Le trajet de retour vers sa maison était agréable. Pour la première fois depuis très longtemps, elle se sentait bien. Elle n'avait pas eu à être une alpha, une PDG, ou la fille de Raymond Macallister. Elle avait le droit d'être R.J.
Le rendez-vous avec Shane lui avait montré à quel point elle gardait tout pour elle, comment elle se voyait à travers les yeux de son père.
Il l’avait fait tellement rire.
Elle avait rougi à chaque fois qu'il l’avait complimentée sur la façon dont ses yeux brillaient lorsqu'elle riait, sur la façon dont elle était mignonne lorsqu'elle se mordait la lèvre en pensant.
La dernière fois qu'elle s'était sentie si détendue, c'était... Elle ne s’en souvenait même pas.
Les souvenirs heureux étaient censés faire sourire, mais pour elle, c’était telle une longue et sombre route qui n'avait aucune lumière au bout.
"Nous sommes à la maison", dit Jesse avant de sortir de la voiture. R.J. suivit mais s’arrêta quand elle remarqua une voiture familière.
Son cœur commença à s'emballer. Rapidement, elle tourna son attention vers sa maison qu'elle avait achetée après un an en tant que PDG de Robinson Tech.
La maison à deux étages ne témoignait pas de sa richesse, elle semblait appartenir à une femme normale. La lumière du salon était allumée. Elle ne laissait jamais de lumière allumée en quittant la maison.
Elle savait que Charlotte n'était pas chez elle car, en tant que bêta, elle patrouillait en son absence.
"Alpha ?" dit Mark doucement.
"Tout va bien. Jesse a rejoint Ryan et Charlotte en patrouille. Mark, tu peux rentrer chez toi auprès de ton partenaire. Je sais que tu lui manques terriblement."
Un rougissement apparut sur les joues de Mark à la mention de Liam, son partenaire depuis quatre ans. Ils vivaient en bas de la rue de R.J. Elle leur avait donné une maison après que ses parents l'aient mis à la porte parce qu'il était gay.
"Tu es prêt à l'affronter ?" demanda Jesse, inquiet du tempérament de l'ancien alpha.
"Ce ne sera pas différent des autres. Je peux supporter son discours sur le fait que je suis une ratée", répondit-elle en haussant les épaules.
Ils la regardèrent s'avancer lentement vers la porte. Son expression devint froide.
"J'espère que la Déesse lui accordera un partenaire avant qu'il ne soit trop tard. L'Alpha Raymond risque perdre son sang-froid bientôt avec toute cette histoire d'accouplement", dit Mark en remontant dans la voiture.
En entrant dans sa maison, elle pouvait sentir la tension déjà croissante. Les talons de ses bottes étaient bruyants contre le parquet alors qu'elle se dirigeait vers le salon.
Il était là, assis sur son canapé, regardant les fichiers de son paquetage.
"Tu dois intensifier ta patrouille. Même si le nombre d'observations de loups sauvages est faible, ton équipe de patrouille devrait être de six hommes par quadrant", dit-il, sans même prendre la peine de lever les yeux.
"Coeur Noir est à moi maintenant. Il n'y a rien de mal à ce que je m'occupe de la sécurité de cette meute", rétorqua-t-elle en s'accrochant à sa robe.
"Tes techniques sont pour les meutes faibles et isolées. Cette meute est une meute dominante, et j'aimerais qu'elle le reste", lança-t-il.
"Tu réalises que tu n'es plus l'alpha, n'est-ce pas ? Mon nom est sur chaque document qui passe entre nous et les autres meutes. Les gens de cette meute me voient comme leur alpha, pas toi."
C'est alors qu'il leva les yeux sur elle, la maintenant en place avec son regard émeraude de fureur et de dégoût en regardant son propre sang.
Son corps était raide alors qu'il se levait lentement. Raymond fit un pas vers sa fille, projetant l'aura de sa domination. R.J. ne broncha pas. Elle tint bon.
"Je suis toujours en vie et je suis ton père. Je peux reprendre ce qui est à moi. Cœur Noir n'a jamais été à toi, et tu le sais.
"Je n'ai jamais voulu que tu sois mon successeur, et tu le sais. Ces gens ne savent pas ce qu'ils veulent ou qui ils veulent pour les diriger. C'est le protocole qui t'a donné ce titre.
"Tu crois que les autres alphas te prennent au sérieux ? Une putain de fille prude. Regarde-toi. Tu ne seras jamais aussi respectée que moi."
R.J. le regarda droit dans les yeux, sans broncher face à ses paroles.
"Je vois qu'une fois de plus tu n'as pas eu la chance de trouver ton partenaire. Tu ne peux rien faire de bien, n'est-ce pas ? Toi, ma chère fille, tu n'es rien d'autre qu'une faible, une fille pathétique et une dégonflée, tout comme ta mère."
Kara était en colère contre son père humain, mais R.J. réussit à tout retenir. Elle était de trop bonne humeur pour s'en prendre à cet homme qu'elle appelait Père. "Sors", dit-elle.
"Pardon ?" demanda-t-il incrédule.
