Le lit tanguait. Des petits tremblements de terre, ça arrivait souvent à Vancouver - rien d'alarmant. Je commençais à me rendormir, en espérant que Cléo n'avait pas peur. Elle détestait vraiment les séismes.
« Qu'est-ce qui se passe ? » dis-je quand mon téléphone se mit à sonner avec des messages.
La sonnerie spéciale de Cléo n'était pas la seule. Celle d'Alexis retentit plusieurs fois, puis une avalanche d'autres notifications arriva.
Je tendis la main vers ma table de chevet pour attraper mon téléphone - mais elle n'était pas là. Parce que je n'étais pas dans ma chambre. J'étais sur le bateau de Reefer, dormant près de la salle des machines.
Le « tremblement de terre » était en fait le bateau qui bougeait. J'entendis le tonnerre au-dessus.
Je sortis du lit et attrapai mon téléphone sur la chaise. L'écran était rempli de messages. Je regardai ceux d'Alexis. Elle était surexcitée.
Paddy était le meilleur ami d'Alexis. Ils se connaissaient depuis l'âge de sept ans.
Petite, Alexis réclamait toujours de l'attention. Mes parents l'avaient inscrite à Big Sisters, un programme qui met en relation des femmes avec des jeunes filles ayant besoin d'aide.
La plupart des enfants du programme venaient de milieux défavorisés ou difficiles. On était pauvres, mais ce n'était pas la raison de son inscription. Le directeur l'avait suggéré.
Ma sœur perturbait beaucoup la classe, elle se retrouvait donc souvent dans le couloir.
Mais personne n'était là pour lui prêter attention, alors elle chantait à tue-tête jusqu'à ce qu'on l'envoie chez le directeur.
Un jour, la secrétaire la laissa seule quelques minutes.
Alexis utilisa le téléphone pour commander vingt pizzas aux olives vertes, ananas et anchois supplémentaires à livrer à l'école.
La mère de Paddy fut désignée comme grande sœur d'Alexis, et Alexis resta proche de la famille après la fin du programme.
Tout le monde savait que Paddy en pinçait pour ma sœur, sauf ma sœur. Elle ne s'en rendait pas compte.
Paddington était un peu geek. Il bossait dans une entreprise de pompes funèbres. Sa famille était plein aux as et possédait plusieurs salons funéraires à Vancouver.
Si Alexis grandissait un peu, elle verrait quel type en or il était. Il la traitait comme une reine ; Paddy ferait n'importe quoi pour elle.
Les messages de mes collègues étaient bien plus sympas. Les filles avec qui je bossais étaient plutôt cool.
J'ouvris mon navigateur internet et fus choquée de voir ma photo Facebook à côté d'une photo de Reefer.
Je cliquai sur le lien de l'article.
Je regardai la photo de moi en train de me prendre le bec avec Reefer sur le pont du bateau.
Je fis l'erreur de lire les commentaires sous l'article. Les gens disaient des choses vraiment méchantes à mon sujet. Comment pouvaient-ils faire ça ? Ils ne me connaissaient même pas.
Comment j'allais expliquer ça à Cléo ? Elle ne comprendrait pas.
Je sursautai quand quelqu'un frappa à ma porte. « C'est qui ? »
« Miles. »
« Une minute », criai-je, enfilant rapidement des fringues.
On m'avait filé des chemises de nuit en soie dans ma boîte de soins, mais je ne dormais pas avec ça. Des t-shirts et des shorts étaient ce que je portais d'habitude pour dormir. Mais je devais faire avec ce que j'avais.
Et je devais admettre que la rose que je portais était plutôt confortable.
J'enfilai mon jean, mis mon soutif et passai un t-shirt moulant de Seattle par-dessus ma tête.
Miles était adossé contre le mur quand j'ouvris la porte. Ses yeux s'attardèrent sur ma poitrine avant de regarder mon visage avec un intérêt évident.
Les mecs étaient tous pareils. Chacun d'entre eux. Pourquoi étaient-ils tous si fascinés par les gros seins ?
« Désolée d'avoir mis du temps », dis-je, sans vraiment le penser. « J'étais pas habillée. »
« Je t'ai déjà vue à poil. »
« Tu veux quoi ? » dis-je avec colère.
