« Ta douleur est tienne, ton esprit se ferme sous le coup, l'héritier pourrait, afin que la dureté des testaments se contracte. »
Adra s'agita sur son siège tandis qu'ils roulaient sous les lumières de l'autoroute. Les couleurs vives lui faisaient mal aux yeux et le bruit lui vrillait les tympans.
Lycidas lui tendit des lunettes de soleil depuis le siège avant. « Ça t'aidera pour la lumière. Il y a des bouchons d'oreilles dans la boîte à gants. Ça soulagera ton mal de tête. »
« Cette sensibilité va-t-elle disparaître un jour ? »
« Tu apprendras à la gérer. Avec le temps, ça te gênera moins. »
« Moins ? Ça te dérange encore, toi ? »
« Oui. »
« Merci », dit-elle en mettant les lunettes et en ouvrant l'emballage des bouchons d'oreilles. « Tu peux me parler de tes autres frères ? »
« Nous ne sommes pas vraiment frères. Au fil du temps, nous nous sommes rapprochés à cause de notre travail commun. Demedicus est notre chef de groupe, mais nous avons tous le même poids en politique. »
« Quillian est bruyant. Caine est perturbé. Zanthus aime tout contrôler. Kieran est sourd. Athanasius est le plus âgé. »
« Tu n'en dis pas beaucoup, dis donc. »
Il ne releva pas sa remarque. À la place, il mit son clignotant et quitta l'autoroute.
Il jeta un coup d'œil dans son rétroviseur, remarquant une voiture qui sortait avec eux. Il était toujours sur le qui-vive. Toujours aux aguets.
« Quand on arrivera, tu les rencontreras à nouveau. Je sais que tu les as déjà vus une fois, mais comme tu étais bouleversée à ce moment-là, je devrais te prévenir. Caine a une grande cicatrice sur le visage. Il n'aime pas qu'on le dévisage. »
« Je ne le ferai pas. »
« Dans la maison, tu es sous ma responsabilité. Ce que tu fais se reflète sur moi. Tu peux aller dans toutes les zones communes, mais pas dans les chambres des frères. »
« Bien sûr, je n'irais pas sauf s'ils m'y invitaient. »
« Zanthus a perdu quelqu'un qu'il aimait il y a longtemps. N'en parle pas. »
Elle poussa un profond soupir. Pas étonnant qu'il soit si perturbé. « Je suis vraiment désolée... »
« Ne t'excuse pas auprès de moi ou de lui. C'est comme ça. »
« Comment... »
« Est-ce que ça importe ? »
Elle supposa que non. Perdre un être cher signifiait souvent qu'on mourrait aussi. Pour les rares qui survivaient, la douleur était atroce. D'après ce qu'elle savait, la douleur ne s'arrêtait jamais vraiment mais pouvait s'atténuer avec le temps.
Elle ne savait pas comment quelqu'un pouvait vivre après la mort de son âme sœur. Elle ne pensait pas qu'elle le pourrait. Elle chassa simplement cette pensée.
Alors que la voiture remontait l'allée sombre, elle se sentit nerveuse d'être ici. Le Conseil n'était pas réputé pour son accueil chaleureux. Ils avaient été gentils avec elle auparavant. Peut-être qu'ils le seraient encore maintenant.
Elle sortit de la voiture et alla à l'arrière pour prendre son sac. Lycidas y était déjà. Il le mettait déjà sur son épaule et fermait le coffre.
« Tu auras besoin de plus d'affaires. »
« Je peux en acheter d'autres. » Elle pouvait aussi aller chez elle en chercher, mais elle ne voulait pas y retourner.
Il la regarda comme s'il comprenait. Il hocha la tête avant de remonter le chemin pavé jusqu'à la porte. Il l'ouvrit - ils n'utilisaient pas de clés - et la laissa entrer en premier.
« Waouh », dit-elle.