"Je t'ai dit de sortir ! Je sais que cette meute n'a jamais été la mienne. J'ai accepté d'être alpha pour lui et maman, jamais pour toi. Sors de chez moi.
"Ne remets plus jamais les pieds ici. Tu n'as plus aucun pouvoir ici", dit-elle avec colère. Ses yeux s’assombrirent et elle fit un pas intimidant vers lui.
L'incertitude traversa son regard, il soupira, puis la regarda de haut. "Tu auras besoin de moi. Tu viendras me supplier à genoux quand cette meute s'effondrera", ricana-t-il.
"Ne compte pas là-dessus."
Après avoir entendu ses derniers mots, il sortit de la maison de R.J. en claquant la porte d'entrée. Ce bruit fort représentait le début de l'incertitude.
Sa respiration était difficile puis elle tomba à genoux. Elle avait tenu tête à son tyran de père après toutes ces années.
C'était un sentiment amer. Raymond était son seul parent vivant, à part son grand-père maternel et ses oncles. Couper les liens avec son père était comme recevoir un coup de couteau en plein cœur, mais il fallait le faire pour se retrouver à nouveau.
Pendant les deux semaines suivantes, R.J. était une femme différente. Ses amis proches et d'autres personnes le virent dans ses actions quotidiennes et constatèrent le changement.
Elle continuait son régime matinal et invitait les adolescents loups qui le souhaitaient à rejoindre les guerriers lorsqu'ils seraient majeurs.
Le taux de participation fut sans précédent. Son bêta dit que c'était parce qu'ils admiraient leur alpha.
La confiance qu'ils lui témoignaient la rendait humble, et elle accepta les compliments et les louanges avec un simple sourire. La vantardise, ce n’était pas son truc.
Elle avait même donné l'ordre à tous les patrouilleurs de faire en sorte que son père ne soit pas autorisé à franchir les frontières sans sa permission.
Lorsqu'elle avait pris la position d'alpha, il avait décidé de quitter le territoire de la meute de son propre chef. Tout le monde connaissait son amour pour sa fille et ne s'était pas opposé à son déménagement.
Les anciens n'avaient rien dit quand il était parti et avaient reporté leur attention sur la nouvelle femelle alpha.
Dans son entreprise, elle était très occupée. Il fallait se charger des approbations et des supervisions.
Entre la gestion d'une société de jeux prospère et la direction d'une meute dominante, R.J. jonglait parfaitement avec les deux rôles. Elle trouvait même le temps de sortir avec son nouvel ami, Shane.
Il était avocat avec un emploi du temps chargé, mais il l'appelait pendant leurs journées de travail pour se retrouver autour d'un café ou une simple promenade dans le parc entre leurs bâtiments.
Ils étaient comme des meilleurs amis, partageant leurs propres peurs et les problèmes de meute auxquels ils devaient faire face.
Shane la taquinait sur la façon dont son père se vantait qu'ils étaient amis et disait qu'il souhaitait la rencontrer bientôt.
Même sa mère adorait déjà Alpha R.J. après avoir vu à quel point son fils unique était devenu détendu.
"Tu as peur ?" lui demanda R.J. lors d’un déjeuner.
Shane arrêta de manger pour lui accorder toute son attention et retourna la question dans sa tête. "Peur de quoi ?"
"De trouver ta partenaire."
Il déglutit bruyamment et posa sa fourchette sur son assiette, les sourcils froncés alors qu'il cherchait ses mots.
Il ne mentirait pas en disant qu'il n'avait pas pensé au jour de la rencontre avec la femme que la Déesse de la Lune avait choisie pour lui, car il l'avait fait, depuis qu'il était en âge d’y penser.
"Effrayé et plein d'espoir", répondit-il en regardant par la fenêtre qui donnait sur la baie.
R.J. attendit qu'il continue.
"J'ai peur que lorsque je la retrouverai, elle ne m'accepte pas comme l'homme que je suis. J'ai peur de ne pas la trouver à temps, et de devoir attendre plus longtemps pour ma deuxième chance.
"Mais j'ai bon espoir que lorsque je la trouverai, nous commencerons nos vies en nous montrant l'un à l'autre l'amour que nous avons gardé enfoui", dit-il avec un sourire mélancolique avant de se recentrer sur elle.
"J'ai peur que mon partenaire ne me donne pas le bonheur que je souhaite", dit-elle doucement.
Shane resta silencieux. Il sentait que cette douleur était liée à sa famille. Elle n'avait rien mentionné sur sa famille, mais il savait que la situation était mauvaise.
Chaque fois qu'il parlait de ses parents, elle essayait toujours de cacher le regard triste dans ses yeux. Il n’insistait pas et attendait qu'elle soit prête à en parler.
Shane avait décidé de lui donner ce dont elle avait besoin en ce moment : un ami en qui elle pouvait avoir confiance.
"S'il ne le fait pas, alors je demanderai à la Déesse de le remplacer immédiatement", dit-il avec conviction et malice dans les yeux.
R.J. rit. Elle savait qu'il ferait tout ce qu'il fallait pour la voir heureuse, même s’ils ne se connaissaient pas depuis longtemps.
