
Quand je reviens à moi, je suis prêt cette fois.
Je souffle un bon coup, les yeux plissés, en contemplant l'immensité de la mer, les jambes bien calées sur le pont supérieur d'un énorme bateau pirate. Mon bateau. Je ressens les mouvements et la force des vagues qui se fracassent contre le gréement noir.
Je respire à pleins poumons.
C'est très excitant.
« Bel étalon ! Piercy nous a envoyés ensemble ! Tu es le capitaine de ce bateau ! »
Je continue de scruter les lieux, de m’imprégner de la scène, je m’efforce de calmer mon excitation. Pierce m'a choisi pour ce rôle pour une bonne raison, et je ne le laisserai pas tomber.
Le navire est massif, avec d'immenses voiles déchirées qui fendent le ciel nocturne comme des fantômes noirs battant violemment au vent.
Une brume verte incandescente entoure ce gigantesque bateau, comme s'il était possédé par toutes les mauvaises actions et les négociations qui ont mal tourné.
« Nous avons le pouvoir du Cœur de Dragon », murmure Dolly à côté de moi, en m'agrippant le bras.
« La légende dit que les pirates de la baie de Boaba sont maudits à cause de toutes les âmes qu’ils ont envoyées aux enfers. Mais c'est le pouvoir du Cœur de Dragon, dont tu as hérité, qui te donne ce pouvoir.
« C'est toi et les autres hommes et femmes de cette lignée qui l'alimentez. Cela rend ton vaisseau plus rapide et plus puissant, et tes hommes plus vifs. »
Je regarde Dolly avec un sourire, voyant de l'enthousiasme dans ses yeux écarquillés. « Merci pour ces informations très utiles. »
Je mentirais si je disais ne pas ressentir cette énergie intense qui me traverse, comme une puissance tapie dans les ombres de mon esprit.
C'est une sensation difficile à décrire, comme si je n'étais pas seul dans mon corps. Comme si quelque chose était là, une autre facette de moi.
« Capitaine, nous avons de la compagnie ! Voile en vue ! »
J'entends les hommes crier, tirant violemment sur les voiles pour faire tourner le navire à tribord. Je tourne sur moi-même en regardant tous mes hommes, et je connais étonnamment la plupart de leurs noms et de leurs rôles comme s'ils avaient été téléchargés dans mon cerveau.
« C’est dingue », soufflé-je en souriant, et je sens mon adrénaline monter.
« Voile en vue ! » entends-je à nouveau.
Je sais immédiatement ce que cela signifie : un autre navire.
Je regarde le pont inférieur et vois un grand gaillard courir dans ma direction, suivi d'un petit homme, et mes yeux s'écarquillent.
« Claus ? » chuchoté-je en plissant les yeux pour mieux voir dans la nuit.
« Regarde ! C'est l’étalon numéro deux ! » dit Dolly en applaudissant. « Son agent s'appelle Ash, je l’aime bien ! » Elle me regarde avec une moue bizarre.
« L'année dernière, j'ai été suspendue parce que je l'ai drogué et attaché tout nu. L'équipe de sécurité l'a emporté avant qu'on puisse s'amuser, c'était vraiment nul. »
Je fronce les sourcils, pas vraiment attentif. « Tu as fait quoi ? »
« Black Heart ! » Je lève les yeux et vois Claus qui me sourit et s'approche en trottinant, une longue épée à la hanche. « Je me demandais où tu étais ! Que s'est-il passé ? »
Il s'approche de moi dans son costume de pirate noir et rouge. Il fait quelques centimètres de plus que moi, et me tapote l'épaule avec un bras maigrichon.
« Regardez-moi ça ! Incroyable ! Tu vas faire quoi maintenant ? » Il rit, les yeux brillants de joie, et me tend les bras.
« C'est dingue ! Nous sommes de vrais pirates, putain ! Putain de merde ! Il faut qu'on trouve du rhum pour fêter ça, camaraaaade ! » dit-il à la manière d’un pirate, semblant adorer chaque seconde de ce moment.
Je ne le blâme pas. C'est très excitant.
J'observe son agent, et il a l'air d'un petit pirate ordinaire tout de noir vêtu. Il ne semble pas menaçant, mais il n'a pas l’air d’une mauviette non plus.
