Mon visage s'est crispé de concentration.
J'étais assise les jambes croisées sur le lit de Chloe, fixant mes mains et souhaitant qu'elles s'allongent en griffes.
Je ne me sentais ni forte ni puissante. Je me sentais surtout ennuyée.
Ça faisait des heures qu'on faisait ça, mais j'étais toujours incapable de bouger un seul cil.
Ces heures d'entraînement étaient la seule chose qui m'empêchait d'être submergée par les événements de la nuit dernière.
Malgré mes efforts, les souvenirs sont remontés à la surface.
La main de Zack sur ma taille pendant qu'il dansait.
Me murmurant à l'oreille que j'étais sa compagne.
Le bouquet se fanant devant mes yeux.
J'ai secoué la tête, essayant d'effacer les images, mais elles étaient gravées dans mon cerveau.
J'ai imaginé la louve de Chloe. J'ai imaginé mes membres grandissant, s'étirant en pattes. Mes dents s'allongeant, devenant des crocs.
J'étais élancée et dangereuse.
J'étais un chasseur né avec des pulsions primitives.
J'étais...
Une femme à l'apparence parfaitement normale assise sur un lit au Texas.
Je me sentais mal d'avoir été cassante avec Chloe, mais c'était dur d'avoir quelqu'un qui intervenait constamment.
Je ne pouvais pas vraiment lui reprocher d'être énervée. Je n'arrivais pas à organiser mes propres pensées dans un ordre significatif.
Maintenir cette façade, c'était comme se noyer dans des sables mouvants.
Si Chloe avait raison, et que Zachary Greyson était mon compagnon, pas le sien, comment pouvais-je continuer à faire semblant d'être elle ?
L'idée me donnait la nausée. Sans compter que lorsque Zack me regardait, il ne me voyait pas du tout.
Il voyait la silhouette parfaite et la peau bronzée de Chloe, pas les cheveux bruns et les cuisses potelées de Claire Hill.
Zack ne m'avait pas accordé plus d'attention ce jour-là dans le café.
Lien d'accouplement ou non, ne serait-il pas déçu de découvrir que je n'étais pas ce que - ou qui - je semblais être ?
Que j'étais une arnaqueuse ?
Un imposteur ?
La sonnerie de la porte au loin a interrompu mes pensées.
Il fallait que je la voie.
J'ai traversé le hall de la Maison de la Meute du Texas, me dirigeant vers le parking et la Lexus que j'utilisais lorsque j'avais besoin de me déplacer en ville.
Mes yeux étaient lourds. J'avais à peine dormi de la nuit.
Chaque fois que je m'endormais, je voyais son visage, je sentais son parfum enivrant.
Chloe Danes.
Ma compagne.
Comment avais-je pu ne pas la rencontrer avant ? J'étais à Houston depuis plus d'un an maintenant, enquêtant sur les rumeurs inquiétantes d'un mouvement « traditionaliste ».
Je me serais souvenu d'elle, c'est sûr.
J'ai ouvert la porte de derrière et me suis arrêté net.
La Lexus que j'avais empruntée appartenait à Eugène Harris, l'Alpha de la meute du Texas et l'homme à la cérémonie d'accouplement duquel j'avais assisté hier soir.
Maxine et lui étaient partis pour leur lune de miel ce matin. Et évidemment, ils avaient pris la voiture avec eux.
J'ai grogné et sorti mon téléphone pour commencer à chercher un Uber dans le coin.
Juste à ce moment-là, un énorme Dodge Ram rouge vif est entré dans le parking.
J'ai levé les yeux et souri. Je connaissais ce camion, et l'homme qui le conduisait.
« Quoi de neuf, Miles ? » ai-je appelé alors qu'un blond athlétique sautait de la cabine du camion.
« Greyson ! C'est bon de te voir, mec. T'es toujours là ? »a dit Miles, en me serrant la main.
Miles était le principal recruteur des Houston Howlers, l'une des équipes de football les plus performantes de l'État.
Il passait la moitié de sa vie à voyager d'une université à l'autre pour repérer les joueurs potentiels.
Nous nous étions rencontrés plusieurs fois au fil des ans, et malgré son sens de l'humour parfois mordant, j'aimais bien ce type.
En plus... il avait un camion. Et je devais traverser la ville.
