Claire se porta volontaire pour me rejoindre pendant que j'examinais les blessés, qui étaient pour la plupart endormis.
Alors que nous passions d'une pièce à l'autre, pour nous assurer que tout le monde allait bien, Claire me dit : « Est-ce que quelqu'un t'a raconté ce qui s'est passé, quand tu t'es évanouie dans les bras de Shade ? »
Je lui lançai un regard en fermant la porte du sixième patient que nous avions examiné. « Ils ont dit que Shade a pu les achever. »
La nécromancienne me lança un regard sérieux. « Ce n'est pas seulement ta guérison qui a permis cela, cependant. »
Nous marchâmes jusqu'à la chambre de Kaylon.
« Je ne sais pas pourquoi, mais Shade s'est battu comme personne ne l'avait jamais vu. Zack me l'a dit après coup. Il était trop blessé pour se battre, mais il a pu voir ce que Shade a fait. »
Elle me regarda. « Il t'avait drapé sur son épaule pendant qu'il taillait pratiquement son chemin avec le sang des Chasseurs, les mettant en pièces, un par un. »
Elle fit une pause et me jeta un regard évaluateur. « Zack m'a dit qu'il n'avait jamais vu Shade avoir l'air si meurtrier avant, et ce n'était pas seulement son côté impitoyable. »
Sachant où elle voulait en venir, et ne voyant aucune raison de le nier, je m’arrêtai juste devant la porte de Kaylon. « On est compagnon. »
Claire s'arrêta de respirer. « Je le savais. »
J'haussai les épaules. « Il ne veut pas d'une compagne, cependant. Il ne veut pas de moi comme compagne, en particulier. »
Je lui fit un demi-sourire, comme si je m'en fichais. « Franchement, il n'est jamais apparu sur mon radar. Je pense que le destin s'amuse, en riant à nos dépens. »
La nécromancienne sembla vouloir dire quelque chose, mais se tue. Je lui donnai un autre haussement d'épaules avant d’ouvrir la porte.
À l'intérieur, Kaylon dormait profondément, presque complètement guéri de sa blessure au bras. Ses jambes, cependant, avaient besoin de plus de temps.
Une fois l'examen terminé, je retournai dans le couloir et je m’appuyai contre le mur alors qu'une nouvelle vague d'épuisement me frappait. La journée avait été extrêmement longue.
Claire ne dit rien pendant que je me reposais un moment. Quand j'osai la regarder, ses yeux étaient remplis de sympathie et de compréhension.
Je fronçai les sourcils. « Arrête de me prendre en pitié. »
« Je ne te plains pas », s'empressa t elle de me rassurer, « je pense simplement que ma situation avec Zack était comme la tienne au début. »
Mon air renfrogné s'accentua. « Ne compare pas Shade et moi à toi et Zack, s'il te plaît. Ce n'est pas la même chose. »
Elle me lança un autre regard prolongé avant de sourire faiblement. « Oui, tu as raison. »
Décidant que c'était le moment de changer de sujet, je lui demandai, « En parlant de ça, comment ça va entre toi et Zack ? Vous êtes toujours en train d'essayer de comprendre les choses ? »
Les deux n'étaient ensemble que depuis quelques semaines et étaient encore en train de trouver leurs marques.
Certains couples décidaient de prendre leur temps, d'autres décidaient d'organiser une cérémonie d'accouplement et de se marier dès que possible.
Zack et Claire faisaient partie de la première catégorie, en raison de leurs circonstances particulières concernant le processus d'accouplement.
« Ouais, les choses vont bien. » Claire sourit timidement alors que nous nous dirigions vers la sortie de l'infirmerie, dans la partie résidentielle de la Maison de la Meute.
« Nous travaillons encore sur certains problèmes, mais depuis que nous avons réglé ce qui n'allait vraiment pas chez nous deux, les choses vont beaucoup mieux », ajouta-t-elle.
« Je suis heureuse d'entendre ça », lui dis-je, en souriant. « Comment s'est passé le dîner avec Zavier et Sophia hier soir ? »
J'avais oublié de le demander à cause des événements récents, mais la veille, Zack avait emmené Claire dîner avec sa petite sœur ainsi que son grand frère, et j'étais curieuse de savoir comment cela s'était passé.
Claire fit la grimace. « J'aime Zack et tout, mais sa sœur est nulle. C'est une vraie salope. »
Elle se renfrogna. « Et Zavier est tellement bizarre. Il aime se chamailler avec Zack, mais il me traite comme si j'étais de la viande fraîche qu'il peut courtiser, malgré le fait que je sois la compagne de son frère. »
Elle soupira. « Et il traite Sophia comme si elle était un loup-garou de moindre importance, juste parce qu'elle est une femme, qu'elle a dix-neuf ans et qu'elle n'est pas assez dominante à son goût. »
« Zavier est un connard », lui répondis-je, « n'attend pas grand-chose de lui. C'est l'homme le plus chauvin de la planète. Et, crois-moi, c'est un titre difficile à gagner. Quant à Sophia… »
J'étais triste rien qu'en pensant à cette fille. « C'est un sacré numéro, sans aucun doute. »
Je n'aimais pas beaucoup les Greyson, mais mon aversion pour Sophia était la plus grande de toute la fratrie Greyson.
