste assez pour m'enfuir encore.

Tobias a croisé les bras devant sa poitrine. « Deux fois aujourd'hui, vous avez été distraite. Je n’ai aucune indulgence, mademoiselle Moritz, et vous mettez ma patience à l'épreuve. »

Il avait raison, je manquais de professionnalisme. Ben avait cet effet sur moi. Mais je ne voulais pas rentrer chez moi. J'étais plus en sécurité ici que dans cet appartement isolé. Si Ben savait où je travaillais, il savait aussi où je vivais.

J'avais besoin de temps pour réfléchir à ce que je devais faire.

« S'il vous plaît ? » l’ai-je supplié à nouveau.

Tobias a poussé un soupir exaspéré.

« Si je n'avais pas de réunions à gérer, mademoiselle Moritz, je n'y songerais même pas. Sortez de mon bureau et retournez au vôtre. Mettez en ordre ces notes pour moi aussi. »

J'ai acquiescé et je me suis levée, me précipitant vers la porte comme une petite souris.

« Mademoiselle Moritz ? » m'a-t-il lancé.

Je me suis arrêtée en déglutissant avec difficulté.

« Où est passée cette fille pleine de culot qui s'est présentée le premier jour ? »

C’était une supercherie, et il le savait. Je n'ai pas répondu à sa question. J'ai compris qu'elle était rhétorique de toute façon, et je suis retournée dans mon propre bureau.

Je me suis assise et j'ai passé mes doigts sur le clavier. Je marchais sur une fine couche de glace. Un faux pas de plus et j'étais sûre d'être fichue.

J’ai soupiré et consulté les notes de la réunion, mais avant que je puisse me concentrer sur mon travail, j’ai été interrompue.

« Rubes. »

Mon sang n'a fait qu'un tour. Je n'ai pas levé les yeux. Je connaissais cette voix, je n'avais pas besoin de voir son visage.

« Tu sais, c'est très facile de monter ici. Ces portes de sécurité restent ouvertes bien trop longtemps. » La voix de Ben résonnait dans l'air, assaillant mes oreilles de sa présence.

« Pourquoi es-tu ici ? » ai-je dit en serrant les dents.

« Cela fait un moment que je te cherche, chérie. Je suis ici pour réclamer ce qui m'appartient. »

La colère brûlait dans mes veines. Je n'étais pas sa chérie, et je n'étais pas à lui.

Je me suis levée et j'ai contourné le bureau. J'ai enfoncé un index dans sa poitrine, mes lèvres se tordant de mépris.

« Je ne suis pas à toi. Je ne l'ai jamais été. Tu dois partir. Maintenant ! »

Ben s'est moqué de moi comme il l'avait déjà fait à plusieurs reprises. Il a attrapé ma main sans réfléchir et l'a tirée, rapprochant tout mon corps du sien.

J’ai essayé de me dégager de sa prise, mais il était plus fort que moi.

Il m’a poussée durement contre un mur, suffisamment fort pour qu'un des tableaux coûteux de Tobias se décroche et tombe avec un bruit sourd sur le siège vide à côté de moi.

J’ai fermé les yeux et je me suis préparée à ce qui allait arriver. Mais rien ne s’est produit. Soudain et inexplicablement, le poids de Ben a disparu, il ne m'oppressait plus.

Mes yeux se sont rouverts, et j’étais choquée en voyant que Tobias maintenait Ben au sol.

« Qui êtes-vous ? » a crié Tobias, tenant Ben au sol comme il m'avait tenue au sol le jour où je m'étais enfuie.

J'ai dégluti et reculé. Je venais sûrement de perdre mon travail, même si Tobias m'avait sauvée.

« Son petit ami », a dit Ben d’une voix étouffée à cause du genou de Tobias contre sa nuque.

« C'est drôle, petit con, parce que c'est la mienne de petite amie », a craché Tobias. « Et si jamais tu te montres à nouveau ici... Tu ne veux pas savoir ce que je vais te faire. »

Le mensonge de Tobias m’a surprise, mais j’étais encore plus surprise de constater qu'il ne me dérangeait pas. Peut-être que cela ferait fuir Ben.