« Tu ne pensais pas qu'on vivrait dans une maison ? »
« Eh bien » - elle s'arrêta - « non, en fait. Je pensais que vous vivriez dans une sorte de hangar en métal. »
« Désolé de te décevoir. »
« C'est en fait plutôt agréable. »
Elle regarda les autres frères descendre les escaliers. Demedicus arriva en premier, suivi d'un homme blond. Les autres hommes descendirent mais restèrent dans le salon.
Le gars avec la cicatrice, Caine, se tenait à l'écart, près de l'entrée de la cuisine.
« Bienvenue, Adrasteia. »
« Merci, Demedicus. Merci de m'accueillir. »
« Ça fait des années qu'on n'a pas eu de jolie fille vivant dans cette maison », dit Quillian. Il frappa dans ses mains en s'avançant vers elle. Lycidas se plaça devant elle.
« Recule. »
Quillian leva les mains. « Possessif, hein », dit-il doucement.
Lycidas posa sa main dans son dos, l'éloignant du groupe. Ils montèrent les escaliers et allèrent jusqu'à la deuxième porte sur la gauche.
En ouvrant la porte, il s'écarta d'elle. Il était toujours si distant avec elle. Elle aurait aimé qu'il se rapproche.
Elle entra, regardant autour de la grande pièce. Elle savait que la maison était grande de l'extérieur, mais une fois dans sa chambre, elle réalisa que chaque homme devait avoir son propre espace.
Sa chambre n'était pas comme elle l'imaginait. Il était si fermé avec les gens, avec elle, mais sa chambre était si... personnelle.
C'était comme si c'était le seul endroit où il pouvait être lui-même. C'était son refuge.
Il y avait une pile de films près d'une télé à écran plat. Sous la télé, une console de jeux et quelques livres qu'elle devinait être ses préférés étaient posés sur une petite étagère.
De l'autre côté se trouvait une porte qui menait probablement à un placard car l'autre porte donnait sur une salle de bain complète. Son lit n'était pas fait, mais sa couverture était bleu foncé avec des oreillers blancs et moelleux près de la tête de lit sombre.
Elle le regarda entrer et poser son sac sur son lit.
Il se tourna vers elle, ne sachant pas quoi dire. « Tu dormiras ici. Je dormirai par terre. »
« Tu n'es pas obligé. Je peux dormir par terre. »
Il la regarda d'un air sérieux, et elle leva les mains, abandonnant.
« Je dois prendre une douche. Ça ira ? »
Elle hocha la tête. « Vas-y. »
Elle s'éloigna de ses livres pour aller vers ses jeux préférés. Elle n'en connaissait presque aucun.
Elle entendit la douche s'allumer. Sans réfléchir, elle se retourna. Elle ferma les yeux, profitant de ses nouveaux sens aiguisés. Elle pouvait entendre chaque goutte frapper les parois de la douche.
Elle pouvait sentir l'odeur de ses vêtements alors qu'il les enlevait et les jetait par terre. Son nez se plissa, sentant quelque chose de salé.
Elle ouvrit les yeux et sentit ses crocs essayer de sortir de ses gencives. Elle porta son doigt à l'un d'eux. Ils étaient si tranchants qu'ils coupèrent sa peau et elle saigna.
Elle pouvait encore sentir le goût de son sang sur sa langue, et elle en voulait plus. Elle pensait qu'après avoir mangé pour la première fois, la faim resterait éloignée plus longtemps.
Elle repoussa cette pensée. C'était trop tôt.
Quand Lycidas sortit de la salle de bain, elle sentit ses crocs sortir. Sa serviette était autour de sa taille. Elle pouvait clairement voir les gouttes d'eau sur son ventre plat.
Il n'était pas super musclé, mais il n'était pas non plus en mauvaise forme. Elle aimait ça, en fait. Elle préférait.
Dès qu'elle le vit, elle se sentit affamée de sang. Elle baissa les yeux au sol et resta parfaitement immobile.
Ses cheveux devaient être tombés sur son visage car il alla à sa commode, laissa tomber la serviette et enfila un short.
