Les années passaient lentement, et je mentirais si je disais qu'elles étaient mouvementées.
Chaque jour, je devenais un peu plus bizarre et j'étais de plus en plus laissée de côté à l'école. Finalement, j'ai atteint le point où j'étais invisible, contrairement à ma jumelle, Kim.
Elle était tout sauf invisible, capitaine de l'équipe de pom-pom girls, elle sortait avec l'un des garçons les plus populaires de l'école.
Remarquez, elle était aussi toujours en train de se prostituer avec Trigger.
Trigger, pour une raison étrange et probablement perverse, aimait ça.
Je me suis retirée de la société, la société des motards et la société normale, et comme Kim me le disait régulièrement, j'étais un "ermite avec un crayon".
Le dessin était tout ce que j'avais, et dire que j'ai passé la majeure partie de ma vie à le faire était un euphémisme.
Notre dix-huitième anniversaire approchait à grands pas, ce qui résumait assez bien la raison pour laquelle j'étais assis dans le bureau de papa à côté de Kim.
"Papa, tu as promis." Kim a soufflé et a croisé les bras. "Tu ne peux pas revenir sur une promesse."
Papa ne revenait jamais sur une promesse.
Il avait promis à maman de ne pas être dur avec nous et de nous laisser sortir avec des garçons. C'est pour ça que Kim avait un petit ami qui respirait encore.
"On ne peut pas avoir toutes ces filles mineures ici Kim, ça apporterait des problèmes que je ne veux pas avoir dans mon club."
Papa s'est frotté les tempes, ayant l'air d'un géant derrière son bureau.
Il s'était rasé la tête un an plus tôt, par défi, et il aimait ça.
Il l'a toujours rasé depuis.
Personnellement, je trouvais que ça le rajeunissait, mais Kim a dit qu'il le faisait parce que Leah, sa copine de lit actuelle, aimait ça.
"Papa, la plupart de mes amies ont déjà plus de 18 ans, et si elles veulent se frotter à un motard, qu’elles le fassent". Kim a haussé les épaules.
"Qu'est-ce que tu veux, Abby?" Papa m'a regardé en face. Pour la première fois de la soirée, on m'a demandé mon avis.
Qu'est-ce que je pensais d'une fête d'anniversaire de 18 ans trop chère et trop massive?
"Je déteste l'idée."
"Bien sûr que tu détestes l'idée." Kim a levé les yeux au ciel et m'a regardé fixement. "Tu n'as pas d'amis."
"Je t'en prie. Tu invites toute l'école, Kim, comme si c'était tous tes amis."
"Eh bien, aucun d'entre eux n'est le tien, ça c'est sûr." Elle avait en grande partie raison.
"Les filles", a grogné papa en guise d'avertissement.
"J'ai des amis."
"Oui, deux", Kim a ricané. "Si tu considères l'émo aux cheveux noirs et son frère comme des amis."
Je m'entendais très bien avec Kayla Knight, ma seule amie, et son frère Jace. Je le considérais comme un ami lui aussi.
Même s'il avait un an et demi de plus que nous et qu'il était à l'université.
"Pourquoi on appelle ça une putain de fête commune alors?" J'ai craqué.
Une fois de plus, Kim a allumé une colère en moi.
"C'est ta fête, pas la mienne. Je veux juste me détendre dans ma chambre et ne rien faire. Mais non. Tu dois avoir ce foutu grand évènement!"
"LES FILLES!" Papa a rugi, nous plongeant dans le silence.
Kim m'a jeté un regard noir, et j'ai fait de même.
Nous avions peut-être dix-huit ans, mais cela ne signifiait pas que nous avions grandi quand il s'agissait de se battre.
"Bien, Kim, tu peux faire la fête, mais tous ceux qui entrent dans ce club doivent connaître les règles. La fête ne doit avoir lieu que dans le pub. Personne ne doit entrer dans le clubhouse ou le garage. Abby,"
Les yeux de papa se sont tournés vers moi, et pendant une fraction de seconde, j'ai vu la pitié dans ses yeux. "Tu n'es pas obligée de venir si tu ne veux pas. Je sais que ce n'est pas ton genre de choses."
"S'il te plaît, papa, elle n'a pas de genre", a ajouté Kim.
Tout au long de ce putain de lycée, j'ai dû faire face à ça.
Quand Kim ne me brutalisait pas, tout le monde m'ignorait, et là, j'en avais assez.
"Je te déteste, Kim", je lui ai sifflé au visage, "et la prochaine fois que tu te fais gifler, ne t'attends pas à ce que j'intervienne pour te protéger."
J'ai repoussé la chaise et je me suis levée.
Pourquoi est-ce que je prenais toujours les devants?
Quand Kim s'est fait coincer par Megan la veille à l'école, je n'ai même pas hésité à sauter pour l'éloigner de ma soeur.
Kim ne pouvait pas se défendre dans un combat même si elle le voulait. Je ne pouvais pas compter combien de fois j'avais dû intervenir.
"Où vas-tu?" Papa a demandé quand j'ai ouvert la porte, prête à les fuir tous les deux.
"Dehors. Et non, je ne sais pas quand je rentrerai, et non, je ne te dirai pas où je vais, et oui, je serai ivre quand je déciderai de retourner dans cet enfer que je suis maudite d'appeler maison", j’ai ricané avant de claquer sa porte.
