Mon cœur battait la chamade tandis que je regardais tour à tour Blade et la porte.
Pouvais-je vraiment faire confiance à Blade ? N'était-il pas dangereux après tout ?
Il venait de se battre contre plusieurs Crows et avait peut-être déclenché une guerre entre les MC à cause de moi. Mais c'était aussi un motard.
Comme mon père. Comme Skinner. En grandissant à Destiny, je n'avais jamais rencontré un motard gentil, même s'ils se comportaient bien pour arriver à leurs fins.
Le temps pressait.
Je jetai un dernier coup d'œil au visage inquiet de Blade.
Il y avait quelque chose chez lui. Je ne pouvais l'ignorer. Une petite voix intérieure me disait de lui faire confiance.
Je pris une grande inspiration et me dis : « Allez, je me lance. »
Je sortis en trombe de la cage et traversai l'entrepôt pour rejoindre Blade, juste au moment où les portes s'ouvraient et qu'une bande de motards faisait irruption dans le bâtiment.
Je me réfugiai derrière la vieille voiture que Blade utilisait comme cachette et sentis ses bras puissants me rattraper.
Il me regarda d'un air grave.
« OK, ma belle. Voici le plan. On court. »
« Quel plan génial », dis-je d'un ton sarcastique. Je crus apercevoir l'ombre d'un sourire sur son visage.
Mais ensuite il prit ma main. Je sentis comme une décharge électrique parcourir mon corps à son contact.
« Maintenant ! » cria-t-il, en tirant sur les motards qui approchaient. Je le vis abattre deux hommes alors que nous courions vers l'autre bout de l'entrepôt.
La porte était verrouillée, mais Blade donna un coup d'épaule dans la serrure qui céda facilement.
Puis nous nous retrouvâmes dehors dans l'air frais de la nuit, en train de courir, avec les Crows qui hurlaient derrière nous.
La moto de Blade était garée à l'ombre d'un autre entrepôt.
Il me souleva et me déposa sur le siège.
Puis il enfourcha la moto devant moi. Avant même que son pied ait quitté le sol, il démarra en trombe, faisant voler des graviers.
« Baisse-toi ! » cria Blade alors qu'une balle sifflait près de mon visage et frappait le mur de l'entrepôt.
J'entendis des moteurs derrière nous, je savais donc que les Crows nous poursuivaient.
« Qu'est-ce qu'on fait ? » criai-je par-dessus le bruit du vent, essayant d'avoir l'air courageuse. Je venais de me retrouver au cœur d'un gros conflit entre MC, ce que Destiny n'avait pas vu depuis des lustres.
« On va à No Man's Land », dit Blade en tournant à gauche alors que deux Crows à moto surgissaient dans la rue devant nous.
Je m'agrippai fermement, le visage collé contre le blouson en cuir de Blade.
« Mais c'est une vraie guerre maintenant. Tu as tué le chef de Destiny. »
« T'en fais pas pour ça », dit-il d'une voix grave. « Accroche-toi bien. »
Puis il accéléra et prit un virage serré à droite, faisant pencher dangereusement la moto.
J'eus l'impression de sentir la chaleur du bitume sur ma joue avant qu'il ne redresse l'engin.
On aurait dit que les Crows étaient sur nos talons, mais on pouvait apercevoir No Man's Land au bout de la route.
Je ne savais toujours pas quel était le plan de Blade.
S'il venait de déclencher une guerre avec les Crows, tous les accords tombaient à l'eau. Le territoire neutre allait se transformer en champ de bataille.
Blade s'arrêta brusquement sur le parking de No Man's Land et baissa la béquille.
Avant que je ne comprenne ce qui se passait, il sauta de la moto, sortit son flingue de son pantalon et le chargea.
Je me retournai pour voir une file de motos s'arrêter lentement juste à l'extérieur de la propriété de No Man's Land.
