
Prêt à tout pour gagner
Il y a huit ans, j'ai coupé les ponts avec mon meilleur ami et je me suis éloignée du seul homme que j'aie jamais aimé pour protéger mon cœur. Maintenant, je dirige son entreprise pendant qu'il passe ses journées à collectionner les home runs, me consacrant occasionnellement du temps entre les matchs et les femmes sans visage. Le fait est que mes priorités ont changé, et je ne suis plus intéressée à rester passive - plus maintenant ! Je veux ce qui m'appartient et j'ai l'intention de le prendre, mais s'il ne s'en rend pas compte bientôt, alors les World Series ne seront pas la seule chose qu'il perdra !
Prologue
Noelle
Je jette un nouveau coup d'œil à ma montre. J'ai l'impression d'être plantée sur ce vieux canapé inconfortable depuis une éternité.
Je ne comprends même pas pourquoi je suis venue à cette soirée. Carson Vader n'est même pas en terminale.
Mais bon, il fait partie de l'équipe de foot, et les terminales ne crachent pas sur de l'alcool gratuit.
Je prends ma bière encore pleine et fais mine de boire avant de la reposer.
Je ne sais même pas pourquoi je fais semblant. C'est le genre de chose que font les filles qui ne veulent pas que les garçons leur apportent des verres, mais ce n'est pas vraiment mon problème.
Au lycée de Peach Creek, je passe quasiment inaperçue. Ce qui n'est pas évident dans une ville de moins de cinq mille âmes.
Mais quand on grandit dans la précarité, mieux vaut être invisible que l'inverse.
Une seule personne me voit vraiment et me connaît sur le bout des doigts. C'est mon meilleur ami, Cin.
Le hic, c'est que je n'arrive pas à me faire à l'idée qu'il ne me voit que comme une amie.
J'aimerais que mon cœur arrête de me faire souffrir, ne serait-ce qu'une soirée, pour que je puisse faire ce que j'ai à faire.
Je m'enfonce dans le canapé en soupirant. Je regarde encore ma montre. Ça fait quarante-sept minutes que Cin est monté à l'étage avec Belinda Carter, une première qui est capitaine de l'équipe de natation.
Je ne l'ai pas revu depuis.
J'aimerais pouvoir dire que c'est la première fois que je fais ça, mais ce serait mentir.
Je ne vais pas souvent aux fêtes, mais je passe la plupart de mes samedis soirs à la maison à attendre que Cin m'appelle tard dans la nuit.
Quand j'y pense, j'ai honte. S'il y a une chose que je regrette au lycée, c'est de n'avoir que Cin comme ami.
J'ai toujours été timide et discrète, ce qui ne facilite pas les choses pour se faire des amies. Même si je ne suis plus aussi pauvre maintenant, les gens ici ont la mémoire longue.
Ils cachent leur mépris derrière des sourires forcés ou pire, en faisant comme si je n'existais pas.
J'ai hâte d'aller à la fac. Je n'aurais jamais cru y aller un jour, mais Cin a insisté.
Je souris en repensant à nos révisions pour l'ACT. Cin m'avait dit : « Les gens qui n'ont que des A vont à la fac. »
À l'époque, je m'en fichais comme de l'an quarante. Je ne bossais pas à l'école pour aller à la fac. L'école était un moyen de garder le contrôle sur quelque chose dans ma vie.
J'avais besoin de quelque chose pour montrer que j'étais différente de ma mère droguée et de mon père aux abonnés absents.
Mais Cin a fini par me convaincre. Alors, j'ai postulé dans toutes les écoles de Géorgie et j'ai décidé d'aller dans une bonne fac pour filles pour étudier la gestion d'entreprise.
En apparence, ma vie semble s'améliorer après des années de galère.
Mais mes sentiments ? Mon cœur ? Ils désirent toujours quelque chose qui me file entre les doigts.
À 23 h 13, Cin descend les escaliers avec cet air assuré que j'admire et que j'envie à la fois.