Elle se comportait comme une gamine snob et gâtée. Elle pensait avoir du cran en prévenant Eve avant qu'elle ne s'accouple avec Raphael. Elle essaya même de faire des avances à Gabe.
Mais, en fait, elle était juste stupide. Elle visait beaucoup plus haut qu'elle ne pouvait atteindre, et je me retrouvais constamment irritée par elle.
Cette irritation était démultipliée à présent, probablement parce que je l'avais entendue, il y a quelques jours à peine, dire qu'elle serait celle qui ferait craquer l'extérieur froid de Shade.
Peu importe qu'il soit apparemment mon compagnon, mais à quel point pouvait-elle être idiote ?
Même s'il n'avait pas été mon compagnon, je n'aurais même pas pensé à essayer d'entrer dans la peau de ce loup-garou.
Parce que quelque chose de sombre et de mauvais se cache sous la carapace de Shade. Quelque chose que je ne voudrais jamais explorer.
Il ne dégageait pas seulement ces vibrations sexy et menaçantes de mauvais garçon en danger. Son aura était celle de quelqu'un marqué au plus profond de son âme.
Tellement que peut-être il n'y avait pas de rédemption pour lui.
Et, il était mon compagnon. Le mien.
« Comment as-tu réalisé qu'il était ton compagnon ? » me demanda Claire soudainement alors que nous nous arrêtions devant la porte de ma propre chambre.
« Je veux dire, vous vous connaissez depuis quelques années, directement ou non, et j'imagine que vos regards se sont déjà croisés. Alors pourquoi maintenant ? » demanda-t-elle.
Je n'avais pas envie de répondre, mais il n'y avait pas de mal à expliquer.
« Il y a une certaine façon de rencontrer les yeux de l'autre pour réaliser qu'il est notre compagnon », lui dis-je. « Les deux côtés doivent être fixés sous un angle spécifique, pour que n’avoir d'yeux que pour l'autre. »
« La plupart des compagnons se trouvent au hasard, parce qu'ils ressentent une force surnaturelle qui les pousse à regarder l'autre dans les yeux », poursuivai-je. « Et il y a des cas plus rares, dans lesquels les compagnons doivent le faire par eux-mêmes, sans l'aide du destin. »
Ce n'était pas une information courante, mais comme j'étais guérisseuse, c'était l'une des choses que j'avais apprises.
« Dans mon cas, Shade ne voulait pas trouver sa compagne. Il était tellement contre que le destin l'a laissé tranquille, jusque-là. Je n'étais pas particulièrement à la recherche d'un compagnon non plus, alors le destin ne m'a pas pressée. »
Je soupirai. « Puis, sur le champ de bataille, nous nous sommes retrouvés dans une certaine... position compromettante après que je lui ai sauvé la vie. Nous étions assez proches pour que, lorsque nos yeux se croisent, la prise de conscience nous a traversés tous les deux. »
Claire fronça les sourcils. « Je crois que je comprends. C'est pourquoi, à Houston, quand Zack a fait son discours lors de la cérémonie d'accouplement, il s'est senti obligé de regarder où j'étais assise. Et, quand nos yeux se sont croisés, il a senti notre lien. »
« Mais vous ne l'avez pas fait, à cause de votre situation personnelle particulièrement compliquée » continuai-je.
« Chaque paire de compagnons a sa propre façon de se retrouver », poursuivai-je. « J'ai appris de Sienna Mercer, la compagne de l'Alpha de la Meute de la côte Est, que son amie Mia et son compagnon Harry étaient les meilleurs amis du monde depuis des années avant de se reconnaître. »
Je fit une pause. « Je pense que c'est arrivé parce qu'ils étaient amis depuis si longtemps qu'ils ont étouffé leur désir d'accouplement, sans imaginer que ça pouvait être l'un ou l'autre, jusqu'à ce jour fatidique où leurs yeux se sont croisés sous le bon angle. »
« C'est trop bizarre », marmonna Claire, « mais ça a du sens, d'une manière un peu bizarre. »
Je ris. « Ouais, eh bien, rappelle-moi un jour de t'expliquer comment fonctionnent mes pouvoirs de guérison, et tu seras complètement sidérée. »
« Attends que je te dise tout sur la nécromancie, ensuite on pourra parler. » Elle me fit un sourire en coin, puis regarda sa montre.
« Eh bien, je devrais te laisser maintenant », dit-elle. « Il est trois heures. Demain, tu auras probablement une journée chargée. »
« Oui », indiquai-je en soupirant. « Je ne peux pas attendre. »
Elle me serra dans ses bras. « Bonne nuit, Daisy. »
« Bonne nuit », lui dis-je, et elle partit. Enfin seule, j'expirai bruyamment et je entrai dans ma chambre.
Qui n'était pas vide.
