Le Joyau de la Couronne - Couverture du livre

Le Joyau de la Couronne

Ellie Sanders

Chapitre deux : Les yeux sur le prix

MAINTENANT

L’air est frais. La brise est légère malgré les nuages au loin qui annoncent une tempête – et d'après ce que je ressens, c'est une grosse tempête qui s’annonce.

Pour le moment, je pense que c'est la seule chose qui ne me fait pas perdre la raison, et qui me calme aussi.

Je fixe les six hommes en dessous de moi. L'un de ces six est mon avenir. Mon destin.

Je grimace pendant une seconde, mon visage se tord de dégoût, puis je me reprends rapidement en espérant qu'Emet ne m'ait pas vue.

« Lequel ? » Cali chuchote à mon oreille alors que je me contrôle pour ne pas grimacer.

Mon frère se crispe. « Cali », murmure-t-il comme un avertissement.

« Je suis juste curieuse, Emet, » dit-elle. « Lequel voudrait-elle baiser ? »

« Cali », grogne Emet.

Elle s'accroche à son bras, en lui faisant de l’œil.

Ce n'est pas la première fois que je me demande si elle est vraiment aussi stupide qu'elle en a l'air ou si elle fait semblant, pour se jouer de mon frère. Je l'admirerais presque si elle joue la comédie.

Elle a tenu plus longtemps que les autres – beaucoup plus longtemps –, elle doit avoir une stratégie, mais mon frère ne l'épousera pas.

Elle n'a rien d'autre à lui offrir qu'un lit chaud et un trou pratique pour y fourrer sa bite. Elle est stupide si elle pense le contraire.

« Les princesses ne font pas que baiser », dit Emet. « Elles font ce qu'on leur dit. »

« Ça a l'air d’être ennuyeux comme vie », murmure-t-elle.

Je suis abasourdie, mais je garde un visage neutre. Je ne suis pas assez bête pour risquer de me faire remarquer, avec mon frère à côté qui surveille chacun de mes mouvements.

« C’est moi qui déciderai qui elle épousera », dit Emet, en s'appuyant sur la balustrade et en fixant le sol. « Celui qui fera le meilleur allié pour moi. »

« Choisis celui de droite. Il est beau. Elle mérite un mari séduisant », dit Cali.

Emet cligne des yeux et je me demande si elle a poussé trop loin, s'il est sur le point de craquer.

« Elle ne mérite rien », grogne-t-il. « Elle est ici pour faire son devoir, pour épouser la personne de mon choix et en être heureuse. »

Je sens ses yeux sur moi et je n'ose pas le regarder, ni aucun des hommes devant moi. Je reste là, muette, obéissante, me demandant quand je vais me réveiller de ce cauchemar et quand mes prières seront exaucées.

« Vos Altesses », dit Manox derrière nous. Emet se retourne. « Tout est prêt pour le public. »

« Bien », dit Emet.

Il claque des doigts et je comprends que le signal est pour moi.

Il me veut à ses côtés : c'est une négociation après tout. Tous ces hommes sont venus offrir un cadeau censé assurer le trône de mon frère, et ceux que mon frère choisira recevront un prix exceptionnel : moi.

Le seul problème est que je suis techniquement déjà fiancée, mais personne ne veut laisser ce petit obstacle se mettre en travers de la route. Parce que je suis une princesse, du sang royal coule dans mes veines et cela fait de moi un prix trop tentant pour qu'on y résiste.

Même si cela risque de provoquer la colère de l'un des hommes les plus redoutés du pays.

Je marche derrière mon frère, fixant son dos. Il n'a pas la carrure d’un roi, pas la corpulence nécessaire.

Même ceux qui nous entourent le murmurent, pensant que nous ne pouvons pas entendre.

Il devrait être le plus grand homme ici, le plus puissamment bâti.

Au contraire, on ne le distingue pas des autres hommes, au point qu'il a pris l'habitude de porter une cape doublée d'hermine avec un épais rembourrage et une couronne dorée pour marquer son statut.

La cape est belle, la couronne bien trop brillante, mais cela ne résout en rien le problème du statut d'Emet. Ça le souligne même davantage.

Parce qu'Emet n'est pas le seul roi de ces terres. Nos terres. Les terres de notre père.

Il y en a un autre. Et à mesure que sa force et son pouvoir grandissent, l’influence de mon frère diminue. Le monde est ainsi fait.

Le monde des rois et des chefs de guerre.

