K.K.S.
La nuit fut tortueuse. Les frères Faber avaient tapé avec rage contre les murs de ma cabane et contre mes sens. Victor avait appelé ma louve toute la nuit. J'avais réalisé à quel point elle était puissante.
Elle avait failli me pousser à les rejoindre.
Elle était prête à les laisser la prendre. Elle voulait lever la queue et les laisser tous la monter.
J'avais à peine réussi à la retenir.
Elle était sauvage. Aussi sauvage que ces frères qui rôdaient autour de ma cabane.
J’avais eu envie de me toucher à de nouveaux endroits. J’avais cherché quelque chose en moi ou avec eux que je ne pouvais définir, mais que ma louve et mon corps désiraient ardemment. Je dus tourner le dos à mes barricades et me boucher les oreilles, recroquevillée dans un coin. Essayant à tout prix de garder le contrôle, de rester à l'intérieur, saine et sauve.
La brume rose à l'extérieur de ma fenêtre s'estompa finalement pour laisser place à la lumière du matin. Les hurlements et les grognements s'éteignirent. J'avais réussi à passer cette lune d’accouplement. Cela m'avait demandé énormément d’efforts. Et cela ne s'était pas fait sans prix.
Quand j'osai enfin sortir à l'aube, je les trouvai tous assis contre les murs de ma cabane, regardant vers la rivière. Leurs cheveux étaient ébouriffés, leurs visages pâles, et ils avaient l'air épuisés.
Je croisai le regard de Victor alors que je retournais à l'intérieur et refermais la porte. Il était furieux.
Me barricadant à l'intérieur, je me préparai à ne pas sortir pendant deux jours pour être sûre qu'ils soient partis.
Et que je sois en sécurité.
Cet après-midi-là, j'entendis une réunion de camp se tenir.
L'alpha était enragé. « J'ai dit que toutes les femelles seraient fécondées et porteraient des petits ! »
Sa fureur était tangible, traversant tout le camp.
Je ne savais pas si les autres femelles avaient obéi, mais ce n’était pas mon cas.
Ni celui de Laura, supposai-je.
« Regardez votre nouvelle bêta, c’est un exemple », beugla-t-il.
Mes yeux s'écarquillèrent alors que je me pressai contre mes volets pour essayer de voir qui l'alpha avait choisi. À ma grande horreur, je vis Laura se tenir à ses côtés.
« À la prochaine lune d’accouplement, toutes les femelles devront être fécondées. Celles qui ne le seront pas seront bannies de nos murs », rugit l’alpha.
Je poussai un cri, pressant mon front contre le mur.
Non. Il est là dehors !
Celui qui a tué ma mère.
C'était le prix que j'allais devoir payer, si je voulais les rejeter tous durant la prochaine lune d’accouplement.
Je n’ai pas vraiment le choix.
Chaque option pourrait conduire à ma mort.
***
Je restai dans ma cabane autant que je pouvais le supporter, pendant des semaines. Mes nuits étaient hantées par des visions de sang et de courses sans fin. Ma louve ne m'avait rien dévoilé de plus sur ce qui s'était passé au cottage.
Même un mois plus tard, Victor ne m'avait pas pardonné de ne pas avoir ouvert cette porte. Les rares fois où ils m'avaient traînée dehors depuis, il m'avait à peine parlé. Victor se contentait de me lancer des regards sombres.
J'avais pris l'habitude de partir plus tôt le matin pour chercher de la nourriture et me laver avant que les frères Faber ne reviennent de leurs gardes à la frontière.
J'avais appris qu'ils étaient là la plupart des nuits. Ils ne revenaient au camp qu'un peu après l'aube. Ce qui signifiait que mon temps à la rivière était toujours limité.
Ce matin-là, j'avais réussi à attraper un gros rat. Ce ne fut pas un processus facile : je lui étais tombée dessus après avoir bondi puis je l'avais salement écrasé, mais j'avais tellement faim que cela m'était égal.
Je rassemblai mon trésor poilu et rampai d'ombre en ombre jusqu'à ma cabane.
Me précipitant à l'intérieur et verrouillant la porte, je me dirigeai vers le feu. De ma main libre, je jetai une autre bûche. Les bûches étaient, heureusement, fournies par la meute, coupées et empilées au centre du camp pour que nous puissions nous servir.
