« Joyeux Noël à tous ! » Le Dr Greene frappe dans ses mains pour attirer l'attention de tout le monde après avoir jeté un coup d'œil aux petites chaussettes sur nos chaises.
Je souris en dégustant une barre de chocolat, savourant cette douceur qui m'avait manqué depuis des semaines. À côté de moi, Bryan pèle la petite orange que nous avons tous reçue, embaumant l'air d'un parfum d'agrumes.
« Aujourd'hui, j'aimerais que nous parlions de la façon dont nous avons passé Noël l'an dernier », annonce le Dr Greene. Soudain, le chocolat dans ma bouche me semble amer. J'essaie de l'avaler en buvant une gorgée d'eau.
Le Noël dernier, c'était un mois après l'enterrement de Dylan. J'ai passé la majeure partie de la journée à pleurer dans sa voiture. À l'intérieur, mes parents regardaient de vieilles photos en versant des larmes.
Ils ont tenté de me faire aller sur sa tombe avec eux, mais l'absence de pierre tombale rendait tout cela encore plus irréel.
Tandis que le Dr Greene fait le tour de la salle, je commence à m'inquiéter. Mes mains deviennent moites. Mon cœur s'emballe. J'ai du mal à respirer. Je vois des points lumineux devant mes yeux.
Le Dr Greene me regarde pendant que la fille à côté de moi parle de son voyage en famille à Paris l'année précédente. Il attend qu'elle ait terminé.
Puis, il demande à Bryan de prendre la parole. Je me sens soulagée et j'essaie de le lui faire comprendre du regard.
Bryan semble un peu agacé que je n'aie pas eu à parler, mais il nous raconte qu'il a passé le dernier Noël au lit, malade d'avoir trop bu avant de ressortir ce soir-là.
« Ma mère était furieuse. » Il rit en passant ses doigts dans ses longs cheveux.
« Eh bien, merci à tous. Profitez de vos cadeaux, et on se retrouve à 13h pour le déjeuner ! » Le Dr Greene se lève, repoussant sa chaise.
La salle s'anime avec les conversations excitées et le bruit des chaises. Il me regarde, mais avant qu'il ne puisse venir vers moi, Bryan se penche.
« Tu veux traîner un peu ? »
Je me mords la lèvre et hoche la tête. Je jette un coup d'œil au Dr Greene, qui secoue légèrement la tête avant de se diriger vers son bureau.
« Je dois faire un truc d'abord. On se retrouve dans ma chambre dans une demi-heure ? »
« Ouais, pas de souci. » Il hausse les épaules et s'en va.
Je lève la main pour frapper à la porte du Dr Greene mais il l'ouvre avant que je ne puisse le faire, et je frappe sa poitrine.
« Désolée ! » Je ris, et il soupire.
« Je ne serai pas toujours aussi indulgent avec toi, Rosa-Lee. Tu dois commencer à parler en groupe. Mais on dirait que tu t'es peut-être fait un ami ? »
Il lève un sourcil et secoue légèrement la tête. « Amuse-toi bien, mais reste raisonnable. »
« Comment puis-je m'amuser et rester raisonnable en même temps ? » Je ris à nouveau alors qu'il fronce les sourcils.
Bryan est déjà assis par terre devant la télé dans ma chambre quand je reviens.
« Pas possible ! Tu as Moonwalker sur Mega Drive ! » Il me regarde avec joie. « Ce jeu est carrément génial. »
J'ai passé presque tous les jours depuis Noël à traîner avec Bryan.
Il est très drôle et facile à vivre. Il passe la plupart de son temps à faire le pitre, essayant de faire rire les gens avec ses bêtises ou ses blagues. Il est très énergique la plupart du temps.
La plupart du temps.
Aujourd'hui, il est allongé dans son lit dans le noir.
Pour le deuxième jour d'affilée.
Je m'assieds au bout de son lit, les jambes croisées, essayant de le faire parler, mais il ne fait que de petits bruits quand je dis quelque chose. Je finis par m'énerver et je sors de sa chambre.
Qu'il aille au diable.
Quand le groupe commence, je suis surprise de le voir assis là sur la vieille chaise en plastique vert. Il me lance un regard noir quand j'entre dans la pièce, alors je m'assieds à côté du Dr Greene, avec quelques personnes entre nous.
« Bon après-midi à tous. » Le Dr Greene boit une gorgée de café, posant la tasse sous sa chaise. « Qui veut partager avec nous aujourd'hui ? »
Il regarde tout le monde avec un sourire. « Personne ? Très bien. Aujourd'hui, je pense que Bryan devrait partager avec nous. Bryan ? »
Tout le monde regarde l'adolescent renfrogné.
« Est-ce que j'ai vraiment le choix ? » dit-il avec colère.
« Bien sûr que tu l'as. Mais je pense que tu passes un mauvais moment depuis quelques jours, et je pense que parler pourrait aider », dit calmement le Dr Greene.