Vers Chloe.
« Ouais, j'essaye de débusquer ces fous d'extrême droite », ai-je dit, « mais ça s'avère plus difficile que je ne le pensais ».
« Où étais-tu hier ? » ai-je demandé. « Tu as manqué la cérémonie d'accouplement ! »
Miles a haussé les épaules. « Entraînement de printemps à Dallas. J'ai trouvé un nouveau quarterback prometteur. Le gamin a un bras comme une tornade. »
J'ai hoché la tête avec intérêt, bien que le football ne m'intéresse pas du tout. « Hey Miles, j'ai besoin d'une coup de main ? »
Miles a haussé les sourcils.
J'avais les mains moites en tournant le volant du pick-up de Miles vers l'autoroute.
J'étais entouré de camions surdimensionnés, conduits par des hommes tout aussi surdimensionnés, alors que je suivais les indications pour me rendre à la maison de Jefferson et Norma Danes.
Et de leur fille, Chloe.
Ma bouche est devenue sèche à cette idée.
J'ai serré mes mains autour du volant, jetant un coup d’œil au bouquet de fleurs qui trônait sur le siège passager.
J'avais remarqué son odeur dès que j'avais commencé à jouer du piano à la réception d'Eugene.
Un frisson avait parcouru ma colonne vertébrale si soudainement que j'en avais presque perdu le fil de la chanson que je jouais.
J'avais eu l'impression de tomber de ma planche de surf dans des eaux agitées.
Une noyade. Tout d'un coup, je me noyais dans son parfum.
Sauf qu'au lieu d'une panique croissante, c'était une vague de désir instantanée et irrépressible qui m'avait envahi
J'avais été à la meute du Texas des dizaines de fois avec Raphaël, j'avais assisté à d'innombrables cérémonies et événements.
C'est en partie pour cela qu'Eugene et moi étions devenus de si bons amis.
Mais je n'avais jamais senti ce délicieux parfum auparavant.
Ensuite, j'avais suivi l'odeur jusqu'au bar, où une femme d'une beauté à couper le souffle était assise en train de remuer un verre.
Ma compagne.
Quand elle avait accepté de danser avec moi, j'avais à peine pu résister à l'envie de la toucher, de déchirer ses vêtements et de la revendiquer comme mienne sur la piste.
Mais alors que nous nous balancions sur la musique, mon nez enfoui dans ses cheveux, j'ai remarqué quelque chose de bizarre dans son parfum.
De près, ça sentait la confusion. Il n'y avait pas d'autre façon de le décrire, et j'avais renoncé à essayer pendant la dernière nuit blanche.
Je devais la trouver. Lui parler.
C'était le moment.
J'ai conduit ce monstre de camion à travers la grille ouverte qui menait à l'allée d'un manoir blanc étincelant.
Quel genre de personne vivait derrière ces murs de pierre blanche ?
Ma compagne était-elle gentille ? Était-elle loyale ? Intelligente ? Drôle ?
Voudrait-elle quitter cette splendeur opulente et passer sa vie à se déplacer constamment, à la merci des caprices de Raphaël ?
C'était le problème des liens d'accouplement des loups-garous : je me retrouvais maintenant lié à jamais, cœur et âme, à une femme qui était une parfaite inconnue.
La porte de la voiture s'est ouverte avec un grincement.
J'ai passé une main sur mon crâne rasé de près, en essayant de calmer la nervosité qui me tenaillait.
J'ai marché jusqu'à la porte de la maison de Chloe et j'ai sonné.
La sonnette retentit à nouveau, mais je l'ignorai.
Tout le monde était sorti. C'était sûrement un livreur.
J'ai gémi en me levant et en me dirigeant vers le couloir.
J'avais les jambes raides à force d'être assise en tailleur. J'ai ouvert la porte.
J'ai failli me liquéfier quand j'ai vu Zachary Greyson debout devant ma porte.
Il portait un jean et une veste en cuir noire. Il tenait un bouquet de marguerites dans les mains.
Son sourire un peu penaud a fait battre mon cœur.
« Désolé, j'aurais dû appeler, mais... », a-t-il commencé en me regardant de ses yeux verts clairs.
Un silence gênant s'est installé entre nous.
Mon corps tout entier aspirait à être plus près de lui.