Il dut sentir que quelque chose n'allait pas car il s'approcha doucement d'elle. « Adrasteia ? »
Elle leva les yeux, et il recula d'un pas. Ses yeux étaient d'un or brillant, et ses lèvres étaient légèrement rouges. Sa peau était plus pâle qu'avant.
« Tu as faim. »
« Je suis désolée. Je ne pensais pas que je... »
« Tu aurais dû le dire. » Il attrapa son bras, et elle siffla au contact. Il l'attira vers son lit et s'assit.
Il pointa le sol entre ses jambes, et elle s'assit, le regardant avec une faim intense. Il leva son bras devant son visage, et elle le regarda avant de le regarder à nouveau.
« Bois. »
Elle n'avait pas besoin d'être plus encouragée. Elle saisit son bras et mordit sa peau, buvant avidement. Elle but moins que la dernière fois. Quand elle eut fini, elle s'écarta, essuyant le sang sur ses lèvres.
« Je suis désolée. Je ne savais pas que j'aurais si faim si vite. Est-ce normal ? »
« Les nouveaux vampires ont effectivement plus soif plus souvent, mais avoir autant soif que toi si tôt est étrange. »
« Qu'est-ce que ça veut dire ? »
« Je ne sais pas », dit-il. Il se leva et alla dans la salle de bain, lavant son bras du sang restant.
Quand il sortit, Adra était assise sur le lit. Ses yeux le suivaient partout où il allait. Il s'arrêta, voyant ses yeux changer.
« Qu'est-ce qu'il y a ? »
« Je peux dire que tu as faim. Pourquoi ne m'as-tu pas demandé à boire de moi ? »
« Je n'ai pas le droit de boire de toi. »
Ils étaient comme de la royauté, donc il était nécessaire de ne pas partager le sang.
« Et je ne te le demanderais jamais. »
« De qui bois-tu alors ? »
« Ma prêtresse. »
« Je sais... comment s'appelle-t-elle ? »
« Antionette. »
Pourquoi se sentait-elle si en colère ? Elle ne l'avait même jamais rencontrée. Elle avait toujours su comment le Conseil se nourrissait. Ça ne l'avait jamais dérangée avant.
Mais maintenant, penser à Lycidas avec quelqu'un d'autre la rendait malade.
Elle repoussa ce sentiment cependant et le regarda aller dans son placard et en sortir une couverture. Il la posa par terre et prit un oreiller de son lit. Elle le regarda s'asseoir.
« Non, c'est ta chambre. Tu ne devrais pas avoir à dormir par terre. Je vais le faire. »
« Non. »
Elle soupira, le regardant s'allonger et fermer les yeux.
« Pourquoi ne dormirions-nous pas tous les deux dans le lit ? Ce n'est pas comme si c'était plus intime que d'avoir des rapports sexuels. »
Il dut voir son point de vue car il se leva et éteignit les lumières. Il vint vers le lit et souleva la couverture, se glissant dedans. Elle s'assit dessus, les jambes repliées contre sa poitrine.
« Ça te dérange si je prends une douche ? »
Il fit un bruit, et elle prit ça pour un oui. Elle alla dans son sac et prit un pyjama à porter. Elle ne s'attendait pas à partager une chambre, alors elle n'avait apporté que son grand t-shirt.
Une fois qu'elle eut son savon, sa brosse à cheveux, son rasoir et son après-shampoing, elle prit son bonnet de douche et alla dans la salle de bain.
Sous la douche, elle réalisa enfin comment elle se sentait. Elle se sentait... mieux. Toujours triste, toujours blessée, toujours désespérée, mais moins qu'avant.
Elle sentit le doux contact de l'eau sur son dos, et elle s'assit par terre, espérant qu'il ne pouvait pas l'entendre pleurer.
Elle se sentait si coupable. Si elle n'était jamais partie, peut-être qu'elle aurait pu les sauver. Ou peut-être qu'elle ne serait pas là pour leur manquer.
