« Futur nécessaire, non passé. »
Lycidas roulait tranquillement vers la banlieue. Il était soulagé que la fille habite dans un coin tranquille. Il n'avait aucune envie de s'aventurer dans le centre-ville animé.
Demedicus lui avait communiqué l'adresse. Le trajet prenait environ 45 minutes depuis la résidence du Conseil.
Il appréciait ce moment de solitude. Pas besoin de faire la conversation. Pas besoin de s'inquiéter de blesser quelqu'un avec son pouvoir. Pas besoin de faire des efforts pour ne pas nuire.
Il maîtrisait son pouvoir, mais c'était un véritable défi. En présence d'autres personnes, il devait se concentrer intensément pour empêcher son corps de leur causer du tort.
Il n'aimait pas être entouré car c'était épuisant.
Il se gara dans l'allée. Il descendit de voiture, claqua la portière et examina la maison d'un air soucieux. L'odeur du sang flottait toujours dans l'air. Quand elle se transformerait, elle pourrait la sentir aussi.
Il se dit qu'elle voudrait sûrement déménager sous peu. Il gravit les marches du perron et frappa deux coups à la porte.
Il patienta. Et patienta encore. N'entendant rien à l'intérieur, il frappa de nouveau. Il jeta un coup d'œil aux alentours, toujours sur ses gardes.
Toujours pas de réponse. Il brisa un carreau de la porte et la déverrouilla de l'intérieur. En entrant, il fut assailli par des odeurs de produits chimiques et d'autres effluves puissants.
Il passa du salon à la cuisine - pas de trace d'elle. « Je viens du Conseil, annonça-t-il à voix haute. Je suis là pour vérifier vos préparatifs pour votre transformation. »
Pas de réponse. Il trouva l'escalier et monta. La maison était très cossue. Il comprenait pourquoi ses parents avaient choisi ce type de demeure. L'extérieur était sombre, avec des colonnes blanches en façade.
L'intérieur était décoré avec faste. Des œuvres d'art rares ornaient les murs et des vaisselles précieuses s'exposaient dans des vitrines de la cuisine. Cette fille avait visiblement mené la belle vie.
Il perçut une odeur de lavande derrière une porte. Le parfum d'une femme. Il sut que c'était sa chambre. Il poussa la porte et découvrit une pièce vide.
Sa chambre n'était pas très bien rangée, mais il était clair que personne n'y avait dormi depuis un moment. L'odeur s'était presque dissipée. Elle avait dû tout laisser en plan et dormir ailleurs.
Alors qu'il commençait à se dire qu'elle avait peut-être déménagé, il sentit l'odeur de sang frais et l'effluve âcre d'une personne en pleine transformation. Il ferma les yeux, réalisant ce qui se passait. Il se dirigea vers la source de l'odeur.
La porte était ouverte, mais il ne vit d'abord que la fille étendue sur le sol. Quand il entra, elle ouvrit grand les yeux et poussa un cri de terreur.
Elle se retourna sur le ventre, enfouissant sa tête entre ses bras tandis qu'une douleur lancinante se répandait dans tout son corps. La transformation commençait. Elle savait que ce moment allait arriver.
Jamais elle n'avait cherché un mâle pour se nourrir. Cela ne l'intéressait guère. Mais maintenant qu'elle se sentait brûler de l'intérieur, elle regrettait de ne pas l'avoir fait.
Son regard se posa sur la porte où se tenait un mâle. Un vampyre. Son odeur alléchante le trahissait. Elle avait une envie folle de son sang.
Il dut remarquer le changement dans son expression, passant de la douleur à la faim, car il effleura l'arrière de son cou.
Elle le désirait ardemment. Mais elle baissa à nouveau la tête. Elle ne boirait pas d'un être non consentant.
C'était sacré dans leur monde. Il y avait quelque chose de sensuel à prendre le sang d'un autre pour se sustenter.
Elle le sentit bouger. Peu lui importait. Sa gorge la brûlait. Il pouvait la tuer, elle le laisserait faire. Mais il s'agenouilla devant elle et lui releva la tête en tirant sur ses cheveux, la forçant à le regarder.
« Es-tu l'enfant des Brown ? »
Elle acquiesça vivement.
« As-tu un mâle pour te nourrir ? »
Elle fit non de la tête.
Il resta muet. Il la dévisagea un instant avec mépris. Comme si elle l'avait forcé à venir ici. Comme si elle était la méchante de l'histoire. Peut-être l'était-elle.
Si elle avait été plus organisée et aimable, elle aurait accepté l'offre de Misandra. C'était sa faute. Elle comprendrait s'il la laissait mourir.
Mais elle le désirait tellement. Elle ne pouvait ignorer cette attirance puissante. Elle l'entendit jurer avant de lâcher sa tête.
Elle leva les yeux et le vit déboutonner ses manchettes et remonter sa manche.
Il se plaça derrière elle, la faisant s'asseoir tandis qu'il s'installait, ses jambes de chaque côté de sa taille. Il lui présenta son poignet, mais elle secoua la tête.