D'une seconde à l'autre, j'étais persuadée que Blade et moi allions nous faire descendre. Je pouvais voir la rage dans les yeux des motards face à Blade.
Mais, étonnamment, ils respectaient le terrain neutre.
« Alors quoi ? Vous voulez venir boire un coup ? » leur lança Blade, et je me sentis mal à l'aise. Il les provoquait presque.
Je vis la colère sur les visages des Crows, mais ils n'entraient toujours pas sur la propriété.
Finalement, l'un des hommes, Reef, qui était autrefois le bras droit de Skinner, jura comme un charretier.
« On se casse, les gars. La guerre ne commencera pas ce soir. »
Les Crows étaient furax, mais aucun n'osa désobéir. Ils démarrèrent lentement leurs motos et firent demi-tour, partant un par un dans la nuit.
À la fin, il ne restait plus que Reef, qui fixait Blade d'un air haineux.
Mais même lui finit par enfourcher sa bécane et s'éloigner.
« Je ne comprends pas », dis-je, perplexe, alors que Blade se tournait vers moi. « Tu as tué leur chef. Que s'est-il passé ? »
Blade haussa les épaules. « La traite des êtres humains est contraire à l'accord de paix, et ils le savaient tous.
« La moitié des Crows de cette ville ne sont même pas au courant que ça se passe. S'ils avaient rompu la paix ce soir, ils auraient eu des conflits internes et avec d'autres groupes. »
Il passa devant moi en direction de la porte verrouillée du bar.
« Alors, ma belle, tu vas ouvrir cette porte ou je dois la défoncer pour avoir un verre ? »
Mes mains tremblaient encore tandis que je nous servais à boire.
Blade était affalé dans un box au fond du bar vide, utilisant sa veste en cuir comme oreiller. Il semblait prêt à piquer du nez.
Je repensais encore à tout ce qui s'était passé ce soir et j'avais proposé de préparer les boissons parce que j'avais besoin de m'occuper les mains.
J'étais nerveuse, comme si j'avais trop d'énergie mais que j'étais aussi crevée en même temps.
Je ne savais même pas quel genre de cocktail je préparais jusqu'à ce que je repose la vodka et que je voie que j'avais fait deux Cosmos.
Oh non. Pas question que je serve ça à Blade. Les motards ne buvaient jamais ce genre de boisson sucrée et girly.
Quand j'ai dit à Anna pour la première fois que je voulais apprendre à faire un Cosmopolitan, elle a ri tellement fort qu'elle en avait les larmes aux yeux. Elle m'a dit qu'elle n'avait aucune idée de comment faire « cette eau sucrée pour bobos parisiens ».
Mais pour une raison quelconque, j'ai toujours aimé ce cocktail, et j'ai appris à le faire toute seule en regardant des tutos sur YouTube.
Après plusieurs essais et l'utilisation de plusieurs bouteilles de vodka bas de gamme d'Anna, j'étais devenue plutôt douée pour le préparer.
Mais maintenant, je devais jeter ces verres et faire quelque chose de plus simple... probablement un truc sans sucre qu'un gars comme Blade boirait.
« Eh bien, qu'avons-nous là ? »
Je sursautai et me retournai pour voir Blade penché au-dessus du bar, souriant en regardant les verres de boisson rose dans ma main.
« Je... Rien, je viens juste de... », dis-je en prenant les verres et en m'apprêtant à les vider.
Mais avant que je ne puisse le faire, je sentis la main de Blade saisir mon poignet.
« Attends, je veux goûter cette boisson rose que tu as préparée. »
J'avalai ma salive avec difficulté. Je ne voulais vraiment pas qu'il goûte le cocktail. Il pensait déjà que je n'étais qu'une pauvre petite serveuse de bar. Je ne voulais pas lui donner plus de raisons de le penser.
Mais le regard déterminé dans ses yeux signifiait que je ne pouvais pas refuser. En soupirant, je lui tendis le verre.