Je vois que la peur soudaine de son agent rend Claus curieux et il jette un coup d'œil à Dolly, ses yeux s'écarquillent alors qu’il l'observe. « Bon sang, mec. C'est ton agent ? »
Je soupire en retenant un sourire. « Bien sûr que c’est mon agent. »
Claus fronce les sourcils, la regardant elle puis moi. « C'est... cool. Je veux dire, je suis sûr qu'elle est douée dans ce qu'elle fait », dit-il, comme s'il essayait de me rassurer.
Claus pâlit, sa bouche reste ouverte devant le ton sulfureux de la jeune femme. Je me pince l'arête du nez et cache mon sourire. Dolly est complètement tarée.
Nous entendons soudain un grand BOUM, ce qui nous fait regarder vers la terre au loin, et nous apercevons de hautes falaises dans la nuit noire.
Une partie de la montagne se détache sous l'effet de quelque chose de puissant, comme un explosif. Je la regarde fixement quand ça me frappe soudain.
« Dolly ! Est-ce que c'est la montagne sur laquelle on était apparus ? »
Elle me semble familière.
C'est peut-être ce même flanc de montagne qui s'est effondré en sonnant le glas lors de ma chute qui m’a fait utiliser ma première ligne de vie.
Dolly tape dans ses mains. « Oh ! Oui, oui, c'est ça. »
« Vous êtes apparus sur cette montagne ? » demande Claus à côté de moi.
« On nous a dit qu'il y a eu un problème d'extraction et que Pierce a fait une erreur. »
Pierce n'a pas fait d'erreur, putain.
Je l'ignore alors que mon cœur bat la chamade à cause des vibrations profondes dues à l'explosion. « Qui vient de tirer, putain ?! »
« Capitaine, le navire de la marine nous avertit de reculer ! » lance un homme grand et musclé qui court vers nous, il a l’air d’un dur à cuire. « Quels sont tes ordres, capitaine ? »
Claus pointe quelque chose du doigt, et mes yeux suivent. « Tu vois, là. L'armée de Bridgedell est au large de la côte. C'est pourquoi j'ai essayé de te trouver pour te dire qu'ils nous avertissent de reculer. »
Je vois au loin un énorme navire qui tire à nouveau sur le flanc de la montagne.
« Pourquoi ils tirent sur notre île ? C'est la baie de Boaba ! Est-ce qu'ils nous font la guerre ? Attendez... » Je m'interromps en réfléchissant. « Ce n'est pas le bateau de Félix ? C'est un capitaine de la marine, non ? »
Pourquoi est-ce qu'il s'attaque à notre terre, bordel ?
Tant de questions se bousculent dans mon esprit suite à l'avertissement de Pierce.
L'agent de Claus prend la parole en agitant une main. « Ils ne sont pas en guerre contre nous. Ils chassent les sirènes.
« Ils en ont attrapé une. Une rare, peut-être une princesse ou un membre de la royauté… ce n'est pas précisé dans le rapport que j’ai lu.
« Ils essaient de démolir un réseau de tunnels souterrains en frappant le flanc de la falaise, afin qu'elles ne puissent pas s'échapper. »
Je le regarde et j’ai du mal à respirer. « Ils ont attrapé une putain de sirène ? »
Ash acquiesce. « C’est plutôt énorme. Malheureusement, il est rare que des humains les aperçoivent, alors beaucoup croient qu'il ne s'agit que d'un mythe. »
Mon esprit s'emballe. « Alors ils ont attrapé une sirène ? Pourquoi est-ce si important ? »
« Mec, les sirènes ont deux morceaux du médaillon, paraît-il », répond Claus en regardant le bateau au loin.
« Ne t’inquiète pas. Nous sommes dans la même équipe que Félix. Peut-être qu'il peut faire en sorte que la sirène nous dise où se trouvent les autres morceaux ou qui est la taupe. »
C'est vrai. Les sirènes sont les méchantes, il faut trouver la taupe.
« Merde », marmonné-je, me rappelant ce que Pierce a dit à propos d'un des joueurs travaillant pour l'association Legacy et de toute la merde qu’il pourrait provoquer avec deux morceaux du médaillon.
Ce putain de Vincent, je ne le connais même pas et j'ai déjà envie de lui mettre une balle dans la tête.
« Il faut qu'on aille chercher cette sirène. »
Ils me regardent tous, confus. « Je ne fais pas confiance à Félix, ni à Pierce d'ailleurs ! » crié-je après une nouvelle explosion, mon corps se tend alors que je vois encore une partie de la falaise tomber dans l'océan.
