EBF : La Sirène Prisonnière

Je gémis.

Puis je cligne des yeux, je me sens étourdi et pris de vertiges.

« Bel étaloooon ! REGAAARDE ! »

Je gémis en clignant encore des yeux, trébuchant sur ma gauche alors que ma vue retrouve sa netteté. « Qu'est-ce que... » soufflé-je. Mon cœur bat maintenant si fort qu'il pourrait sortir de ma poitrine. « Putain de merde. »

Impossible.

Irréel.

Je passe une main gantée sur mon visage en calmant ma respiration. Je regarde lentement autour de moi. Le vent salé me fouette, et une excitation intense m'envahit comme jamais auparavant.

« C'est la baie de Boaba ! » s’écrie Dolly, mais je suis trop occupé à réaliser ce qui se passe, à ne pas en croire mes yeux.

« Incroyable, putain », murmuré-je, et un sourire se dessine lentement sur mes lèvres.

C'est la nuit, et la lumière de la lune projette son éclat sur la mer, la faisant ressembler à du verre ondulant. Je me tiens au bord d'une falaise, surplombant la splendeur de ce monde.

La lune, ou quelque planète que ce soit, semble énorme, et je peux voir les vagues lointaines s'écraser en contrebas, leur son me parvient malgré mon cerveau embrumé.

« Pince-moi », dis-je à bout de souffle.

Je sens soudain quelque chose de dur s'abattre sur moi, et une douleur intense m'envahit l'épaule en me surprenant. Je jette un coup d'œil à Dolly et ma bouche reste ouverte. Je la calcule enfin.

Et merde...

Elle ressemble à une putain des docks flippante, avec une dent en moins et un long pistolet en argent à la main, son maquillage est tout de traviole.

« Tu viens de me frapper avec ça ?! »

Dolly rit aussitôt en se pliant le ventre, révélant sa folie alors qu'elle se redresse pour soutenir mon regard plissé en reprenant son souffle.

« Tu devrais voir ta tête ! » Elle ressemble à une version humaine démente de sa forme naturelle.

Elle porte deux longues tresses blondes, sa robe écarlate miteuse est pleine de trous, et elle porte une large sangle de pistolet à ses hanches.

Bon sang de merde. Elle donnerait du fil à retordre à la sorcière blonde de Hocus Pocus.

« Tu te sens bien vivant maintenant, bel étalon ? Tu veux que je te frappe encore ?! » Elle a l'air enthousiasmée par cette perspective, et même excitée, ce qui est perturbant.

« Non », dis-je un peu trop vite en cachant mon sourire, alors que je sens le vent se lever. « Tu es folle, Dolly, et venant de ma part ce n’est pas rien. »

« Merci ! » s'exclame-t-elle, les yeux écarquillés par l'excitation, en se léchant les lèvres. « On va bien s'amuser ! »

Je soupire en regardant cette terre étrangère avec une admiration totale, et je me demande quel sera mon premier plan d'action. Trois mois, c'est tout ce que j’ai pour trouver cette traîtresse, et je vais m'en donner à cœur joie.

Elle se tient à côté de moi avec un petit sourire, puis me regarde. « Ce n'est que le début. Est-ce que Pierce t’a parlé des lignes de vie ? »

« Oui. » Je la regarde en haussant les sourcils. « "Activation de la ligne de vie", c'est ça ? »

Dolly acquiesce.

Je m'apprête à lui poser une question quand nous fronçons tous les deux les sourcils alors que le sol gronde bruyamment comme s'il avait été frappé par quelque chose.

« Qu'est-ce que c'était ? » demandé-je en me reculant.

Les yeux de Dolly s'écarquillent et elle se touche l'oreille, trébuchant vers la droite à cause des tremblements, sa main gauche bouge comme si elle était en train de... tapoter ou jouer du piano ?

« Bel étalon !!! » hurle-t-elle en me regardant avec de la peur dans les yeux. « COURS !!! Code ROUGE ! À COUVERT ! On nous tire dessus ! »

Un craquement assourdissant se fait entendre.

« C'est quoi ce bordel ! » crié-je en sentant le sol commencer à se dérober tandis que mon pouls s'affole sous l'effet de l'adrénaline.

Je regarde le sol et le vois se fissurer littéralement sous mes yeux, et le son est tonitruant.

Je me retourne pour bondir en arrière, mais j'entends soudain un grand BOUM ! et tout se passe si vite, trop vite.

Je tombe avec Dolly, nos voix se fondent alors que nous crions, nous retrouvant dans le vide alors que la roche et le sol bien solide ont disparu sous nos pieds.

