Cette journée commence mal.
D'abord, je me réveille avant mon réveil et ne cesse de regarder mon téléphone, dans l'attente de commencer ma journée par un « Bonjour » de Jake comme c'était le cas auparavant.
Le seul message est de Michael et il est écrit, « 6 jours. » Je suis peut-être socialement handicapée, mais même moi je sais qu'il est à la limite de l'obsessionnel.
Deuxièmement, on n'a plus de bon café, je suis alors obligée de faire un café léger. J'ai besoin d'un café, un café fort, pour être opérationnelle. Si je n'ai pas de caféine qui coule dans les veines, il m'est impossible de gérer les interactions sociales.
Je me crispe et je bégaie, c'est un désastre. L'alcool guérit temporairement mon anxiété sociale paralysante. Le café fait quant à lui disparaître le côté paralysant.
Ce matin, comme une seule tasse ne suffit pas à réveiller mes aptitudes sociales à peine existantes, je finis par en boire une deuxième.
Finalement c'est un peu trop, je tremble à cause de la caféine et je dois m'allonger quelques minutes avant de partir au travail.
Troisièmement, la femme que nous croisons, Shawn et moi, dans le hall ne me reconnaît pas, mais je me souviens parfaitement d'elle. Madame Salope en Violet.
Elle a l'air gentille et pleine d'entrain, mais je ne pense qu'à la façon dont elle s'est interposée entre Logan et moi à Smash. Je suppose que comme elle me tournait le dos, elle n'a pas dû voir mon visage.
Honnêtement, je m'en fiche.
Ce qui arrive en quatrième position est certainement le pire, car cela implique justement des gens qui me connaissent bien. Michael est le directeur des affaires de Quincy Ventures.
Logan est le directeur financier.
Il est midi, il s'agit du tout premier jour de ma mission, et j'ai déjà dû m'asseoir en face d'un gars qui m'a vu complètement ivre, et deux sièges plus loin d'un homme qui m'a vu complètement ivre et nue.
Nous avons dû faire ces stupides rencontres-salutations avec les gens de la direction. Heureusement, Shawn est à l'aise dans ce genre de situation, c'est donc lui qui a le plus parlé.
Je n'ai eu à répondre qu'à deux questions, mais c’étaient des questions à dormir debout. Des questions provocantes posées par un connard prénommé Dylan qui semble penser que je vais rôder autour de leurs bureaux pour soutirer des informations confidentielles.
Il ne sait pas que je n'ai pas la moindre idée de ce que fait une société de capital-risque. Je veux dire, je sais qu'ils investissent dans des choses, mais je n'ai aucune idée de comment ça marche.
Est-ce qu'ils font juste un chèque ? Est-ce qu'ils paient en une seule fois ? S'agit-il d'une action ? D'une obligation ? Y a-t-il une différence entre les deux ?
J'ai un diplôme en beaux-arts, pas un Master en finance.
Je discute avec Shawn en buvant un café au lait à la cafétéria de Quincy Ventures quand Michael débarque à côté de moi.
Par « débarquer », je veux dire qu'il traîne bruyamment une chaise sur le sol en linoléum jusqu'à notre table pour deux personnes.
«Je suis déçu de ne pas avoir eu de nouvelles de toi ce matin, mais je suppose que tu te prépares pour le grand jour », dit-il en souriant.
Grand jour ? Ce type est peut-être encore plus bizarre que moi, ce qui est rassurant d'une certaine manière.
« Ouais, je ne suis pas douée pour les textos. Désolée », je ris.
Shawn lève les sourcils.
« Rae et moi nous sommes rencontrés ce week-end », explique Michael. « J'ai vraiment apprécié d'apprendre à te connaître, Rae. »
Je retire ce que j'ai dit. Je ne suis plus rassurée. « Ouais, samedi c'était sympa », je fais semblant d'être d'accord.
Je veux dire, c’était pas si mal. Mais j'ai aussi vu l'amour de ma vie me tromper ce jour-là et je me suis aussi ridiculisée devant le directeur financier de Quincy Ventures. Dans l'ensemble c'était un désastre complet.