« Pierce pense que l'un des agents est là pour saboter la mission et Félix semble être de ce genre. »
Ash fronce les sourcils, les yeux écarquillés. « Il t’a dit ça ?! » Il lève les yeux vers Claus. « Pierce ne se trompe jamais. »
« Bien sûr qu’il me l’a dit, putain. » Je jette un coup d'œil à Dolly avec un sourire, et je fais craquer mon cou sur le côté. « Hé, Dolly chérie, tu veux tout faire péter ? »
Elle pousse un petit cri, ce qui fait que beaucoup d'hommes regardent dans notre direction. « Oui, oui », dit-elle, comme si je venais de lui annoncer la meilleure des nouvelles.
« Cap’ ?! » demande mon second.
Je l'avais presque oublié et je m'approche de lui, debout sur le bord du pont qui surplombe les niveaux inférieurs de ce gréement impressionnant, en regardant tout le monde.
Ils sont tous costauds et musclés, vêtus principalement de noir et de rouge, et équipés d'armes.
Je m’éclaircis la gorge en voyant tous les regards se tourner vers moi.
« Très bien, bande de sacripants ! » Je fronce les sourcils alors que ces mots sortent de ma bouche sans réfléchir. Je jette un coup d'œil rapide au sourcil haussé de Claus. Je l’ignore et je continue.
« Levez l'ancre et hissez l'artimon ! Dirigez-vous vers les navires de la marine ! Nous avons une sirène à attraper ! »
Les hommes froncent les sourcils, puis s'exécutent à contrecœur, ne voulant pas remettre en question ma folie. « Chargez les canons de poursuite ! » ordonné-je d'un ton dur en ressentant une montée d'excitation.
« Cap’, on leur déclare la guerre ? » demande un pirate sinistre d’un air hésitant. « Nous n'avons pas fait la guerre à la marine depuis des années. »
Je regarde l'homme à ma gauche et, bizarrement, je sais qu'il s'appelle Wolf et que je peux lui faire confiance. C'est tellement étrange.
« Je veux la sirène, et nous allons l'avoir maintenant. Ces fragments de médaillon nous appartiennent, pas à Bridgedell. »
Il réfléchit, puis acquiesce, un lent sourire se dessine sous sa barbe. « À tes ordres, capitaine. »
« Préparez-vous au combat ! Je veux cette sirène ! » hurlé-je en sortant mon épée et en jetant un coup d'œil à Dolly. « Nous n'avons que des épées ?! »
Je lève les yeux et vois Claus donner des ordres à nos hommes, préparant le navire à charger les vaisseaux de la marine. Je me retourne vers elle et vois ses yeux s'illuminer.
« Non, il y a bien mieux ici. TU AS DES CANONS PORTABLES ! » hurle-t-elle, les yeux brillants d'une volonté sinistre.
« Donne-moi-en un », lui ordonné-je, et je m'esclaffe lorsqu'elle pousse un cri de joie.
Je dois tourner sur moi-même, me sentant comme un crétin. Mais bon sang, Dolly m'a commandé des canons portables à l'armurerie de l’EBF, en disant qu'elle les avait choisis elle-même.
Je tiens donc la plus grosse arme que j'aie jamais vue, qui ressemble à un bazooka.
Elle repose sur mon épaule, et sans ma lignée du Cœur de Dragon, il n'y aurait aucune chance qu'un simple homme puisse l’utiliser et rester en vie pour raconter son histoire une fois que ce truc aura fait feu.
En fait, il pourrait être dangereux pour moi de l'utiliser, même avec ma nouvelle force.
« Dolly, je peux l'utiliser sans utiliser une ligne de vie ? Je n'ai vraiment pas envie de me retrouver à nouveau au quartier général. »
Peu importe, ça me va.
« Dolly. Allons foutre le bordel », dis-je, et je me penche pour attraper une corde qui pend vers le bas, la saisissant fermement alors que je saute par-dessus le rebord avec le flingue le plus lourd qui soit sur mon épaule.
Je parviens tout de même à atterrir sur le pont inférieur avec grâce, surpris que le bois ne se fende pas sous mon poids. Je ne peux pas effacer le sourire sur mon visage face à mes capacités.
J'aimerais voir la tête de Félix quand ce petit bijou va tirer sur son joli bateau qui détient ma sirène.