Quelqu'un laissait souvent de petits tas devant ma porte. J'avais aperçu Chase de temps en temps dans les parages quand je les trouvais, ce qui me faisait me demander si c'était lui qui me les déposait.
J'ignorai la pointe de culpabilité de prendre des choses à la meute. Et avec mes souvenirs encore très nébuleux, avec tant de questions sans réponses, j'étais coincée ici. Pas tout à fait prisonnière, mais pas complètement libre non plus.
Une fois le feu allumé, je retroussai mes lèvres pour laisser apparaître mes dents pointues. Je pelai délicatement la peau dure du rongeur pour atteindre le peu de viande.
Une planche craqua derrière moi et je me figeai.
« Tu penses que si tu ne bouges pas, je ne te verrai pas ? » Il y avait de l'humour dans la voix de Huntley. « Tu es vraiment comme un lapin, n'est-ce pas ? »
Victor m'appelle comme ça. Mes épaules s'affaissèrent.
Au-delà de la surprise de le voir ici, il y avait un sentiment de soulagement. Je ne les avais pas vus depuis si longtemps que je commençais à me demander si quelque chose leur était arrivé. Ou peut-être s'étaient-ils lassés de moi.
Je jetai un coup d'œil par-derrière, vers la fenêtre, et compris comment il était entré.
Les volets que j'avais arrangés pour qu'ils restent fermés étaient poussés sur le côté. Des échardes de bois étaient éparpillées sur le sol.
« Ce n’est pas ton meilleur travail. » Huntley fit un geste. Il s'approcha de moi, me dominant du haut de sa grande taille. L'aura de puissance qu’il dégageait était adoucie par son sourire constant.
Il ne sourit pas maintenant pourtant.
Huntley renifla l'air en se penchant vers moi. « Tu sens bon. »
Je tirai plus fermement ma capuche sur ma tête. J'avais pris l'habitude de la porter tout le temps, me sentant plus en sécurité sous elle.
« C'est le rat. » Je lui montrai.
« Beurk. » Il recula, grimaçant. « Pourquoi tu manges ça ? »
« Je n'ai pas eu de nourriture depuis des jours », dis-je face à son air dégoûté et en essayant de ne pas l’être à mon tour.
Mais j'ai trop faim pour m'en soucier.
« L'alpha est furieux que nous ne t'ayons pas fécondée sous la lune d’accouplement. Nous sommes punis. »
Je fronçai les sourcils, confuse.
« Nous n'avons pas eu le temps d'apporter... » Il s'interrompit. En regardant le rat dans mes mains, il ne termina pas sa phrase et se balança inconfortablement sur ses pieds.
« Ce n'est certainement pas le rat qui sent comme ça. » Il secoua la tête et prit des respirations délibérées. « C'est toi. C’est une odeur faible, mais sucrée. »
Je me précipitai vers la porte, mais Victor était là, ses muscles et sa chaleur m’empêchèrent de sortir. Il inclina la tête et ses yeux verts se verrouillèrent sur moi, me transperçant comme des poignards. Il dégageait la même animosité que lors de la lune d’accouplement.
Quand j'ai refusé de lui céder.
Je reculai, essayant de rester hors de sa portée.
« N'aie pas peur, Valerie. Ce n’est que nous », grogna-t-il d'une voix basse.
C'est justement ce pourquoi je m’inquiète.
« Nous allons à la rivière pour chercher de la nourriture et nous laver », ajouta Huntley derrière moi.
« Tu veux venir avec nous ? » dit Chase qui se montra à côté de lui.
Il est probablement entré par la fenêtre lui aussi.
Je me retrouvai soudain cernée.
« Non. » Je secouai la tête. Me retournant pour faire face à ces deux derniers, je les regardai en serrant la mâchoire. « Non. »
Mais la chaleur soudaine dans mon dos signifiait que Victor s'était rapproché de moi par-derrière.
Ils sont toujours trop proches. Je jetai un coup d'œil par-dessus mon épaule, et il regarda sous ma capuche, méfiant.
« C'est quoi ce truc ? » demanda Huntley.