« Oh, ça l'était. Et je suis sûr que ça sera encore mieux samedi. »
Je souris car je ne sais absolument pas quoi répondre à ça.
« Rae et moi étions en train de parler de mon nouveau chiot », dit Shawn.
« Tu veux voir une photo ? Ma fiancée l'a appelé Puffin parce qu'il est noir et blanc, donc elle trouve qu’il lui ressemble. » Il fait glisser son téléphone sur la table.
Michael ne baisse même pas les yeux. Tout ce qu'il fait, c'est marmonner, « Adorable. »
Shawn cligne des yeux plusieurs fois. Je continue à sourire maladroitement. Puis, j'avale le reste de mon latte en une seule gorgée, je fais une blague pas très drôle sur le fait que le devoir m'appelle et je quitte la cafétéria.
Note à moi-même : Apporter mon déjeuner demain. Manger seule dans mon bureau. Rester hors de la vue de tous. Ne pas tenir compte des préoccupations de Dylan et se cacher sous le bureau si nécessaire.
Ce moment de solitude ne dure pas plus d’une minute.
« Qu'est-ce que c'était que ça ? » demande Shawn en s'appuyant sur le mur de mon bureau, en levant les sourcils.
J'aime bien Shawn. C'est facile de lui parler - enfin, aussi facile que possible pour moi - avec lui je ne me sens pas gênée de bégayer ou dire des choses insensées.
Peut-être qu'il le remarque, mais il n'y prête pas attention, et c'est tout ce qui m'importe. Je place sûrement la barre très bas, mais depuis l'école maternelle, éviter les intimidations et les jugements est ma principale priorité.
Toute interaction qui n'implique ni l'un ni l'autre est une grande victoire pour moi.
Cependant, même si j'aime bien Shawn, je n'ai vraiment pas envie de lui confier mes activités du week-end. Nous sommes des collègues de travail, pas des amis.
« J'ai rencontré Michael ce week-end », je marmonne en fouillant dans mon étui d’appareil photo. À cet instant, j’ai juste besoin d’une excuse pour éviter tout contact visuel.
« Il avait l'air... amoureux », commente Shawn.
Je ne peux pas m'en empêcher. Je rigole. « Amoureux ? »
« Ouais, amoureux. Est-ce qu'il sait que tu as un petit ami ? »
Shawn a l’air surpris. « Toi et Jake avez rompu ? »
Je hoche la tête.
« Oh, non. Je suis vraiment désolée, Rae. Vous avez été ensemble pendant un moment. »
Je hoche une nouvelle fois la tête. Nous avons été ensemble pendant un certain temps. Deux ans et un mois. C'était censé durer plus longtemps.
Je ne peux pas pleurer au bureau, mais je vais pleurer au bureau.
« Excuse-moi », je m'étouffe. Je pose l'appareil photo sur mon bureau et j’essaye de trouver les toilettes pour laisser mes larmes s’échapper. Je me faufile frénétiquement entre les rangées de bureaux, sans succès.
Il doit bien y avoir des toilettes à proximité, non ? N'y a-t-il pas une loi pour ça ? Pas étonnant que cet endroit peine à embaucher. Pas de toilettes en vue.
Je me heurte à quelque chose de grand, probablement une personne. Je lève les yeux. Il s'agit bien de quelqu'un. Et cette personne c'est Logan.
« Hey, Rae. » Il sourit. « Désolé, je ne regardais pas où j'allais. Tu vas bien ? »
« Désolée », je bafouille. J'ai balancé ma tête d'avant en arrière, en espérant que les toilettes pour femmes apparaissent de nulle part.
« Je peux t'aider à trouver quelque chose ? »
Une larme s'échappe, puis une autre. Puis une autre. Je secoue la tête.
« Mon bureau est juste à côté. Je pense qu’il serait bien que l’on parle un peu du type de photos que tu veux prendre. Tu as quelques minutes à m'accorder ? »
J'acquiesce et laisse Logan me guider vers une porte ornée d'une plaque « Logan Quincy, Directeur Financier. »