Ses cheveux bouclés foncés sont en bataille et il arbore un large sourire qui creuse ses fossettes.
Comme d'habitude, je le regarde se diriger vers la cuisine. Je suis soulagée de ne pas voir Belinda le suivre.
Je l'observe discuter et rire avec des gars de son équipe de baseball. Ils ont l'air aux anges après avoir remporté le championnat d'État.
Et comme toujours, quand Cin me regarde, mon estomac fait des loopings.
« Tu es prête à partir ? » me signe-t-il, et je hoche la tête.
J'attends près de la porte d'entrée pendant que Cin dit au revoir à ses potes. Une fois dehors, je respire un grand coup pour chasser l'odeur d'ados bourrés.
Heureuse d'avoir Cin pour moi toute seule, je le suis jusqu'à sa Jeep et monte avant même qu'il n'atteigne la voiture. Il s'installe à côté de moi et le clair de lune fait briller sa bague de champion.
Je n'ai pas besoin de demander où nous allons car nous faisons la même chose tous les samedis soirs depuis des années.
Peu importe l'heure, quand nous sommes tous les deux rentrés, nous nous posons toujours sur le toit de sa maison et nous engloutissons un paquet entier d'Oreos. On ne rate ça que lorsqu'il part en déplacement pour le baseball d'été.
En arrivant, je ne suis pas étonnée de voir qu'il n'y a aucune voiture dans l'allée.
Le père de Cin est neurochirurgien et n'est quasiment jamais à la maison maintenant. En fait, il est rarement rentré à une heure normale depuis la mort de Geraldine.
Je suis Cin dans la grande maison vide où j'ai mis les pieds tant de fois. Nous montons les escaliers quatre à quatre jusqu'à la chambre d'amis. De là, nous sortons par la fenêtre pour rejoindre notre coin habituel.
C'est un miracle qu'aucun de nous ne se soit jamais cassé la figure, vu qu'on a trouvé cet endroit quand on était gosses.
Je lisse ma robe avant de m'allonger sur la couverture que Cin a posée sur le toit. Je regarde les étoiles. Ces moments-là vont me manquer le plus quand Cin et moi irons à la fac.
Soudain, mes mains deviennent moites.
Parce que je ne lui ai toujours pas dit qu'on n'irait pas ensemble à UGA.
Au début, aller à la fac avec mon meilleur pote semblait génial. Mais après avoir vu Cin coucher avec presque toutes les filles de Peach Creek, Géorgie pendant le lycée...
Eh bien, je ne pense pas que mon cœur pourrait tenir le coup pendant quatre années de plus.
« Qu'est-ce qui s'est passé avec Belinda ? » je demande en riant.
Je ne suis pas sûre de vraiment vouloir savoir. Mais si. J'ai toujours envie de savoir. Si je ne sais pas, mon imagination va partir en vrille.
Cin hausse les épaules. « Elle dormait quand je suis parti. »
« Tu ne changeras jamais », je dis en secouant la tête.
« Gros mot. » Cin me lance un Oreo qui atterrit sur mon ventre. Je sépare les biscuits, lèche la crème au milieu, puis mange les deux moitiés. Cin secoue la tête, feignant le dégoût.
« On ne va pas tous jouer au baseball pour gagner notre vie. Certains d'entre nous devront se servir de leur cerveau pour bosser, tu te rends compte... » Je fais un bruit de désapprobation et Cin pose sa main sur son cœur.
« Aïe. »
« La vérité fait mal. »
« Au fait, je voulais te demander. Tu as payé ta chambre universitaire ? J'ai reçu un mail disant que la date limite approche et que le prix augmente après, alors je voulais vérifier. »
« Si c'est une question d'argent— »
« Ce n'est pas ça », je l'interromps.
Cin fronce les sourcils. « D'accord... Alors c'est quoi le problème ? »
Mes mains s'agitent sur mes genoux et je laisse échapper un souffle que je retenais depuis un mois. « Cin... Je ne vais pas à UGA. »
Mon meilleur ami se redresse. Il a l'air perdu et je détourne le regard pour éviter de voir la douleur dans ses yeux.