L'usurpateur est plus fort, dominant, et en plus de cela, il a même été roi, accepté par notre peuple et par le Grand Conseil. Maintenant, c’est nous qui sommes devenus les usurpateurs.

Emet s'accroche au peu de pouvoir qu'il lui reste, mais nous savons tous les deux que cela ne peut pas durer. Que bientôt l'usurpateur viendra pour nous deux.

Il tuera Emet, le massacrera comme il a massacré notre père, et ensuite, il portera son attention sur moi.

Je frissonne à l'idée que cet homme, ce monstre, me détienne. Il a hanté chacun de mes pas ces cinq dernières années. Il m'a poursuivie. Il m'a traquée. Ce n'est que par la pure chance des dieux que je lui ai échappé.

Il est mon fiancé. L'homme auquel mon père avait accepté de me marier alors qu'il n'était qu'un simple chef de guerre. Il avait pris d'assaut le château et avait pris le trône après avoir vaincu mon père.

Pourtant, nous sommes là maintenant, à faire comme si ce n’était jamais arrivé. Comme si j’étais libre de me marier et qu'Emet pouvait me choisir un prétendant, sans penser aux conséquences désastreuses.

Parce que Kaldan viendra.

Je le sais.

Au fond de moi, je connais cet homme. Ce monstre nous trouvera tous les deux et j'ai l'impression que chaque jour qui passe nous rapproche de ce moment inévitable.

« Le roi Emet et la princesse Arbella. »

On nous annonce.

Mon frère entre en premier. Il se pavane. Dans toute sa parure, je le trouve ridicule. Il a l'air d'un roi de théâtre, d'un imposteur. Et je peux voir sur le visage de certaines personnes autour de nous qu’elles pensent la même chose.

Je prends une profonde inspiration puis je marche pour le suivre. À côté de sa tenue luxueuse, je dois avoir l'air minable. Ma robe est unie. Un tissu assez fin, certes, mais ce n'est pas à la hauteur d'une princesse.

La robe n’est pas ajustée, laissant deviner qu'elle n'a pas été faite pour moi. Le style est aussi un peu ancien. Ce n'est pas la dernière mode – loin de là, alors que les dames autour de moi ne savent que choisir dans leur garde-robe.

La moitié d'entre elles adoptent un style similaire au mien, comme dans un élan de solidarité, tandis que les autres portent des plus belles matières, des robes qui leur collent à la peau, qui les rendent si désirables que je me demande qui pourrait me regarder.

Et puis, je me rappelle que j'ai une chose que ces femmes n'ont pas, une chose pour laquelle les hommes tueraient : du sang royal.

Contrairement à mon frère, je n'ai pas de couronne. Je ne porte même pas de diadème.

Il le fait pour insister sur un point. Pour marquer qu'il est le seul souverain et que ce n'est pas parce que je suis offerte en mariage à l'un de ces six hommes que l’élu obtiendra une couronne.

Je les regarde, tous les six.

J'étudie leurs visages pendant un bref instant, puis je baisse le regard.

Je me fiche de tout cela. Si je le pouvais, je m'enfuirais de cette pièce, de ce château aussi. M'enfuir et disparaître, mais mon frère ne laissera jamais cela se produire.

Il me surveille de près. Je suis observée presque chaque seconde de la journée. Je suis un trophée pour lui. Une monnaie d'échange, et il est déterminé à me vendre au prix le plus élevé possible.

« Vos Altesses », dit l'un des hommes.

J'écoute à peine. Ses mots ne sont pas pour moi. Ils sont pour mon frère.

Je suis ici pour simplement me tenir à ses côtés et être jolie.

Mon frère descend de l’estrade et accueille chacun d'entre eux à tour de rôle. La plupart d'entre eux sont des chefs de guerre. Deux sont des chevaliers.

Lorsque mon frère a organisé ce concours, il a fait très attention à qui il a sélectionné. Tous les rois qui ont répondu ont été poliment refusés.

Il ne veut pas de concurrence. Un roi pourrait lui apporter un grand soutien en tant qu'allié, mais le risque qu'il éclipse Emet est trop grand.

Emet explique les règles du concours.

Il veut que cela paraisse juste, pour faire croire à ces hommes qu'ils ont tous leur chance, mais en vérité, je pense qu'il a déjà décidé du vainqueur.

Un de ces hommes sait déjà que dans trois jours, je me tiendrai près de lui sur un autel et que je serai la sienne.