« Elles sont pour vous », a dit Zack, en tendant nerveusement le bouquet de fleurs vers moi.
J'ai tendu le bras pour les prendre, puis j'ai reculé, me rappelant les roses qui étaient mortes à mon contact.
« Merci. Entrez, je vais trouver un vase », ai-je dit à la place, ouvrant la porte pour le laisser entrer.
Dieu merci, aucun membre de la famille de Chloe n'était à la maison. Zack et moi aurions un peu d'intimité.
Cette pensée a fait trembler mes os de désir, mais il y avait une voix sous-jacente qui me disait d'être prudente.
J'étais seule dans une maison avec un loup-garou pur-sang qui croyait que j'étais sa compagne.
Je me suis souvenue de l'appétit sexuel vorace qui accompagne l'instinct animal d'un loup.
Et à en juger par la tension que je sentais dans mes seins, je n'étais pas sûre de pouvoir me contrôler longtemps.
J'avais l'impression que s'il touchait ne serait-ce que le bout de mon petit doigt, je me briserais sur-le-champ.
Je devais admettre qu'elle avait raison.
Zack et moi nous étions connus pendant environ 5 minutes, et dans l'espace de ces 5 minutes, nous avions appris que nous étions irrévocablement liés pour le reste de nos vies.
Zack m'a suivie dans la cuisine, tenant toujours le bouquet.
Qu'est-ce que j'étais censée lui dire ?
Durant ma vie en tant que Claire Hill, je n'avais eu qu'un seul petit ami sérieux, et maintenant je devais être liée de façon permanente à cet homme ?
C'était beaucoup à encaisser.
Surtout que je pouvais à peine garder une pensée rationnelle dans ma tête alors que des vagues successives de désir palpitant me traversaient.
Je cherchais un vase, essayant désespérément de trouver quelque chose à dire.
Je pouvais sentir sa présence derrière moi ; j'aurais aimé porter autre chose qu'un mince débardeur bleu.
Enfin, mes doigts ont trouvé un vase en cristal.
Reconnaissante d'avoir quelque chose à faire avec mes mains, j'ai commencé à remplir le récipient avec l'eau du robinet.
Zack s'est avancé derrière moi. Quand je me suis retournée pour lui faire face, nous étions à quelques centimètres l'un de l'autre.
Je me suis figée, mon cœur battant à tout rompre.
Mais Chloe n'a pas répondu. Au lieu de ça, j'ai ressenti une sensation de blocage, comme si elle avait érigé un mur mental, bloquant notre lien subconscient.
Tout ce qui restait était mes propres pensées chaotiques...et Zachary Greyson.
Le peu de self-control que j'avais réussi à garder s'est évaporé lorsque j'ai vu la chaleur brûlante dans ses yeux.
Je connaissais à peine cet homme. Je ne connaissais pas son deuxième prénom, ni sa couleur préférée.
Mais j'ai compris, quelque part au fond de moi, que le lien entre nous était réel.
Zack s'est rapproché, et tous les poils de mes bras se sont hérissés.
Il a posé les fleurs sur le comptoir de la cuisine. « Il faut que vous me pardonniez. Je n'arrive pas à trouver les bons mots », a-t-il dit.
« Les bons mots pour quoi ? » ai-je soufflé, la peau parcourue de frissons.
« Je n'arrive pas à croire que j'ai trouvé...ma compagne », a-t-il poursuivi d'une voix rauque.
« Qu'est-ce qui se passe maintenant ? » ai-je demandé.
Zack m'a regardée avec curiosité.
Bien sûr, j'étais censée être un loup-garou. Chloe Danes devait savoir exactement ce qui était censé se passer ensuite.
Il a levé une main et l'a fait courir le long de de ma mâchoire.
« Normalement, c'est là que je te marquerais », a-t-il dit, sa main effleurant la peau à la base de mon cou.
Mes yeux se sont fermés.
Son autre main s'est posée sur ma taille. « Pour que tous les autres mâles sachent que tu es à moi. »
« Tu veux me marquer ? » ai-je réussi à haleter alors que le feu faisait rage en moi.
« Tu veux que je te marque ? » a-t-il répondu d'un ton taquin, se rapprochant jusqu'à ce que ses lèvres effleurent à peine la peau de mon cou.
Mes yeux se sont ouverts.