Il y a un long silence. Puis sa voix profonde et calme brise le silence de la nuit.
« Comment ça tu n'y vas pas ? Comment tu pourrais ne pas aller à la fac NoNo ? Après tout ce boulot ? Je ne comprends pas— »
« Je vais toujours à la fac », je lui dis rapidement. « J'ai juste décidé d'aller... tu sais, ailleurs. »
Il fronce à nouveau les sourcils. Même quand il est en rogne, il reste l'homme le plus beau que j'aie jamais vu. « Où ? » demande-t-il.
« Une bonne fac pour filles à Atlanta. »
Cin me fixe longuement et j'essaie de déchiffrer son expression, mais elle est impassible. Finalement, les coins de sa bouche s'étirent en un sourire. « Une fac pour filles, hein ? »
« Peut-être que je vais postuler. Les facs aiment la diversité. »
Je lui donne un coup de poing joueur dans le bras, mais je soupire intérieurement. C'est exactement pour ça que je mets de la distance entre Cin et moi.
Je ne peux pas continuer à faire semblant que ça ne me brise pas le cœur chaque fois que j'entends parler de ses aventures par Lisa la pom-pom girl ou Holly de l'équipe de softball.
Et même si on en plaisante, il ne sait pas que c'est exactement ce qui se passe à l'intérieur de moi.
Parce que je suis amoureuse de mon meilleur ami depuis aussi longtemps que je le connais, et savoir que je ne serai jamais plus que son amie est déjà assez dur comme ça.
« Tu dois me laisser partir un jour, Cin. On ne fera pas des soirées pyjama dans des tentes ou on ne se posera pas sur le toit à manger des cochonneries quand on aura la trentaine », je lui rappelle.
Pendant un moment, il ne dit rien, et les insectes nocturnes comblent le silence.
Je me suis souvent demandé pendant toute mon enfance ce qui retenait les gens dans ce bled avec son manque de boulot et sa diversité limitée, mais le calme de la nuit ? Les beaux étés ?
Parfois, assise ici à côté de Cin, je ne ressens plus ce besoin impérieux de faire mes valises et de me tirer par le premier bus.
Mais je ne peux pas passer les dix prochaines années de ma vie à attendre ces rares et beaux moments qui étaient trop espacés en grandissant.
Peach Creek, c'est l'endroit où on épouse son copain du lycée, on tombe enceinte et on reste coincée dans une vie à servir les autres en renonçant à ses rêves.
C'est peut-être ce que veulent la plupart des filles avec qui j'étais au lycée, mais on ne m'a jamais permis de rêver.
Dès mes quatorze ans, j'ai eu mon premier boulot à balayer les sols chez Ray's Grocer et j'ai gravi les échelons jusqu'à devenir assistante manager à temps partiel tout en gardant de bonnes notes, en restant loin de la maison et en préparant les examens d'entrée à la fac.
Tout ça pour pouvoir garder un toit au-dessus de la tête de mes jeunes cousins et de la nourriture pour nous.
Autant j'aime Cin, il ne comprendra jamais ce que c'est d'être seule parmi des gens qui ont tellement plus. Pas quand le coût d'une candidature à la fac représente un mois de bouffe pour nous.
Nous ne vivons pas seulement dans des mondes différents physiquement, mais nos esprits fonctionnent de manière complètement différente. Pour lui, il n'y a pas de conséquences. Pour moi, il y en a une pour chaque choix que je fais.
C'est la principale raison pour laquelle je suis prête à quitter Peach Creek. Et à quitter Cincinnati Barker.
« Je sais », murmure-t-il comme s'il était d'accord avec mes pensées plutôt que de répondre à ce que j'ai dit. « Je sais. »














