« Tu es en train de mourir », dit-il avec colère.
« Je sais, murmura-t-elle. Mais je ne boirai pas de quelqu'un qui ne le souhaite pas. »
« Tu es en train de mourir, répéta-t-il, exaspéré. Bon sang, je t'offre ma veine. »
Ses nouveaux crocs jaillirent de ses gencives et elle saisit son bras, l'amenant à ses lèvres. Elle siffla en perçant sa peau. Quelque part dans un recoin de son esprit, elle l'entendit siffler en retour.
Elle ne pouvait se concentrer cependant. Jamais elle n'avait ressenti un tel plaisir en se nourrissant. Elle sentait sa gorge guérir et son estomac se remplir de lui. Tout son corps semblait plus vivant que jamais.
Elle gémit doucement contre sa peau. Elle sentait le désir monter entre ses cuisses, et rien n'aurait pu rendre ce moment plus parfait que d'être prise par un mâle si vigoureux et puissant.
La simple pensée de lui la possédant suffit à déclencher son orgasme.
Elle gémit à nouveau, sentant son ventre se contracter de plaisir et son intimité pulser sous l'effet de l'orgasme qui la traversait.
Elle avait déjà connu l'orgasme, mais aucun n'avait été aussi intense. Aucun ne l'avait fait se sentir aussi bien.
Lorsqu'elle but son sang, il ressentit sa douce succion. Il avait déjà goûté au sang de sa prêtresse, et elle au sien, mais cette fois-ci, c'était différent. C'était... plus intense.
Un gémissement lui échappa, non pas de douleur, mais de pur plaisir. Jamais il n'avait réagi ainsi avec Antoinette. Jamais il n'avait convoité le sang d'Antoinette comme il désirait celui d'Adrastée.
Il se retint de la toucher. Il ne le pouvait pas. Il ne voulait pas lui faire de mal comme il en avait fait à Antoinette lors des prises de sang. Il se disait que même si ses lèvres effleuraient sa peau, ce ne serait pas suffisant pour l'épuiser.
Elle avait une faim de loup. Il comprenait. S'il avait pu penser à autre chose qu'à elle en train de boire son sang, il se serait rappelé sa première fois. Il essaya de ne pas songer à quel point il aimait la nourrir.
Il était fier qu'elle se sustente de lui... il éprouvait le besoin de protéger la jeune fille devant lui.
Il la sentit le serrer plus fort, et pendant un instant, il fut pris au dépourvu. Il percevait son désir. Il savait que c'était simplement dû à la quantité de sang qu'elle ingurgitait, mais cela le fit durcir.
Cela éveilla son envie d'elle aussi, et lorsque son corps exhala le doux parfum de l'orgasme, il sentit son sexe tressaillir et se libérer dans son pantalon - nom d'un chien !
Il ne pouvait pas interrompre sa première prise de sang. Ç'aurait été risqué. Alors il resta assis avec elle, l'observant attentivement pendant qu'elle buvait.
Après quelques succions supplémentaires, ses crocs quittèrent son poignet et elle leva les yeux vers lui. Son sang coulait sur son menton et maculait le t-shirt qu'elle portait. Ses nouveaux crocs, encore allongés, reposaient sur ses lèvres.
Elle essuya le sang de son menton, embarrassée. « Je... je suis désolée. Merci de... » Elle s'interrompit brusquement. « Merci de m'avoir permis de... »
« Il faut rentrer tes crocs », dit-il d'un ton tendu. Il se leva et se tint debout à côté d'elle.
Elle passa ses doigts sur ses lèvres, puis sur ses dents. Elle ne savait pas comment s'y prendre. Elle avait lu que la personne dont elle se nourrissait était censée l'aider pendant cette étape, mais elle n'osait pas lui en demander plus.
Il en avait déjà fait bien plus que prévu.
« Il pouvait voir qu'elle avait du mal à rétracter ses crocs.
— Essaie de ne pas penser au sang ou à manger, lui conseilla-t-il. »
Quand elle s'arrêta, ses crocs rentrèrent dans ses gencives, et elle grimaça.
« Est-ce que ça fait toujours aussi mal ?
— Non, tes gencives sont juste très sensibles pour le moment. Après quelques repas, la douleur s'estompera.
— Je suis encore désolée, dit-elle en baissant les yeux. Je n'ai pas...
— Pourquoi n'as-tu pas choisi un homme qui te plaisait ? C'est pour ça que je suis venu - pour m'assurer que tu le fasses. On ne savait pas que ton changement était si proche.
— Mes parents avaient choisi le fils d'un ami pour moi. Je n'en voulais pas, avoua-t-elle, et pour être franche, je n'étais pas sûre de vouloir survivre à ma transformation. »
Il ressentit un pincement au cœur, mais garda le silence. « Tu vas devoir venir avec moi.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Parce que tu devras te nourrir plusieurs fois par semaine pendant cette période. Je dois aussi t'aider à traverser tout ça.
— Vraiment ? Je pensais que tu partirais au plus vite.
