
« Je m'habille. Tu ne vois pas ? Arrête de me crier dessus », dit maman en enfilant ses chaussures.
J'ai failli renverser son café en voyant ses vêtements habituels. « Pardon », murmurai-je.
Elle prit son café. « Rentrons. Tu dois te reposer avant le boulot. » Elle sortit.
« Tu me diras quand tu commenceras le traitement ? » demandai-je après un trajet silencieux.
« Je ne vais pas le faire. »
J'en restai bouche bée. « Comment ça ? »
Elle s'allongea sur le canapé sous une couverture. « J'ai discuté avec le médecin. Les traitements me rendront plus malade sans vraiment aider contre le cancer. C'est trop tard. Je veux juste profiter de mes derniers jours à la maison avec toi. »
Je n'en croyais pas mes oreilles. « Alors tu baisses les bras ? »
« Je ne baisse pas les bras, je profite de la vie. Tu dois bientôt aller bosser. On peut en reparler plus tard ? »
Elle était têtue comme une mule. Je savais qu'une fois sa décision prise, elle ne changerait pas d'avis. Je pris une douche et me préparai pour le travail. Je l'embrassai et marchai les quatre pâtés de maisons jusqu'au restaurant. En chemin, je décidai de travailler d'arrache-pied.
Un mois passa, son énergie faisait des hauts et des bas. Elle alla même bosser quelques fois. J'aurais aimé que le toubib se trompe, mais non. Un autre médecin confirma le diagnostic.
Je devais travailler presque tous les jours depuis notre visite à l'hôpital. J'avais les pieds en compote en rentrant. J'avais fait deux services aujourd'hui.
On vivait surtout de mon salaire, avec une montagne de factures impayées. J'évitais notre proprio car on était en retard sur le loyer. Je ne gagnais pas assez pour le payer, et ce que je gagnais partait dans ses antidouleurs.
En entrant dans notre petit appart, je vis quelque chose d'horrible : Maman étendue par terre, entourée de mouchoirs ensanglantés.
Je me précipitai vers elle. « Maman ! Qu'est-ce qui s'est passé ? »
Je l'aidai à aller au lit. Elle était faible et parlait à peine, très différente du matin. Je la nettoyai, changeai ses fringues et appelai le boulot pour dire que je ne viendrais pas demain.
Une semaine passa. Je restais à son chevet chaque jour, elle bougeait et parlait à peine. Mon patron me vira. Il me restait cinquante euros, et le proprio menaçait de nous mettre à la porte.
« Maman, j'ai besoin de toi », murmurai-je en tenant sa main et pleurant.
Elle serra légèrement ma main. « Je t'aime, Mina. »
Elle s'éteignit cette nuit-là.
J'étais fauchée. La ville l'enterra. Une croix avec ses initiales marque sa tombe. Je n'ai même pas pu lui offrir de vraies obsèques. Quelle fille indigne j'étais. Elle avait tant sacrifié pour moi, et je ne pouvais même pas lui acheter une belle pierre tombale.
« Un jour, Maman. Un jour, je t'offrirai une pierre tombale et te rendrai fière. »
À mi-chemin de la maison, il se mit à pleuvoir des cordes, et j'étais trempée comme une soupe en arrivant. Je vis toutes nos affaires dehors, et un cadenas sur la porte. Une grande pancarte rouge indiquait EXPULSÉ.
C'était le pire jour de ma vie. Je venais de perdre ma mère, et maintenant mon toit. Je mis ce que je pus dans mon vieux sac à dos, enfilai un jean et un pull par-dessus ma robe. Je pris un parapluie et sortis dans la nuit.
J'allai au parc et passai la nuit dans les toilettes des femmes. C'était chaud et sec.
Je n'avais pas de famille. Personne à qui demander de l'aide. Vingt euros devaient me faire tenir le plus longtemps possible.
Le matin, je me brossai les dents et attachai mes cheveux en chignon. Ma robe était encore un peu humide, mais je devais la porter. Je mis mes chaussures et sortis affronter la journée.
Je m'arrêtai à chaque commerce et demandai s'ils avaient besoin de personnel. La plupart dirent non. Ceux qui dirent oui me donnèrent un formulaire à remplir, mais je savais qu'ils le jetteraient en voyant que je n'avais pas d'adresse. Personne ne veut embaucher un SDF, même s'il a l'air présentable.
La nuit tombait quand je retournai au parc, m'arrêtant pour acheter un sandwich pas cher et de l'eau.
J'étais contente d'avoir pris du savon, une brosse à dents et du dentifrice de l'appart. Au moins je pouvais rester à peu près propre.
Chaque nuit, je me lavais dans les toilettes du parc. Je ne puais pas, mais j'avais vraiment envie d'une douche.
Chaque jour je cherchais du boulot. Cela faisait presque un mois, et je n'en avais toujours pas.
Je passai une nuit dans un foyer. J'ai enfin pu prendre une vraie douche, mais je n'y retournerai plus.
Comme j'étais seule, ils m'ont mise dans une chambre avec des hommes et des femmes. Il n'y avait rien entre les lits, juste une grande pièce pleine de petits lits.
J'utilisai mon sac comme oreiller. Je ne voulais pas qu'on me pique mes affaires.
Je me réveillai au milieu de la nuit et vis un vieux clochard debout au-dessus de moi, se touchant de façon obscène. C'était dégoûtant, et il empestait. Je m'enfuis et retournai au parc, effrayée de ce qu'il aurait pu faire si j'étais restée plus longtemps.
Ce n'est pas comme si j'étais vierge, mais je ne voulais rien faire avec un vieux qui pue. Je voulais un lit pour dormir, mais je n'étais pas si désespérée.