Eh ben, putain !

« Activation de la ligne de viiiiiiiie !!!!!!! »

**

J'entends des sons.

« Êtes-vous réveillé, Jensen ? »

Je cligne des yeux, me sentant un peu décontenancé. Je gémis à nouveau, et constate que je suis sur un canapé blanc, à l’Entreprise Bonne Fée, si je devais faire une supposition éclairée.

Je jure en réalisant ce qui s'est passé, et je referme les yeux pendant un instant avec un sourire effronté. « Qu'est-ce que c'était que ça ? »

J'ai déjà utilisé une foutue ligne de vie dans les cinq premières minutes.

Une femme se tient devant moi avec des yeux d'une couleur bizarre, rose-violet. « Je m'appelle April. Pierce sera bientôt là. Votre douleur à la tête va bientôt disparaître, désolée. Un café ? »

J'acquiesce, je jette un coup d'œil autour de moi puis je reviens à April qui pique instantanément mon intérêt et ma curiosité. J'ai presque envie de rire devant le cliché geek de son apparence.

Je penche la tête en l'observant, voyant ses joues rosir à cause de mon intérêt soudain pour elle. Ses yeux se posent lentement sur les miens et elle sourit un peu.

« Pierce sera bientôt là. »

« Vous l’avez déjà dit. »

Elle secoue la tête en riant. « C'est vrai, je sais. C'est juste que Pierce n'est pas content, il est même en colère. Il est toujours très calme, alors c'est… » Elle fait une grimace. « Un peu effrayant quand il se met en colère. »

Je lève un sourcil. « Fâché à cause de la ligne de vie que nous avons utilisée ? Je n'y suis pour rien. »

Nous sommes apparus au moment où un explosif a frappé le flanc de la falaise ?

« Je sais. Je suppose qu'il y a eu une confusion dans la paperasse et l'autorisation d'extraction. » Elle fait une drôle de tête et lève les yeux au ciel en agitant l’un de ses bras.

« Une confusion ? »

April a l'air distraite, comme si elle observait quelque chose à travers les parois vitrées de cette pièce, puis elle me répond.

« Oui », dit-elle en me jetant un coup d'œil. « C'est tellement ridicule. L'EBF est soumise à tellement de restrictions, et s'ils font une erreur stupide, ils donnent l'impression que Zora et Pierce sont incompétents, ce qui est absurde !

« Pierce est brillant, il ne fait jamais d'erreur ! Bien sûr, ses méthodes peuvent être exaspérantes, mais c'est un génie. Nous avons eu beaucoup de problèmes ces derniers temps, surtout avec les missions Bêta. »

Elle fait une pause, et je peux voir la frustration sur son visage alors qu'elle baisse la voix.

« Tout a commencé quand le neveu de Zora est arrivé pour surveiller les missions Bêta et Alpha, car le conseil a demandé à l'EBF d'embaucher plus de personnel de surveillance… ils veulent plus de transparence.

« Ils essaient de prendre le contrôle des missions Alpha et de l’entreprise depuis des lustres… ça m'énerve vraiment ! » Elle rougit. « Désolée, je ne devrais pas dire ça ! »

April se couvre la bouche, consciente qu'elle ne devrait pas me dire ce genre de choses.

« Lâchez-vous, April », dis-je pour l’encourager, car je trouve ces informations intéressantes. « Alors, qui est ce neveu ? Dois-je le tuer pour vous ? »

Elle rit. Un très joli rire, léger et aérien. « Vincent », dit April, comme s'il s'agissait d'une malédiction et que quelqu'un devait hurler d'horreur après que ce nom ait été prononcé.

« Ahhh », dis-je pensivement. « Ce Vincent pourrait-il faire du sabotage ? »

Je peux lire entre les lignes.

« Oui. » April me regarde droit dans les yeux, et je suis surpris de voir son regard se transformer lentement en prenant une couleur bleutée.

« Il est le numéro deux du conseil, il est très puissant. C'est leur enfant chéri. Je le déteste. Mais tous les autres l'adorent. Il est faux, et j'ai l'impression d'être la seule à le voir !

« Zoya le déteste aussi. Et je sais pertinemment que Pierce ne le supporte pas. Il voudrait être Pierce. » Elle regarde la paroi vitrée. « Il est jaloux de Pierce. »

Je hoche la tête, pensif, j'aime bien cette geek d’April. « Je cerne très bien les gens aussi, je me fierai à mon instinct. Ce type a l'air d'un trouduc. »

« Je ne sais pas ce qu'est un trouduc, mais ça lui ressemble, j’en suis sûre », souffle-t-elle en croisant les bras devant son costume gris peu flatteur et en s’appuyant contre un mur.