« Putain de merde, mon pote », dit Claus derrière moi alors que je me hisse sur le rebord pour obtenir une hauteur de tir optimale, en me servant de mon poids pour supporter cette arme. « Où t’as trouvé ça ? »
« La Fée Marraine », dis-je en faisant un clin d'œil à Claus. « Elle est géniale. » Puis je me tourne vers mes hommes.
« Mettez-moi dans une meilleure position ! Cette sirène est à nous ! » ordonné-je, voyant les regards choqués devant mon mini-canon. Je suis sûr qu'ils se demandent où j'ai trouvé cette petite merveille.
Je me retourne et vois mon équipage regarder Dolly avec stupeur alors qu'elle atterrit sur le pont à côté de moi, son gros pistolet à la main, en le faisant tournoyer de façon experte.
« Qui est cette pute ? » s’écrie un homme, puis j’entends des murmures de tous les côtés.
« C'est de mauvais augure ! Elle a l'air d'une sorcière ! »
C'est vrai. Je n’irais pas le nier.
Je soupire en sentant l'arme peser douloureusement sur mon épaule, et je me demande comment m'y prendre.
Je me détends un peu, regardant tous mes hommes l’un après l'autre. « C'est… » Je fais une pause, essayant de réfléchir rapidement. « C'est ma sœur », proclamé-je, et je vois des expressions confuses et surprises.
Je vois leurs yeux s'écarquiller et ils se tournent vers Dolly qui les salue tous avec un air pervers franchement flippant.
« Putain », murmuré-je, frustré, en jetant un coup d'œil à Dolly, et je ne sais pas comment l'appeler.
« Dolly », murmuré-je désespérément. Elle regarde toujours les hommes comme si elle voulait leur faire du mal, et elle ne le cache même pas, putain.
« Dolly », sifflé-je un peu plus fort. Puis, enfin, elle me regarde et s'approche de moi comme si elle était sortie de sa transe de luxure.
« Désolé, bel étalon », soupire-t-elle. « Il y a tellement d'hommes, beaucoup de muscles. »
« Contrôle-toi », dis-je dans un souffle alors que je sens tous les regards sur nous.
« Tétons en Sucre », dit-elle sans aucune expression.
Je serre les mâchoires et baisse encore plus la voix. « Je ne t’appellerai pas comme ça. » Elle a l'air blessée, comme si je venais de la gifler.
Non, elle aimerait ça. Je vais l'enfermer dans une chambre avec une putain de nonne.
« Ne vous approchez pas d'elle si vous tenez à vos couilles, considérez-vous comme avertis ! » J'entends beaucoup de murmures, et je me remets sur les rails. « Mettez-moi en position de tir ! Bougez-vous ! Tout de suite, bande d’asticots ! »
Bande d’asticots ? C'est nouveau.
C'est comme si ce vocabulaire franchissait mes lèvres sans mon consentement.
Les hommes s'activent, déplaçant le navire comme je l'ai ordonné, de sorte que je m'aligne parfaitement avec le navire de guerre.
Ce navire est farouche, il fend les eaux noires et se dirige droit vers le vaisseau de la marine à une vitesse alarmante.
« On dit que c'est l'âme des anciens dragons », murmure Dolly à côté de moi. « La brume verte. »
C'était amusant à dire.
J'appuie sur la gâchette lorsque ma visée est parfaite.
Je suis au sol et réalise que je suis en train de rire, toussant dans la fumée. « Dolly ! Tu es folle ! »
« OHHH ! Superbe tir, bel étalon ! » Sa voix me parvient à travers la fumée, et ses mains me tirent vers le haut. « Tu as touché le côté du bateau ! Dans le mille ! »
J'entends des cris et le chaos autour de moi alors que je tousse de plus belle. Je relève mon grand corps et me prépare à tirer à nouveau.
Félix ne saura pas quoi faire avec les pirates de la baie de Boaba à ses trousses.
« FEU ! » hurlé-je, et j'entends les canons tirer.
BOUM. BOUM. BOUM.
Mon oreille droite siffle, mais je m'en fiche car je ne me suis jamais autant amusé de toute ma vie.
Je me sens vivant.
« Black Heart ! » m’appelle Claus que j’entends malgré le sifflement dans mes oreilles. « Nous avons coulé leur cuirassé ! Il est en train de couler ! »
Je ris avec une joie diabolique en courant vers le bord du pont pour regarder au loin le navire en train de couler, avec des flammes s'élevant jusqu'au ciel. « Pierce », m’écrié-je, j'espère que c'est ce que vous vouliez ! »
« La sirène est sur ce bateau », me rappelle Claus, l'air paniqué.