« J'ai un truc à te dire. »
« Si c'est à propos de la photo qu'ils ont prise de nous hier et de l'histoire qu'ils ont inventée, je suis déjà au courant. »
« Tu l'as vue ? »
« Ouais. Je me suis réveillée avec plein de messages de mes sœurs et de certaines personnes avec qui je bosse. » Je m'assis au bout du lit avec un gros soupir. « Les gens disent des trucs horribles sur moi. »
« Je t'avais dit de rester planquée. »
« Non, tu me l'as pas dit. Pas avant qu'il soit trop tard. »
« Je suis désolé. Je croyais que Judd te l'avait expliqué. » Il se baissa pour passer sous l'encadrement de la porte, entrant dans ma chambre. « Je peux entrer ? »
« C'est ton bateau. »
« Ouais. Mais c'est ta chambre pendant que t'es ici, et j'ai besoin de ta permission pour entrer. »
« Tu veux quoi ? »
« Faut qu'on parle. »
« Est-ce que ton manager a réglé les bricoles avec les services frontaliers ? »
Il prit la chaise et la retourna, s'asseyant dessus avec ses longues jambes. « Tu dois faire une demande de passeport. »
« Quoi ?! »
« Je sais. C'est débile. T'as besoin d'un passeport pour retourner dans ton propre pays. »
« Comment je suis censée faire une demande de passeport ? »
« Tu peux le faire en ligne. »
« Ça va prendre combien de temps pour l'avoir ? »
« Quelques jours. »
« Je peux pas rester ici aussi longtemps ! Je dois aller bosser ! Mes sœurs peuvent pas se débrouiller sans moi ! »
« Dean a déjà parlé à ton patron », dit-il. « Tu seras pas virée, et je te paierai le fric que tu perds. »
Je le regardai avec surprise. « Pourquoi tu ferais ça ? »
« Parce que c'est de ma faute si t'es dans cette galère. »
« Merci », dis-je doucement.
« Et pour tes sœurs ? Qu'est-ce que je peux faire pour elles ? »
« Rien. Ma petite sœur devra en faire plus. »
Il me regarda pensivement, tapotant ses doigts sur la chaise. « Mon attaché de presse va s'occuper de ce bordel, expliquer pourquoi t'es vraiment sur mon bateau.
« Mais y a aucune garantie que les paparazzis le croiront. Ils croient ce qui fait vendre des histoires. Une rock star qui sort avec une stripteaseuse est beaucoup plus croustillant qu'une employée de rock star avec un problème de passeport. »
« Je veux juste qu'on me foute la paix. »
« Je pense que tu dois te préparer à beaucoup d'attention médiatique. »
« J'ai rien demandé de tout ça », dis-je, essayant de ne pas chialer.
« Ça passera quand ils trouveront un truc plus intéressant dont parler. »
« Super », dis-je en essuyant mes larmes.
« Donc, on dirait qu'on va rester ici encore un moment. Je suggère qu'on arrête de se prendre le chou. »
« Pourquoi ? »
« Pourquoi je veux arrêter de me prendre le chou ? »
« Ouais. Pourquoi ? »
Il s'éclaircit la gorge, se grattant la mâchoire tout en détournant le regard. « Je t'ai mal traitée. Je suis désolé pour ça. C'était pas à cause de toi personnellement. »
« Je suis pas une pute. »
« Je suis désolé de t'avoir traitée comme ça. »
« J'accepte tes excuses. »
« J'aimerais t'inviter à rester dans une de mes chambres d'amis sur le pont principal. »
« J'aimerais bien », dis-je doucement, frottant ma chaussure contre le sol.
« D'accord alors », dit-il en se levant de la chaise.
« Tu mesures combien ? » demandai-je soudainement.
Il sourit, montrant ses fossettes et me faisant ressentir un frisson d'excitation.
« Un mètre quatre-vingt-seize. »
« Wow... »
« Tu veux de l'aide pour monter tes affaires ? »
« Ouais. Merci. »
« Pas de souci. »
« Wow », dis-je en tournant sur moi-même pour regarder ma nouvelle chambre. « C'est carrément mieux qu'en bas. »
« Content que ça te plaise », rit Miles en posant ma boîte sur le sol près de la porte.
« Y a une fenêtre au plafond au-dessus du lit ! »
« Je te conseille de rester à l'écart du balcon et de garder les rideaux fermés. »
« Sérieux ? Cette chambre donne sur l'eau. »
« Ouais. Mais je m'attends à ce que des paparazzis soient dans des bateaux, en train d'essayer de nous prendre en photo. Tu pourrais même voir des drones. Ils feront n'importe quoi pour obtenir ce qu'ils veulent. »
« Comment tu vis comme ça ? »
Il haussa les épaules. « C'est ce qui arrive quand on est célèbre. »
« J'imagine. »
« Judd me dit que t'as proposé de préparer le dîner. »
« C'est ça. »
« Tu prépares quoi ? »
« Judd m'a demandé si je pouvais faire du poulet parmesan. »
« Bien sûr », soupira-t-il en secouant la tête. « Il en mangerait tous les soirs si quelqu'un lui en préparait. »
« Faut croire qu'il aime ce qu'il aime. » Je souris timidement, me mordant la lèvre quand nos regards se croisèrent.