Il porta le verre à ses lèvres pleines et rouges - arrête de penser à ça, Violet - et prit une gorgée. Dès que la boisson toucha ses lèvres, il faillit s'étrangler.
« Arrête », dis-je doucement, mon visage devenant rouge comme une tomate, alors qu'il reposait le verre en riant aux éclats.
« Tu bois vraiment ce truc ? » demanda-t-il, l'air incrédule. Je le fusillai du regard.
« Oui, en effet. Et alors ? Contrairement à la bière, ça a vraiment bon goût. En plus, il y a plus d'alcool dedans. Donc, c'est en fait plus fort que vos boissons « de mec ». » Je mis mes mains sur mes hanches.
Pendant un moment, il me regarda simplement, un muscle tressautant dans sa joue. Oh non, était-il en colère maintenant ?
Et puis, il éclata de rire à nouveau, renversant la moitié de son Cosmo.
« Les gens ne commandent pas vraiment ça, si ? » demanda-t-il en riant. « Pas à Destiny, hein ? »
« Non », admis-je en rougissant. « Je suis la seule barmaid ici qui sache même les préparer. Mais j'aime ça. »
Je le regardai avec colère jusqu'à ce qu'il arrête enfin de sourire.
« Eh bien, ça semble être une compétence très utile à avoir », rit-il. « Je vais juste prendre une bière. »
En levant les yeux au ciel, je saisis un verre et tirai une bière du pire fût que nous avions. Je la fis glisser sur le bar vers lui.
« J'espère que tu vas t'étouffer avec », dis-je en lui adressant le sourire le plus mielleux possible.
« Oh, allez », rit-il. « Fais pas la tête. Tiens... santé. »
Il me tendit sa bière.
Je pris mon Cosmo et l'approchai de son verre.
Puis, à la dernière seconde, je bus le verre cul sec, juste sous son nez. Quand j'eus fini, je reposai bruyamment le verre vide sur le comptoir et le fixai d'un air de défi.
Plusieurs secondes passèrent, avec de la tension dans l'air.
Et puis Blade se remit à rire. Au début, j'essayai de ne pas sourire, mais j'abandonnai vite et me mis à rire aussi.
Après ça, l'ambiance se détendit entre nous. Je resservis plusieurs fois la bière de Blade, passant à la meilleure bière une fois qu'il eut arrêté de faire le malin, et il me donna son Cosmo inachevé.
Bientôt, nous étions tous les deux trop éméchés pour rester au bar, alors nous nous sommes installés aux extrémités opposées du box. Une partie de moi aurait aimé qu'il s'assoie à côté de moi, mais j'ai vite chassé cette pensée.
« Alors pourquoi es-tu ici ? » demandai-je finalement, essayant de ne pas fixer ses magnifiques yeux verts.
Il haussa un sourcil.
« Je te l'ai déjà dit. Je suis ici pour empêcher les Crows de faire du trafic d'êtres humains. Ils violent l'accord de paix et mentent à leur groupe principal. »
« J'y crois pas », dis-je. « Pourquoi tu te soucierais du MC ennemi ? »
Il me regarda longuement.
« Je ne veux pas que des femmes soient vendues comme esclaves », dit-il avec un petit sourire.
« Juste parce que t'es un mec bien ? J'y crois pas », dis-je.
Il pencha la tête sur le côté et sembla m'étudier. « T'as pas connu beaucoup de gens bien, hein ? »
Je continuai à le regarder, même si je pensai brièvement à ma mère.
Comme je ne répondais pas, il soupira et s'adossa dans le box.
« Ma mère a été vendue », dit-il finalement. « Elle a été enlevée par une camionnette au milieu de la nuit, exactement comme ce qui a failli t'arriver. »
« Par les Crows ? » demandai-je en me penchant en avant. Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit aussi franc.