« D'accord. » Bryan s'agite sur sa chaise. « Je vis des hauts et des bas parce que je n'ai pas pris mes médicaments. »
Je crois avoir laissé échapper un petit bruit. Je me penche en avant sur ma chaise pour mieux voir son visage.
« Pourquoi as-tu arrêté de prendre tes médicaments ? » demande une fille très mince assise de l'autre côté du Dr Greene.
« Parce que je déteste ne rien ressentir. » Bryan s'enfonce un peu dans sa chaise, penchant la tête en arrière. « Mais ressentir tout est aussi une vraie galère. »
« Eh bien, si tu n'es pas satisfait de ton traitement, tu aurais dû venir m'en parler, et nous aurions pu l'ajuster. » Le Dr Greene claque sa langue.
« Ouais. Je suppose. » Bryan secoue la tête et hausse les épaules.
La fille mince commence à parler de comment elle a réussi à manger un repas entier hier sans penser aux calories. Je décroche et continue de regarder Bryan.
Je ne l'avais jamais vu sans t-shirt à manches longues, et maintenant, il a remonté les manches de son t-shirt Nirvana et se frotte les bras. Même de loin, je peux voir les légères cicatrices qui remontent à l'intérieur de ses deux bras.
Il me voit regarder et tire rapidement les manches vers le bas, se penchant en avant sur sa chaise pour me fixer d'un air furieux. Je baisse les yeux vers le sol, sentant mes joues rougir sous son regard.
Je l'évite pendant les jours suivants, ce qui est facile à faire car il ne vient pas au groupe pour le reste de la semaine.
Je suis allongée sur le ventre sur le lit, essayant d'étudier pour mon examen de lycée tout en écoutant Nine Inch Nails, quand j'entends frapper à ma porte.
Je regarde par-dessus mon épaule et vois Bryan debout maladroitement dans l'embrasure de la porte. Ses cheveux sont tirés en arrière, révélant ses cheveux courts sur les côtés, qu'il a teints en rouge vif depuis la dernière fois que je l'ai vu.
« Chouette coiffure. »
« Euh. Ouais. Merci. » Il se frotte la nuque. « Je peux entrer ? »
« Bien sûr. » Je pousse mes livres par terre et remonte sur le lit pour lui faire de la place. Il enlève ses bottes et croise les jambes.
« Comment tu te sens maintenant ? » je demande.
« Mieux. Greene a changé mes médicaments alors... » Il s'arrête de parler, regardant les manches de son sweat. « Écoute. Je suis désolé pour l'autre fois. C'est juste... c'est dur quand je me sens mal. »
Je hausse les épaules, essayant d'avoir l'air de comprendre ce dont il parle. Il lève les yeux vers moi, et pendant un moment je me perds dans ses yeux bruns.
« Je suis complètement foutu, Lee. » Il esquisse un demi-sourire.
« Moi aussi », je murmure presque. Il passe son bras autour de mes épaules et me fait un câlin un peu maladroit.
« C'est quoi ce truc d'opérateur alligator ?! » Nous rions tous les deux doucement.
Il est presque trois heures du matin, et nous sommes blottis ensemble sur mon lit à regarder la télé et à parler depuis si longtemps que nous en sommes maintenant aux publicités bizarres pour l'emploi qui passent après la fin des émissions normales.
« Bryan ? »
« Quoi de neuf Lee ? » Il repousse les cheveux de mes yeux, les mettant derrière mon oreille.
« Pourquoi es-tu ici ? »
Il soupire et s'assoit, s'appuyant contre la tête de lit.
« J'ai un trouble mental qui me fait me sentir très haut et très bas, et après avoir essayé de me suicider, mes parents m'ont envoyé ici. » Il remonte ses manches pour que je puisse voir les cicatrices, et passe ses pouces dessus, de ses poignets jusqu'à l'intérieur de ses coudes.
« Je bois trop pour essayer d'arrêter les mauvaises pensées, mais j'ai l'impression d'être pris au piège la plupart du temps. »
Il essuie les larmes qui ont coulé de mes yeux. « Pourquoi es-tu ici ? »
« Mon... mon frère a été tué l'année dernière. » Il prend ma main dans la sienne et serre légèrement mes doigts.
« Je ne l'ai pas bien géré, et j'ai passé l'année dernière à beaucoup boire et me droguer. Pour essayer d'arrêter les pensées aussi, je suppose. J'ai pris trop de drogues le jour de mon anniversaire et, eh bien, me voilà. »
« Merde. Comment as-tu pu te permettre de te saouler et de te défoncer autant pendant toute une année ? »
« J'ai rencontré des gens... ils étaient prêts à accepter, euh, d'autres formes de paiement... » J'essaie de ne pas vomir en pensant aux choses horribles que j'avais faites pour obtenir de la drogue.
Je tremble, et Bryan me rapproche de lui, passant un de ses bras autour de moi et tenant ma main avec l'autre.
Alors que nos doigts s'entrelacent, je remarque à quel point sa main semble grande comparée à la mienne.
Pour la première fois depuis la mort de Dylan, je me sens en sécurité.
Je me sens presque heureuse.