Je détestais Kim, et je détestais papa de ne m’avoir jamais défendue.
J'ai posé mes pieds sur mon bureau, en lisant le journal. Une fois de plus, les Satan’s Sons étaient en première page.
"Yo, Prez." Liam a frappé à ma porte avant d'entrer.
Je ne m'étais pas habitué à ce qu'on m'appelle Prez, mais après que Dane ait été abattu dans la rue six mois plus tôt, je devais m'imposer.
"Quoi de neuf, Liam?" J'ai posé le journal.
"Les gars et moi avons une requête." Ses lèvres se sont courbées d'une manière qui m'a dit que ça avait quelque chose à voir avec les femmes et l'alcool.
"Qu'est-ce que ça serait?"
"Tu connais MC?"
Question stupide, est-ce que je connaissais cette foutue Mother Charter?
Je voulais me moquer mais je ne l'ai pas fait.
J'ai gardé un visage normal, même si une image d'Abby m'a traversée l'esprit. "Et elles?"
"Les filles de Roach ont leur dix-huitième anniversaire ce week-end. J'ai pensé que nous pourrions être de bons frères et offrir notre aide, tu sais, et célébrer le passage à l'âge adulte des filles."
C'est plutôt que lui et les autres voulaient baiser des chattes à peine légales. "C'est vrai?"
Abby allait avoir 18 ans.
Mon esprit a dérivé vers ce dimanche tôt le matin.
Ce sourire sur son visage.
Je me suis demandé si elle s'en souvenait.
"Alors, qu'en dites-vous, patron?", a-t-il demandé.
J'attendais une excuse pour faire les sept heures de trajet jusqu'à elle.
"Dis aux garçons qu'on part dans quelques heures", je lui ai répondu.
Même si Abby ne se souvenait pas de moi, je me souvenais d'elle, et je voulais voir comment elle avait grandi.
Je voulais savoir si cette nuit avait eu la même signification pour elle que pour moi.
Vendredi matin, j'appréhendais déjà le week-end. Kim se peignait les ongles au bout de la table à manger, à peine vêtue, et les hommes l'avaient remarqué.
Le Western Charter était arrivé tard la nuit précédente.
C'était bon d'avoir les frères de retour, même si je savais que c'était la pensée des jeunes femmes qui avait causé la visite.
Quand même, ils étaient là, et une fois que le week-end sera terminé et qu'on en aura fini avec cette foutue fête, on pourra avoir une vraie fête de club, une qui n’aura pas des putains de ballons roses partout dans mon pub.
"Bonjour, mon frère." Le faucheur est entré, on aurait dit qu'il avait passé une nuit blanche.
La table était couverte de nourriture, les femmes du club avaient fait des efforts supplémentaires avec la visite d'un autre charter.
"T'as une sale gueule, Faucheur."
J'ai posé mon journal, regardant l'homme qui était maintenant le président de notre Western Charter.
"Bonjour, Faucheur." Kim a levé les yeux de ses ongles, affichant ce sourire que je n'aimais pas qu'elle donne à qui que ce soit.
"Kim, c'est ça?" Faucheur lui a à peine jeté un coup d'oeil et a attrapé le bacon fraîchement cuit.
Kim a semblé déçue pendant une fraction de seconde, voyant qu'il n'avait pas prêté autant d'attention à elle qu'elle l'avait espéré.
Le faucheur peut rester dans le coin, en ce qui me concerne.
"Ouaip." Elle a souri à nouveau et a soufflé sur ses ongles. "Alors, tu dors bien?"
"Kim, tu n'as pas des choses à faire?" J'ai aboyé.
J'ai peut-être promis à sa mère de les laisser avoir une vie amoureuse semi-normale, mais là, c'était au-delà de cette promesse.
"Non." Elle m'a regardé de nouveau, avec ce sourire narquois.
"Où est ta soeur? Pourquoi tu ne vas pas la trouver, voir si elle est bien pour ce week-end?"
Abby avait fait profil bas depuis qu'elle avait claqué la porte l'autre soir. Ce n'était pas son genre de faire une scène, mais je savais que Kim la poussait à faire ce genre de choses.
"Je ne l'ai pas vue depuis qu'elle est partie."
"Partie?" Je me suis levé de mon siège. "PARTIE QUAND?"
Kim m'a regardé sans expression. Si elle n'était pas ma fille, je l'aurais giflée.
"Depuis qu'elle est partie l'autre soir. Tu étais là, papa."
"Tu me dis qu'Abby n'est pas rentrée à la maison depuis deux jours?"
"Je ne peux pas croire que tu ne le savais pas." Kim a baissé la tête sur le côté, en fronçant les sourcils. "Eh bien, on dirait qu'elle est invisible pour toi aussi."
J'avais déjà sorti mon téléphone, composant son numéro, et quand elle n'a pas décroché à la troisième sonnerie, je me suis inquiété.
"Pourquoi diable ne m'as-tu pas dit qu'elle n'était pas rentrée à la maison?"
Des images d'elle se faisant violer et laissée pour morte dans un fossé quelque part ont défilé dans mon esprit.
La rage bouillonnait en moi et se répandait sur mon visage.
Pourquoi diable n'étais-je pas allé la voir plus tôt?
Deux nuits entières qu’elle n'était pas là.
Et ce n'était pas le genre de mon Abby de disparaître.