Il secoua la tête et eut l'air en colère. « Par les Vipers. »
« Ton propre MC ? » J'étais sous le choc. « Mais les Vipers se battent toujours contre le trafic d'êtres humains. »
« Ça n'a pas toujours été comme ça », dit-il d'une voix sombre. « Ma mère a été l'une des dernières qu'ils ont vendues. Quand je suis devenu le chef du groupe de l'Oklahoma, j'ai juré d'y mettre fin. Pour de bon. »
Il parlait calmement, mais je pouvais voir qu'il bouillonnait intérieurement.
« Je suis désolée... Je ne savais pas », dis-je doucement. Il sourit tristement.
« J'ai promis que plus aucune femme ne serait blessée par quelqu'un de notre groupe. » Il se pencha en avant. « Mais toi ? Personne d'aussi intéressant que toi ne se retrouve à Destiny par hasard. Pourquoi t'es venue ici ? »
J'avalai ma salive et détournai le regard. Blade sembla comprendre que je ne voulais pas en parler. Il se redressa rapidement.
« Je comprends », dit-il. « T'as pas besoin de dire quoi que ce soit. »
Il se rassit dans son siège, et je lui souris, reconnaissante.
Après cela, nous restâmes silencieux. C'était agréable de simplement être assis avec lui dans le box, sans avoir à parler. Ça semblait... normal.
Après tout le stress et l'excitation de cette nuit, j'avais besoin de ce moment de calme.
Je ne sais pas quand je me suis endormie, mais quand je me suis réveillée, Blade dormait en face de moi dans le box.
La première chose que je remarquai fut sa mâchoire. Elle était si parfaitement dessinée.
La deuxième chose que je vis fut sa bière à moitié bue, toujours mollement tenue dans sa main, sur le point de tomber par terre.
Je me levai doucement et lui pris délicatement le verre des mains. Il fit un bruit dans son sommeil et sa main se referma en poing.
Pendant un instant, il eut l'air d'avoir mal. Il dit quelque chose dans son sommeil.
« Qu'est-ce que c'était ? » chuchotai-je.
« Elliott... s'il te plaît », murmura-t-il en retour.
« Elliott n'est pas là », chuchotai-je. Dès que j'eus dit cela, son visage se détendit et il retomba dans un sommeil paisible.
Perplexe, je me dirigeai vers le bar et nettoyai son verre de bière.
Soudain, j'entendis un bruit de tapotement à la porte.
Je pensai immédiatement aux Crows, revenant pour nous faire la peau. Je me retournai vivement pour regarder la porte.
Il y avait quelqu'un debout dehors devant le bar. Je pouvais le voir à travers la vitre dépolie, mais son visage était flou.
Mon cœur se mit à battre la chamade tandis que je sortais prudemment de derrière le bar et m'approchais de la porte.
« Qui est-ce ? » demandai-je, la main près de la poignée.
Qui que ce soit, je savais que ça ne présageait rien de bon.
Puis j'entendis une voix ivre familière : « Ouvre, petite. T'es jamais rentrée me faire à bouffer. J'ai la dalle. »
Merde. C'est mon père.
« Je... Je serai bientôt à la maison », dis-je. « Je t'apporterai à manger. Rentre juste à la maison, papa. »
« Me parle pas sur ce ton, petite garce. Je te jure devant Dieu, tu me laisses entrer tout de suite, ou je défonce cette porte et j'entre quand même. Et crois-moi, tu vas pas aimer ce que je vais te faire si j'en arrive là. »
Ma main était toujours près de la poignée de la porte.
Devais-je le laisser entrer ? Dieu seul savait ce qu'il me ferait si je ne le faisais pas. Mais si je le laissais entrer, dans l'état où il était, que pourrait-il faire à Blade s'il le trouvait endormi dans le bar avec sa fille ?
Merde. Merde. Il n'y avait pas de bon choix.
« Je vais compter jusqu'à trois, petite », dit mon père avec colère à travers la porte.
« Un... Deux... Trois... »
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