« Tu as raison. »
J'ai besoin d'elle.
Sans réfléchir, je me hisse sur le bastingage et plonge avec un saut de l’ange dans les eaux sombres et monstrueuses. Je suis un bon nageur, et dès que mon corps plonge dans les eaux noires et fraîches, je bats des pieds de toutes mes forces.
Si elle ne vient pas à moi, j’irai jusqu’à elle.
J’émerge à la surface de l’eau, entendant Dolly clairement. « C'est bizarre », dis-je, et je recommence à nager. Quand ma tête remonte encore à la surface, je demande : « Tu m'entends ? »
Je m'enfonce dans l'eau pendant quelques secondes, puis je remonte, nageant avec force. « Où est la sirène ? Et non, je ne suis pas tombé ! »
Je dois lutter contre le courant alors que je vois des canots de sauvetage près de l'énorme navire et des hommes qui crient. Je parie que Félix est sur l'un d'eux, choqué que je leur ai tiré dessus. J'espère que ce connard a utilisé une ligne de vie comme j'ai dû le faire.
« Elle est sur le vaisseau ? » Je prie pour que ce ne soit pas le cas quand je vois la coque en feu s'enfoncer dans la mer, nageant plus fort vers elle.
Je remonte à la surface et fais du sur-place. « Stop ?! » bafouillé-je.
Je bats des pieds pour garder ma tête hors de l'eau. « Sous moi ? » soufflé-je. « Je ne vois rien. Merde ! » Je regarde mon bateau qui s'approche de nous.
Je ne peux pas perdre la sirène.
Il fait nuit et l'eau est noire.
« Merde », dis-je encore, puis je prends une grande inspiration et je plonge.
Tout droit.
Je fais des mouvements puissants tandis que mon corps plonge plus profondément dans l'océan noir, tout droit, et mes bras tâtent le terrain, cherchant à attraper n'importe quoi.
À ce stade, je ne suis même plus sûr de nager en ligne droite.
Je cherche autour de moi mais ne trouve rien.
Je n'ai plus d'air.
Je pousse un cri de frustration sous l'eau, et je sens des bulles d'air s'agiter autour de mon visage.
Je m'apprête à remonter quand je sens l’un de mes pieds toucher quelque chose, quelque chose de doux. Mon corps réagit et je me penche pour attraper ce dont il s’agit.
Ma main s'accroche à quelque chose, que je sens tressaillir comme pour se dégager de ma prise. Un frisson me parcourt alors que j'attrape ce que je devine être des cheveux.
Des cheveux.
Et j'ai besoin d'air.
Tout de suite.
J’agrippe ce qui est là avec moi, et je sais que je tiens la sirène dans mes bras, comme un poisson géant.
J'attrape encore plus fort cette créature et je m'aperçois qu'elle est maintenant collée à mon corps, maintenue fermement contre moi par ma force. Cette créature n'est pas de taille contre moi, semble-t-il.
La bizarrerie de cette situation m'échappe. Il faut que je remonte à la surface et que je mette ce poisson à bord de mon bateau le plus vite possible. Je ne veux pas que d'autres membres de l'armée de Bridgedell arrivent et nous donnent du fil à retordre.
Je remonte enfin à la surface. « Je la tiens ! » Je suis à bout de souffle. « Dis à Claus de me lancer une corde ! »
C'est alors que je croise le regard de la créature marine pressée contre ma poitrine. Je fais du sur-place pendant que mes yeux expliquent à mon cerveau ce que je vois.
Elle, la sirène, a cessé d'essayer de lutter contre moi, comprenant que ses tentatives étaient vaines.
Je fixe les yeux d'une femme.
Elle a l'air d'une putain de vraie femme, mais avec des yeux jaunes éblouissants et des traits spectaculaires qui provoquent dans mon esprit une confusion et un choc.
Lorsque je saisis le haut de son corps délicat, j'ai l'impression de toucher de la peau, non pas gluante et poisseuse comme je m'y attendais, mais douce comme du satin.
« Laissez-moi partir », murmure-t-elle d'une voix faite pour être séductrice, une sirène de la mer, et je le ressens dans tout mon corps.
Je me ressaisis, essayant de me concentrer. « Désolé, ma belle », lui murmuré-je, battant des pieds pour rester à la surface de l'eau en serrant son torse nu contre moi. « Nous venons à peine de nous rencontrer. »