Victor était si proche que je pouvais sentir sa poitrine effleurer la mienne à chaque respiration. Mes genoux tremblaient.
Qu'est-ce que ça ferait d'avoir ses bras autour de moi, plutôt qu'il soit toujours en colère contre moi ? Est-ce que je me contrôlerais ?
Non, murmura ma louve. Sa certitude me faisait peur.
Ils sont aussi susceptibles de te tuer que de s'accoupler avec toi. La voix de Martha résonna dans ma tête.
Je regardai Huntley. Quand il esquissa un geste pour retirer ma capuche, je me baissai et me précipitai en arrière, avant de me heurter à Victor.
Il était aussi immobile qu'un tronc d'arbre.
« Bien sûr qu’elle veut, Chase », lança Victor au-dessus de ma tête. Son souffle effleura ma capuche.
Il me fallut un moment pour réaliser qu'il répondait à la question de savoir si je voulais aller à la rivière. Victor attrapa mes épaules à travers le manteau trop grand et me tourna vers la porte.
Heureusement, le manteau était noué à la taille, agissant plus comme une robe que comme un manteau.
Victor marcha vers la rivière en m'entraînant avec lui.
« Tu ressembles à un gros champignon dans ce truc », grogna-t-il.
« Je m'en fiche », dis-je avec impertinence. Mais mon ton n'était guère plus qu'un murmure, de peur de les exciter.
« Tu as besoin d'un bon bain », dit Chase.
« Tu ne veux pas sentir mauvais, n'est-ce pas ? » ajouta Huntley.
Je n'osais pas leur dire que je m'étais déjà baignée plus tôt.
Je ne voulais pas qu’ils sachent que j’y allais en cachette. Je pâlis à cette pensée.
« Mon rat », objectai-je pitoyablement. Je levai l'animal flasque, espérant que cela leur suffirait à me laisser.
« Mange-le en route », rejeta Victor.
« Qu'elle veuille puer ou non, ce manteau le fait certainement pour elle », ricana Huntley derrière nous, feignant de se boucher le nez.
C'était vrai. Je n'avais pas pris la peine de le laver, espérant que cela éloignerait mâles.
Je lui lançai un regard noir.
« Oh, ne sois pas fâchée, Valerie ! » Huntley gratta le tissu couvrant ma tête, comme s'il essayait de me décoiffer.
« Regarde-la, cette petite chose ronde ! » Chase se plaça à côté de moi.
Il me chatouilla sur les côtés, ignorant qu’il touchait les bandes de tissu sous mes vêtements et non ma peau.
Je sursautai, mordant ma joue.
Victor me lança un regard noir.
« Comment une louve qui ne peut pas chasser pourrait-elle être si dodue ? » railla Victor, faisant rire les deux autres, tout en gardant son regard fixé sur moi.
Je ne pouvais pas soutenir ce regard. Il exigeait quelque chose de moi, quelque chose qui bougeait bas en moi et faisait réagir ma louve sous ma peau.
Comment fait-il cela ?
Je grimaçai et essayai de m'éloigner davantage de lui alors qu'il me poussait en avant. Mais il n'y avait pas moyen d'aller là où Victor ne voulait pas que j'aille.
Il me conduisit près de la rivière.
Chase et Huntley ôtèrent leurs pantalons et bondirent dans l'eau. Ils s’éclaboussaient et riaient.
Je les ignorais, essayant de ne pas regarder leurs corps nus et bronzés. Je sentais mes joues chauffer.
« Pourquoi évites-tu toujours de les regarder ? » murmura Victor.
Il était si proche que son souffle chaud fit voleter quelques mèches lâches de mes cheveux.
« Je… »
« Si tu veux regarder. Regarde. Ça ne me dérange pas. »
Cela ne les dérangerait pas non plus.
Ils aiment attirer l'attention.
Et plus je semblais choquée, plus ils étaient heureux.
Ma louve était heureuse d’obéir, déplaçant mes yeux vers eux sans que je le veuille.
Après un moment cependant, c'est moi qui osai un regard vers le profil dur de Victor. J'observai ses sourcils froncés et sa mâchoire serrée. Son visage était marqué par la tension.
Il a toujours cette allure.