« Merci de m'avoir écoutée. Pierce sera bientôt là, et Dolly est avec le personnel pour un examen rapide. » Elle lève encore les yeux au ciel et soupire.

Je hausse un sourcil en l'observant, je ne peux pas m'en empêcher, je suis comme ça.

Je regarde les traits de son visage délicat sous les grosses lunettes qu'elle porte. Puis je jette un coup d'œil à ses vêtements, qui semblent coûteux, mais qui n'ont ni la bonne forme ni la bonne taille.

Elle a l'air d'avoir des jolies courbes, et je ne serais pas surpris qu'elle cache un corps de rêve sous cet accoutrement.

Je peux lire en elle très facilement, elle en fait trop avec sa tenue vestimentaire.

Je trouve cela étrange.

Je regarde les autres à travers les parois vitrées de la pièce. Tous ceux qui ne portent pas de blouse sont impeccablement habillés. C'est du sur-mesure.

Je jette un coup d'œil à April en me disant qu'elle est plus haut placée qu’eux, vu qu'elle est avec moi dans cette pièce.

Pourquoi diable porte-t-elle ça ?

Normalement, je n'analyse pas les assistants, mais elle a tout de suite attiré mon attention par son allure bizarre. J'étudiais les gens avec Bruna avant même de savoir lire. C'est ancré en moi.

J'examine son visage : une belle structure osseuse, sans parler de la couleur exotique de ses yeux. Mais tout le monde ne doit remarquer que ses affreuses lunettes.

« April », dis-je, la voyant tourner lentement la tête pour me regarder, comme si elle savait que je l'observais.

« Voulez-vous un café ? » demande-t-elle d'une voix légère.

Je n'ai pas le temps de tourner autour du pot. « Vous vous cachez avec votre accoutrement ridicule… pourquoi ? Traumatisme passé ? Anxiété sociale ? Dysmorphie corporelle ? » Je grimace, j'ai l'impression d'être une putain de Bruna.

Elle blêmit, puis son visage devient écarlate.

J'entends un remue-ménage et je vois Pierce à travers une vitre, marchant avec un petit groupe de gens qui ont l'air contrariés.

Bon sang, April avait raison. Pierce, qui semble toujours calme et serein, est furieux.

April a l'air terrifiée et va se poster dans un coin, la tête baissée, alors que la porte s'ouvre. Pierce touche son oreillette alors qu’il entre dans la pièce.

« Passe outre ! Je veux une autorisation maintenant ! » Il me regarde, puis le mur derrière moi en écoutant à son oreille. « Dis-lui d'aller se faire voir, donne-moi cette autorisation tout de suite. »

Je fronce un sourcil.

Pierce soupire et me regarde. « Ce n'est pas ce à quoi vous vous attendiez dans les cinq premières minutes », me dit-il. « Vous allez récupérer votre ligne de vie. »

« C'est contraire au règlement, Pierce. » J'entends la voix d'un homme dans l'embrasure de la porte. « C'est une violation du code R… »

« R1452 », l’interrompt Pierce en se tournant vers un homme à l'air suffisant. « N'insulte pas mon intelligence. Il va récupérer sa ligne de vie. Ce n'était pas de sa faute. »

Silence dans la salle.

Je ricane intérieurement. Ironiquement, l'homme aux cheveux blonds ressemble étrangement à Pierce. Il n'est pas aussi grand, pas aussi beau, et il ne dégage absolument pas la même autorité que Pierce.

Il doit s'agir de l'autre connard, Vincent.

Intéressant.

Je fais une rapide analyse.

Il a des yeux foncés, pas comme ceux de Pierce, ce qui me fait penser que cet abruti doit se teindre les cheveux en blond, ce n'est certainement pas naturel. J'observe le faux sourire éblouissant qui fait tache sur son visage bronzé.

Bon sang, April a raison. Je lui jette un coup d'œil et elle me regarde. Ça m’est venu très vite, mais je le vois clairement. C'est notre homme.

Les yeux de Vincent s'écarquillent d’un air moqueur. « Vous avez signé pour l'extraction. Je suis désolé, c'est comme ça que le jeu se joue. Vous faites une erreur et vos agents en pâtissent.