Il s'éclaircit la gorge, se dirigeant vers la porte. « Profite bien de ta nouvelle chambre, Hannah », dit-il d'une voix rauque.
« Oh mon Dieu ! » cria Alexis. « J'arrive pas à croire que tu sois coincée sur le bateau de Reefer avec lui ! »
J'éloignai le téléphone de mon oreille pendant que ma sœur parlait avec beaucoup d'excitation.
« Alexis, calme-toi », dit Paddy.
« Merci de filer un coup de main, Paddy. »
« Pas de souci, Hannah. »
« Comment va Cléo ? »
« Elle est beaucoup plus calme maintenant. »
« T'as dû faire combien de fournées de cupcakes ? »
« Cinq », rit-il.
Cléo adorait faire de la pâtisserie. On aimait toutes. Notre mère était pâtissière et elle nous avait appris à toutes les trois à aimer la pâtisserie.
On allait ouvrir notre propre boulangerie un jour. Toutes les quatre y bosseraient.
Ça aurait été génial pour Cléo. Elle pouvait rien faire toute seule, mais elle pouvait certainement aider.
Elle était très douée pour organiser les ingrédients et mesurer. Ma sœur s'intéressait beaucoup aux mesures.
Mais la boulangerie n'était qu'un rêve. Mes parents étaient des rêveurs qui bossaient pas assez dur pour que les choses se réalisent.
Ils aimaient pas travailler dur. Aucun d'eux pouvait garder un boulot très longtemps. Ma mère était très talentueuse, mais c'était pas suffisant. Elle essayait pas assez fort pour réussir.
« Je peux lui parler ? »
« Elle est juste là. »
« Salut, Cléo. »
« Tu rentres quand à la maison ? »
« Je suis pas sûre. »
« Pourquoi ? »
« Je suis coincée. »
« Dans un ascenseur ? »
« Non, ma chérie », ris-je. « Je suis coincée sur un bateau. »
« J'aimerais qu'on puisse avoir un chat. »
« On pourra peut-être y réfléchir quand je rentrerai. »
« Paddy a mis trop de sucre dans les cupcakes. »
« C'est un mec. »
« Ouais. » Elle gloussa.
« Je suis désolée de t'avoir contrariée, Cléo. »
« J'aimerais pouvoir faire une soirée pyjama avec Reefer. »
« Si je pouvais échanger ma place avec toi, je le ferais. »
« On devrait appeler notre chat Reefer. »
« Ou Miles. »
« Paddy m'a acheté un nouveau livre de coloriage. »
« Ah bon ? »
« Un tigre du zoo a le virus. »
« J'en ai entendu parler. »
« Elle est partie », dit Alexis. « Elle est allée dans sa chambre et a fermé la porte. »
« Elle est toujours fâchée contre moi ? »
« Elle a arrêté de t'insulter, donc je suppose que t'es pardonnée. »
« Merci encore, Paddy », dis-je. « Je te revaudrai ça. »
« Tu pourras me remercier en m'invitant au mariage. »
« Très drôle. »
« Je croyais qu'on allait manger du poulet parm ! » s'écria Judd en regardant l'assiette que je posais devant lui.
« J'avais pas les bons ingrédients. »
« C'est pas vrai ! J'ai déballé la boîte de bouffe ! »
« Je le ferai demain soir si on est toujours là. »
Il leva les yeux, fusillant Miles du regard de l'autre côté de la table. « Espèce de sournois. »
« Quoi ? » dit Miles la bouche pleine de pain de viande.
« Tu lui as dit de faire du pain de viande. »
« J'ai rien fait de tel. »
« Vraiment. Elle savait par hasard que le pain de viande et la purée de patates sont ton plat préféré ? »
« Il m'a pas demandé de le faire », dis-je. « Je savais que c'était son plat préféré. »
« Je savais que t'étais une grande fan », me taquina Miles.
« Pas moi. Ma sœur. »
« Bien sûr. »
« C'est vrai. »
« Hum hum. »
Quand il me sourit, tout mon corps se réchauffa. Mon cœur battait la chamade, mon estomac faisait des bonds, et je me sentis excitée pour la deuxième fois de la journée.
Je bougeai sur ma chaise, incapable de détourner le regard jusqu'à ce que la voix de Judd interrompe notre échange de regards.
« Tu promets que tu feras du poulet parm demain soir ? »
« Ouais », dis-je tandis que Miles me regardait d'une manière qui me faisait sentir toute chose. J'étais stripteaseuse, je connaissais bien ce regard. Le mec qui disait ne pas coucher avec des putes avait des pensées salaces à mon sujet à table.
J'aurais dû être dégoûtée.
Mais mon corps suggérait le contraire.