Ben a levé les yeux vers moi, ses yeux se sont plissés. « Putain de salope ! »

Tobias a remis Ben debout et lui a montré la porte. « Fous le camp de mon immeuble. Tout de suite ! Avant que j'appelle les flics ! »

Ben s'est redressé et a couru vers l'ascenseur.

Je n'ai pas bougé. Je ne voulais plus jamais le revoir, même si c'était pour le voir partir. J'ai entendu la sonnerie retentir et les portes se fermer, et ce n'est qu'après que Tobias soit revenu du couloir que je me suis détendue.

« Ben, je suppose ? » a-t-il demandé d’un air renfrogné. « L'auteur de votre mot d'amour ? »

J’ai levé les yeux vers Tobias. Son visage était sombre et agité.

« Oui », ai-je murmuré. « Je suis désolée... Je ne savais pas qu'il... Je ne savais pas. » J'ai baissé les yeux, mes larmes coulant comme une cascade après une pluie torrentielle.

J'avais cru que tout était fini. J'avais cru avoir une seconde chance. J'avais pratiquement oublié cette partie de mon passé.

Mais Ben était revenu et, par sa présence, il avait ravivé tous ces souvenirs. Je savais que malgré la menace de Tobias, Ben n'abandonnerait pas.

Tobias m’a tenue par le coude et m’a accompagnée de mon bureau jusqu’au sien. « J'en déduis que votre distraction n'était pas une partie de plaisir ? » a-t-il demandé, l'air inquiet. En fait, toute colère avait disparu de sa voix.

J’ai secoué la tête. C'était tout ce que je pouvais faire, il était hors de question de parler à Tobias de ma relation ratée. Il pensait déjà que j'étais inutile. Je ne voulais pas qu'il me considère aussi comme une faible.

« Je vais renforcer la sécurité dans le bâtiment. Je suis désolé qu'il ait réussi à monter jusqu'ici », a-t-il déclaré doucement.

« Je ne suis pas viré ? » ai-je murmuré, surprise par la réaction de Tobias après ce qui venait de se passer.

Il a posé une main sur la mienne, ce qui a attiré mon attention.

J’ai levé les yeux vers lui et pour une fois, ses yeux n’étaient pas froids ou en colère. Au lieu de cela, son regard correspondait à l'inquiétude de sa voix.

« Ruby, je suis un connard... mais je ne le suis pas tant que ça. »

La façon dont il a prononcé mon prénom m'a remplie d'une chaleur que je n'avais pas ressentie depuis longtemps. Sa main libre a remis en place une mèche de cheveux qui était collée à ma joue tachée de larmes.

« Merci », ai-je murmuré. « Je suis désolée. Ma vie privée... »

Je n'avais pas voulu que tout cela me suive jusqu'ici, mais c'était le cas.

Tobias a secoué la tête. Sa main droite était toujours posée sur la mienne, et sa main gauche toujours derrière mon oreille.

« Je suis content d'avoir été là. »

« Je suis contente que vous étiez là, moi aussi », ai-je murmuré.

Tobias a ouvert la bouche comme pour continuer à parler, mais aucun mot n’est sorti. Puis il s’est redressé, a éloigné ses mains de moi et a penché la tête.

« Mettez ces notes au propre et rentrez chez vous pour le reste de la journée. »

J'ai acquiescé et je me suis levée pour sortir du bureau. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Je n'ai pas demandé à Tobias pourquoi il avait menti à Ben parce qu'au fond de moi, je le savais déjà.

Il voulait éloigner Ben pour de bon, et prétendre être mon petit ami ressemblait à une bonne raison pour quiconque de se tenir à l'écart de moi.

Mais pas Ben... Il reviendrait pour moi. Peut-être pas avant un moment. Mais il reviendrait.

J'ai mis les notes au propre pour Tobias et je me suis dirigée vers les portes du bureau. Avant que je puisse frapper, les portes se sont ouvertes et Tobias se tenait là.