Victor me lâcha et je glissai sur la rive.
« Tu devrais entrer. » Il fit un signe vers l'eau. « Pour te laver. »
« Je… » Je cueillis un brin d'herbe près de moi.
« Je… » Victor m’imita. Il secoua la tête. « Oui, tu quoi ? »
Je mordais ma lèvre, sentant le regard perçant de Victor sur moi. Il parcourait mon corps comme une caresse chaude, comme s'il pouvait toucher ma peau nue malgré les couches de tissu qui la cachaient.
« Il fait chaud aujourd'hui ! » s’exclama Huntley.
Victor se tenait au bord de l'eau, alerte. J'avais vu cette tension dans son corps quand nous chassions. Il se redressa au-dessus d'un buisson pour regarder plus loin dans les bois.
Je flairai l'air, ne percevant que l'eau fraîche et le musc mêlé des mâles. Ma louve hérissa son pelage sous ma peau alors que je percevais un mouvement furtif au fond des bois. Mais ce fut bref et je ne pus dire de quoi il s’agissait.
Après avoir laissé passer assez de temps pour être sûre qu'ils étaient tous distraits, je bondis sur mes pieds et tentai de m'échapper. Essayant de retrouver la sécurité de ma cabane aussi vite que possible.
Mais alors que je me cachai derrière un arbre, je constatai que Huntley et Chase ne semblaient pas avoir remarqué, ni même se soucier, que j'avais filé.
Mais Victor…
Où diable est-il ? Je regardai et regardai encore, me tordant dans tous les sens. Mon souffle était court. Je tournai la tête vers le camp et me cognai contre un mur solide.
Un bras masculin et dur se tendit au-dessus de moi avant de s'appuyer contre l'arbre.
Comment est-il arrivé ici si vite ?
« Où penses-tu aller ? » Victor se pencha, me bloquant contre l'arbre.
Ma poitrine effleurait la sienne à chaque respiration. Il était aussi dur que le mur qui enfermait notre meute dans cette partie des bois.
Merde.
Comment peut-il être toujours partout ?
« Viens jouer avec nous ! » lança Huntley. « Victor ! Laisse-la venir nous rejoindre. »
Victor m'étudia et inclina la tête.
Attend-il ma réponse ?
« Non. » Je secouai la tête.
« Donc, tu préfères rester ici avec moi plutôt que de te déshabiller devant nous tous ? » Victor attrapa une mèche de cheveux blonds frisés et la fit tournoyer autour d'un doigt.
Le geste était si terriblement intime que mon corps se raidit sous son toucher. Je me demandais ce que ces mains ressentiraient sur moi.
Il exhalait le désir aussi sûrement qu'il respirait.
Ils le faisaient tous.
Hors de question que j'enlève mes vêtements devant eux.
« Katy ou Alana viendraient, elles », se plaignit Chase.
« Je suis sûre qu'elles viendraient. » Les mots jaillirent de ma bouche alors que je lui lançais un regard noir. « Mais je ne suis pas elles. »
J'avais souvent vu les deux femelles glousser en suivant les frères Faber.
Ces deux-là semblaient toujours prêtes à s'offrir à n'importe quel mâle. Et pas seulement sous la lune d’accouplement.
Elles le voulaient.
Ce qui était déroutant. Je me demandais si la raison pour laquelle elles ne se retrouvaient pas blessées sous la lune d’accouplement était qu’aucun mâle ne voulait les revendiquer.
Ou peut-être se cachent-elles comme le reste d'entre nous.
« Je t'ai posé une question », dit Victor en ricanant.
Son visage dur planait au-dessus de moi, me forçant à lever les yeux vers ses yeux verts féroces.
« Non ! Je… » Je regardai autour de moi désespérément et me baissai sous son bras. « J’allais cueillir des baies. »
Je me précipitai vers le buisson le plus proche.
Victor me laissa m'éloigner en courant.
Je fouillai le buisson et ramassai des baies.
« Cueillir des baies », murmurai-je. Rien dans ces mots n'était convaincant, même à mes propres oreilles.
Victor n'en avait pas fini avec moi.
Il se dirigea vers moi pour balancer les baies hors de ma main avant de me porter et de me jeter dans la rivière.