— C'est mon devoir. »
Elle fit la moue. « Bien sûr.
— Va faire ta valise. Je dois appeler mes frères. »
Il se tenait dans la cuisine quand son téléphone sonna. Son frère décrocha, mais Lycidas resta muet un instant.
« Lycidas ? »
La voix de Demedicus le tira de sa rêverie.
« Elle a bu mon sang. »
Demedicus resta silencieux au bout du fil pendant quelques instants. « Tu sais ce que ça implique.
— Oui.
— Tu vas le faire ?
— Ai-je le choix ?
— Oui, dit Demedicus. Tu pourrais la confier à un autre homme pour l'aider, tout en la laissant se nourrir de toi. »
Il dut fermer les yeux face à l'émotion intense qui le traversa. Il n'était pas habitué à ressentir autre chose que de la tristesse ou de la colère. « Je vais l'aider pendant sa transformation. Quand elle sera capable de se débrouiller, je la laisserai partir.
— Pourquoi m'as-tu appelé, Lycidas ?
— Elle doit rester dans le complexe.
— Elle le peut. Mais elle est sous ta responsabilité. Tout ce qu'elle fait est ton problème. »
Lycidas raccrocha. Il entendit un bruit sourd venant de l'étage et monta quatre à quatre vers la chambre qui embaumait la lavande. Adrasteia se frottait le nez.
« Je ne savais pas que je pouvais marcher si vite maintenant. » Elle fronça les sourcils.
Il regarda le mur et vit un petit trou. Elle avait dû perdre le contrôle de sa vitesse et s'y cogner.
« Tu t'y feras. Tu apprendras à le maîtriser.
— Combien de temps ça prendra ?
— Quelques mois. Peut-être un an.
— Génial », marmonna-t-elle en jetant un t-shirt dans le sac sur son lit.
En la regardant finir ses bagages, il se rappela pourquoi il était là. Des chasseurs avaient tué ses parents.
Elle n'avait plus personne et, en plus de cela, elle traversait l'une des périodes les plus difficiles de sa vie. Pour une raison quelconque, il sentit qu'il devait la réconforter.
« Je suis désolé pour ta perte. »
Elle leva les yeux vers lui avec un sourire reconnaissant. « Moi aussi. » Elle plia un autre pantalon et le posa sur le lit. « Es-tu le septième membre du Conseil ? Demedicus m'a dit que tu étais occupé avec quelque chose.
— Je l'étais. C'est pourquoi je n'ai pas assisté aux funérailles.
— Je n'essayais pas de te faire culpabiliser ou de t'accuser. Je voulais juste que tu me dises ton nom. »
Il l'observa. Elle ne connaîtrait pas son nom. Son nom et ceux des autres étaient souvent gardés secrets. « Je suis Lycidas.
— Lycidas. » Elle prononça son nom comme si elle en testait la sonorité.
Elle dut l'apprécier car elle afficha un joli sourire. « Tu sais, je t'ai entendu parler à ton ami. Tu as le choix. Ça ne me dérange pas si tu décides de me confier à une autre pauvre âme. »
Lui, par contre, ne serait pas d'accord avec ça, car même s'il ne pouvait pas l'admettre, elle était spéciale. Elle coulait dans ses veines, tirant sur quelque chose en lui qu'il ne pouvait presque pas ignorer.
Peut-être que s'il n'était pas un homme aussi têtu, il l'aurait réalisé plus tôt.
« Il y a quelque chose que tu devrais savoir sur moi avant de venir avec moi.
— Quoi, demanda-t-elle, tu es un vampire ou un truc du genre ? » Elle arrêta de rire à sa blague en voyant son visage sérieux. « Eh bien, dur public.
— Je suis un absorbeur.
— Tu as un pouvoir spécial ? » demanda-t-elle en s'asseyant sur son lit. Elle le regardait comme si ce qu'il venait de dire l'intéressait. Visiblement, elle ne comprenait pas à quel point c'était grave.
« Plutôt un effet secondaire agaçant d'être en vie. Je rends les gens faibles rien qu'en étant près d'eux. Je peux entrer dans une pièce et assommer n'importe qui sans effort.
Si je te touche, je peux te tuer et m'approprier tes pouvoirs pendant un court moment. Je suis mortel sans le vouloir, Adrasteia.
— Je t'ai touché avant, et rien ne s'est passé.
— Je pense que c'est parce que tu te nourrissais.
— Laisse-moi te toucher à nouveau... »
Alors qu'elle se levait, il recula, et elle baissa les mains, observant son visage changer d'une manière qu'elle ne pouvait déchiffrer.
« Je n'ai pas le droit de te toucher ?
— Tu le peux quand tu te nourris, mais sinon, absolument pas. D'ailleurs, pourquoi voudrais-tu le faire ? » Il se frotta la nuque puis remit ses mains dans ses poches. « Je serai dehors près de ma voiture. »
Il se retourna, la laissant réfléchir, mais avant de sortir, il fit un rapide arrêt dans la salle de bain.