« Vous avez déjà fini ? »

« Oui », ai-je répondu. « J'espère que c’est assez bien fait. »

J’ai tendu le papier à Tobias. Il l’a pris et a jeté un coup d'œil sur mon travail.

« Il me semble que c'est très bien. J'étais sur le point d'aller déjeuner. Je peux vous raccompagner chez vous ? »

J’ai secoué la tête et reculé d'un pas. « Je ne peux pas... euh, j'habite assez loin du bureau. Mais merci. »

« J'ai le temps, mademoiselle Moritz », a-t-il rétorqué. « Ma prochaine réunion n'est pas avant 14 heures, et je veux m'assurer que vous rentrez chez vous en toute sécurité. »

Je me suis mordu la lèvre. Je n'étais pas sûre de pouvoir supporter qu'il ait encore moins d'estime pour moi, ce qui ne manquerait pas d'arriver s'il voyait le taudis que j'appelais ma maison.

J'ai essayé de trouver une excuse pour me sortir d'une situation apparemment impossible, mais je n'ai rien trouvé.

« Merci, monsieur. »

Je l'ai suivi hors du bureau et dans l'ascenseur. Il a appuyé sur le bouton du rez-de-chaussée et nous avons attendu en silence que les portes se referment. Aucun de nous deux n'a parlé pendant que l'ascenseur descendait jusqu'à l'étage le plus bas.

Les portes se sont ouvertes et Tobias m'a fait sortir.

Lorsque nous sommes arrivés à sa voiture, il a sorti un petit porte-clés noir de sa poche et a appuyé sur un bouton avant d'ouvrir la portière.

Une BMW i8 noir mat. Il avait manifestement dépensé beaucoup d'argent pour l'acquérir, rien n'était standard. Les portières s'ouvraient vers le haut et vers l'extérieur, des portières papillon. Je me suis souvenue que mon père, passionné de voitures, m'en avait montré quand j'étais plus jeune.

« Jolies roues », ai-je dit avec un sourire. « Vous êtes soucieux de l'environnement ou vous appréciez simplement leur aspect ? »

« Les deux », a-t-il répondu.

« Impressionnant », ai-je dit en m'installant sur le siège noir et bas. C'était probablement la voiture la plus chère dans laquelle j'allais m'asseoir, alors j'ai décidé d'en profiter.

Une fois les portières fermées, Tobias a démarré la voiture. « Quelle adresse ? » a-t-il murmuré, les mains posées sur l'écran du GPS.

Ma bouche est devenue sèche et j'ai envisagé de lui donner une fausse adresse, mais je savais qu'il se rendrait compte que je mentais.

« 184 Wheaten Avenue, Weatherly. » Au moment où l'adresse est sortie de ma bouche, j'ai vu qu'il avait compris que je résidais du « mauvais côté » de la ville.

Je l'ai entendu soupirer, mais il a quand même tapé l'adresse.

« Vous n'avez pas besoin de m'emmener. Comme je l'ai dit, c'est assez loin », ai-je ajouté, soudain impatiente de sortir de cette voiture et de cette situation.

« Je vous l'ai dit, je veux m'assurer que vous rentrez chez vous en toute sécurité », a-t-il répondu d’une voix grave et ferme.

Nous n'avons plus parlé. Au lieu de cela, il a sorti la voiture de son emplacement et quitté le parking souterrain.

C'est autour de Lester Street que le quartier changeait d’ambiance. Apparemment, il n'en avait pas toujours été ainsi.

La ville de Worthington avait été autrefois très prisée, une destination touristique, un endroit où les riches affluaient. Au fil du temps, les choses avaient changé.

Worthington était toujours une métropole, mais elle était désormais comme toutes les autres grandes villes : imparfaite.

La i8 de Tobias attirait l'attention tandis que nous roulions sur les routes crevassées du bas de la chaîne alimentaire de Worthington. J'ai remarqué les regards braqués sur nous, mais j’ai supposé que lui ne les remarquait pas. Il n'avait pas l'air d'être le genre de personne à s'en soucier le moins du monde, de toute façon.