« Que fais-tu ici, Gabe ? » demandai-je, en me figeant dans l'embrasure de la porte. Il était assis sur le lit et me regardait avec des yeux dorés.
Il ne dit rien, se leva simplement et s'approcha. Soudain, mon estomac fit des bonds et mon cœur accéléra son rythme.
Je m’éloignai de lui, mais en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Il se dressa devant moi et referma la porte dans mon dos.
Il m'enferma entre ses bras et contre la porte, l'air à la fois affamé et furieux.
Mon estomac se retourna. « Gabe », je dis doucement, mais fermement, « sors de ma chambre. »
« Non », dit-il, la voix rauque. « Je vais t'apprendre ce que c'est que de se moquer de moi devant tout le monde. »
Ma mâchoire se crispa. « Et comment tu vas faire ça ? En me violant ? »
Ses yeux s’enflammèrent. « Tu le veux. Tu sais que tu le veux. »
Était-il fou ? Comment pouvait-il être aussi délirant ?
« La saison dernière, je t'ai dit que je ne voulais pas que quelque chose d'autre se passe entre nous », dis-je.
Le prendre comme amant à l'époque avait été une erreur, que je regrettais encore aujourd'hui. Parce que regardez où ça m'avait mené. « Nous étions amants. Nous ne le sommes plus. »
Il grogna. « Tu n'as pas à décider. »
Je laissai sortir mon propre loup à cette déclaration ridicule. « Tu ne peux pas me forcer à avoir une relation avec toi. D'ailleurs, tu as perdu ta chance. »
Il se figea, puis baissa sa tête pour qu'elle soit à quelques centimètres de la mienne. « J'ai perdu ma chance ? » demandai-je, un avertissement dans le ton.
Sa main se referma soudainement sur une partie de mes cheveux. « Je n'ai pas encore perdu ma chance, bébé. Tu vas être de nouveau à moi, et cette fois je vais te garder. »
C'était officiel. Gabriel était un connard.
« J'ai trouvé mon compagnon, tu sais », lui rappelai je, croisant son regard dans une prise impitoyable. « Tu n'as jamais eu la moindre chance. J'ai un compagnon maintenant. »
« Tu penses vraiment que quelqu'un comme lui convient à une personne douce comme toi ? Tu crois vraiment qu'il voudrait de toi, une simple guérisseuse ? Il a besoin de quelqu'un comme Eve, ou Claire, pour s'occuper de lui. Il n'a pas besoin de toi », continua-t-il.
La fureur s'empara de ma louve et de moi. « Le fait est qu'il est mon compagnon », dis-je en serrant les dents.
Je me rendis compte que je tremblais beaucoup, je serrais les poings. « Pas Eve, pas Claire, personne d'autre. C'est moi. Et, je ne suis pas à toi. »
Un grognement s'échappa de lui. Il s'éloigna soudainement et frappa le mur à côté de moi.
« Pourquoi Raphael l'a choisi lui et pas moi ? Pourquoi t'a-t-il choisie comme compagne ? Pourquoi est-ce qu'il me prend tout, tout le temps ? Et, pourquoi tout le monde le prend pour quelqu’un de formidable alors que ce n'est qu'une ordure ? », hurla-t-il.
Ma louve voulait l'attaquer. Peu importe que ma partie humaine ait été abasourdie quand j'avais réalisé que Gabe était jaloux de Shade, et pour des raisons absolument stupides.
Ma louve le voyait comme une menace, à la fois pour moi et pour mon compagnon.
Alors je décidai d'abandonner la raison, et de laisser sortir une partie d'elle.
Mes ongles poussèrent, se transformant en griffes. En un clin d'œil, j'avais une griffe très aiguisée contre le cou de Gabe.
Gabe avait l'air incrédule à l'idée que moi, Daisy Luxford, chef des guérisseurs et l'une des personnes les plus gentilles qu'il connaissait, je sois devenue sauvage.
Mais c'était l'un des effets secondaires de la découverte d’un compagnon. Votre vraie nature s'en trouvait déformée.
Voyant à quel point j'étais sérieuse, Gabe me lança un regard méchant probablement destiné à Shade, puis il cracha sur le sol et quitta la pièce, la porte se refermant derrière lui avec fracas.
Je respirais bruyamment, en rentrant mes griffes. Je ressentais un besoin angoissant.
Je voulais que Shade soit là maintenant, qu'il me réconforte, qu'il me calme comme Claire avait calmé Zack, comme Raphael savait comment gérer le tempérament d'Eve.
Je voulais qu'il soit là pour moi. Lui, il ne voulait pas de compagne.
Et, je ne voulais pas de compagnon non plus, n'est-ce pas ?
Secouant la tête et ravalant mes larmes, je pris une douche espérant que cela me détende pour ensuite essayer de trouver le sommeil.
Ruminer sur le fait d'avoir Shade auprès de moi ne ferait que me briser le cœur. J'avais besoin de me remettre sur les rails, de redevenir logique.
Je pouvais le faire. Je pouvais totalement le faire. J'étais assez forte.
Tout allait bien se passer.