« Si vous avez besoin de plus d'aide dans le département Alpha pour que vous puissiez juste vous préoccuper de la mode, je peux faire en sorte que cela se produise... »

Pierce plaque Vincent contre un mur, il le tient avec une force impressionnante alors que ses mains le soulèvent par le col.

« Il va récupérer sa ligne de vie. Je n'ai pas autorisé cette extraction », dit-il plutôt calmement, ce qui le fait paraître encore plus dangereux.

D'accord. Respect à Pierce.

Je mentirais en disant que je ne m'amuse pas en regardant ça.

« J'ai une nouvelle extraction à gérer. Maintenant, si tu veux bien m'excuser pendant que je fais mon travail », siffle Pierce en lâchant le trouduc, et ses pieds retombent sur le sol.

Le visage de Vincent rougit d'embarras tandis qu'il remet en ordre son costume et sa cravate. Je souris. On dirait que le petit Vincent a fait caca dans son pantalon avec cette expression.

« Les RH vont en entendre parler, Pierce, crois-moi. Tes jours ici sont comptés si tu te comportes comme un animal. Personne n’est irremplaçable », menace-t-il en partant, suivi de quelques hommes.

Vincent donne accidentellement un coup d'épaule dans le cadre de la porte en sortant, ce qui le fait jurer, puis il hurle sur des gens devant lui comme si c'était leur faute.

Pierce le regarde partir avec les poings sur les hanches. « Pam, je veux une extraction maintenant. J'ai téléchargé les coordonnées. Mettez la main sur Dion avant que Vincent et l’association Legacy n'interviennent. »

Je fronce les sourcils devant l'expression rougissante d'April et le fait que Pierce l’appelle par le mauvais prénom. « Oui, monsieur ! »

Je m'amuse des tactiques de Pierce et l'apprécie de plus en plus. Le fait d'être ici à l'EBF est très divertissant. Je suis presque triste de repartir et de manquer tous les drames autour de Vincent.

Il me jette un coup d'œil et m'observe. « Vous êtes prêt à recommencer ? »

« Putain, oui », dis-je calmement, en ajustant mon cache-œil et en étirant mes bras. « Il y a quelques problèmes au paradis, à ce que je vois. »

Pierce sourit, mais je vois bien qu'il ne trouve pas ça drôle. « Bien sûr, comme vous pouvez le voir », acquiesce-t-il. « Jensen, j'ai besoin que vous fassiez de grandes choses. Ils ne veulent pas que je réussisse cette mission. »

Il s'approche de moi, et je peux lire l'émotion dans son regard. « J'ai besoin que vous soyez agressif et que vous baisiez les règles », murmure-t-il.

« Ils veulent vous éliminer parce que je vous ai choisi. Et cet imbécile sait que je fais toujours le bon choix. »

Il m’a choisi ?

Attends.

Toujours raison ? À quel titre ? Pour gagner ?

« Je vous ai mis en équipe avec Dolly pour une bonne raison. Maintenant, allez me trouver cette taupe », poursuit Pierce. « Je vous place dans une position idéale pour vous démarquer. »

« Qu'est-ce que ça veut dire ? » demandé-je prudemment, tout en me préparant.

Ses lèvres esquissent un sourire.

« C'est à vous de décider. J'ai besoin de vous, Jensen, pour réduire la menace à néant. Je soupçonne l'un de nos joueurs de travailler pour l’association Legacy afin de saboter cette mission. »

« Ahh, l'intrigue se corse », murmuré-je. « Vos désirs sont des ordres. »

J'ai ma petite idée sur l'identité du traître.

« Soyez prudent car vous constituez une cible, simplement parce que je vous ai choisi », me prévient Pierce en se touchant à nouveau l'oreille.

Je hausse les épaules. « Je n'ai pas peur, Pierce, vous pouvez me croire. » Je ressens un besoin fou de défendre Pierce et son entreprise alors que je viens à peine de le rencontrer. Je fais craquer mon cou. « Je suis prêt. »

« D'accord. » Pierce sourit, se redresse et touche son oreillette. « Je vous aide pour l’affectation… on peut être deux à jouer à ce jeu-là. »

Pierce regarde April et la pointe du doigt. « Dion est prêt ? Quel est votre nom déjà ? »

Ses yeux s'écarquillent et ses mains volent sur son clavier virtuel. « Oh ! Euh… April, monsieur ! Oui, dans 5 ! »

« Ah, zut ! » s'écrie-t-elle. « L'extraction se fait MAINTENANT… Désolée ! »

Pierce dit quelque chose, mais je ne vois que du noir.