Lorsqu'il s'est arrêté devant mon immeuble délabré, le voir retenir son souffle m'a indiqué ce qu'il pensait de mon logement.

Il a coupé le moteur et a regardé la palissade en béton cassée, les fenêtres condamnées et le bâtiment décoloré. « Vous vivez ici ? » a-t-il dit sèchement. « Là-dedans ? »

« Les apparences peuvent être trompeuses. Mon appartement est correct en fait », ai-je répondu, sans préciser que la seule raison pour laquelle mon appartement était correct, c’était que je m’étais donné du mal pour qu'il le soit.

« Et la sécurité ? Et si ce simulacre d’homme vous retrouve ? »

Ben savait où je travaillais, il était donc logique qu'il ait aussi découvert où je vivais.

J'ai sorti mes clés de mon sac à main et les ai fait tinter dans le creux de ma main. Je ne pouvais plus avoir peur. Je m’étais donné tellement de mal pour me libérer de Ben.

Je devais être courageuse, au moins jusqu'à ce que j'aie assez d'argent pour recommencer ma vie ailleurs.

« Je me débrouillerai. J'ai une serrure à pêne dormant et des voisins curieux », ai-je dit en plaçant ma main sur la poignée de la porte.

Je me suis retournée vers Tobias, qui a acquiescé, mais ses lèvres étaient serrées et son regard sombre.

« Merci de m'avoir raccompagnée, monsieur. »

« De rien », a-t-il répondu en tournant son visage vers la rue.

J'ai ouvert la portière et je suis sortie. Ce n'est qu'une fois que j'ai refermé la portière que l'une de mes voisines curieuses m'a interpellée.

« Regardez-moi ça ! Mademoiselle Muck se fait raccompagner par son protecteur. »

Madame Ferris était âgée et certainement un peu folle. Je l'ai regardée et j'ai secoué la tête.

Elle plaisantait, mais je n’étais même pas sûre que Tobias sache ce qu'était une plaisanterie. Ce type n'avait pas souri une seule fois depuis que j'avais commencé à travailler pour lui cinq jours plus tôt.

Tobias est reparti, et je suis restée un moment sans réaliser ce qui s'était passé.

Pour tout le monde, c'était un ogre, un homme sans conscience, quelqu'un qui ne vivait que pour lui-même. Mais je voyais plus que cela.

Il était colérique, avait une volonté de fer et il était glacial, oui... Mais il se souciait des autres.

Je me suis retournée et j'ai monté les marches de l’immeuble. J'ai grimpé les vieux escaliers jusqu'à mon étage, j'ai déverrouillé ma porte et je suis entrée.

J'ai verrouillé la porte. J'étais nerveuse à l'idée d'être seule ici, surtout après cette journée, mais je ne pouvais compter que sur moi-même.

Vers 18 heures, j'ai préparé du chop suey, puis je me suis assise devant mon vieil ordinateur portable presque cassé, pour manger.

Tous les soirs, c'était la même chose depuis que j'avais commencé à travailler chez Clarke Industries : je rentrais à la maison, je cuisinais et mangeais tout en regardant quelque chose d'ennuyeux sur Netflix.

Seulement, ce jour-là, je suis allée sur Google et j'ai tapé « Tobias Clarke ».

Tobias, sans surprise, avait une page Wikipédia. Avec un sourire en coin, j'ai cliqué dessus. On y trouvait une liste de ses différentes carrières et de ses diplômes, et en dessous, une partie qui mentionnait « Vie personnelle ».

Tobias est le seul enfant de Jonas Clarke, un magnat des affaires à présent décédé, et de son épouse Evelyn Clarke (née Horton).

Un cancer rare avait été diagnostiqué chez Evelyn Clarke lorsque Tobias avait quatre ans. Jonas avait élevé Tobias seul et, après sa mort, son fils avait hérité de l'entreprise.

Mon sourire en coin a disparu et j’ai cligné rapidement des yeux.

Ses deux parents n'étaient plus là, et les miens non plus.

Je savais ce que c'était d'être seule, et maintenant je savais qu'il l'était aussi.

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