Je sens leurs regards sur moi. Machinalement, je lève les yeux et ils me fixent tous.

Je me demande à quoi je dois ressembler. Ai-je l'air prête ? Ai-je l'air satisfaite ou peuvent-ils voir la peur qui se cache derrière mon visage sans expression ?

Emet me sourit et cela me fait froid dans le dos.

« Bien sûr », dit-il.

« Vous aurez tous droit à un peu de temps avec la princesse. Surveillés bien sûr. »

Bien sûr, je pense.

Parce que ma virginité est une chose aussi protégée que mon être même. Emet s'en est assuré.

Cela fait partie du marché, de l'offre. Ils auront une princesse intacte. Vierge. Non souillée par les mains d'un autre homme.

Je me contrôle pour ne pas grimacer. Ces hommes sont des hypocrites.

Ils baisent quand ils veulent, prennent qui leur plaît. Ils violent aussi, s'imposent à des femmes qui ne veulent pas d'eux... Et pourtant, ils sont obsédés par les vierges, la pureté et la chasteté.

Cela me dégoûte, mais c'est le monde dans lequel je vis, et, tant que je suis captive, je ne peux pas faire grand-chose pour le changer.

Emet parle encore un peu avant d’en avoir terminé.

Il congédie la cour et laisse ces hommes se reposer avant les festivités de ce soir.

« Ma sœur », dit Emet une fois que nous sommes seuls. Même Cali a été renvoyée de la pièce.

« Frère », je réponds.

« Tu sembles... » Il hésite, comme s'il ne trouvait pas le mot. « Complaisante. »

« Pas complaisante », je réponds. « Je suis aussi obéissante que d'habitude. »

Il sourit légèrement en passant ses yeux sur moi. « Tu as intérêt à l'être », murmure-t-il avant de sortir et de me laisser seule.

Dès qu'il est parti, j’ai l’impression de pouvoir enfin respirer, comme si l'air autour de moi était enfin pur.

Je fais les cent pas dans la pièce.

Derrière la porte, je sais que mes gardes m'attendent, et dès que je serai sortie, ils me raccompagneront à ma chambre. Ils doivent déjà se demander ce qui me retient, mais je n'y pense pas.

Je regarde autour de moi, tous nos insignes et toutes nos bannières pendues au plafond. Le trône qu'Emet avait sculpté lorsque nous avions perdu le nôtre.

Je regarde les fourrures aussi, et les tapis, avant que le chef de guerre enragé qui va venir nous chercher ne puisse mettre la main dessus.

Tout a l'air minable maintenant, vieux. Ce qui était autrefois de grands symboles de pouvoir a l'air délavé.

Cela ressemble à un présage. Une prophétie.

Notre famille a régné sur cette terre pendant plus de mille ans et maintenant, c'est presque fini. J'aimerais dire que nous étions de bons souverains, que mon père était un bon roi, mais je mentirais.

C'était un homme égoïste, comme son père avant lui. Emet est pareil.

Et pourtant personne ne les avait jamais défiés, ni même essayé.

Jusqu'à Kaldan.

Il est sorti de nulle part.

D'après ce qu'on dit, mon père l'a complètement sous-estimé.

Il n'était qu'un chef de guerre après tout. Mon père était un roi. Selon les lois de la nature, il aurait dû être facilement vaincu. Seulement, ça ne s’est pas passé comme ça.

Une terrible guerre a éclaté entre eux.

Je ne sais pas combien de temps elle a duré, mais Kaldan était plus intelligent et meilleur stratège. Mon père a commis de graves erreurs et, au final, son incompétence lui a coûté sa couronne.

Kaldan a été victorieux et j'ai été cédée sur un morceau de parchemin comme si j'étais une pièce du trésor royal, un joyau de la couronne qu'il pouvait posséder.

Mais ça ne s'est pas terminé comme ça. Quelque chose s'est produit.

Mon père a eu un sursaut d’orgueil et il a pensé qu'il pouvait dominer Kaldan, mais Kaldan a réagi sans pitié ni retenue. Il a détruit tout ce que possédait mon père et a anéanti son armée.

Je ne sais pas comment il l'a tué, mais je sais qu'il l'a fait de sa propre main.

Et puis il est venu pour nous. Pour moi et Emet.

« Votre Altesse. »

Je cligne des yeux en me retournant et sors de mes pensées.

C'est la servante. Un des espions d'Emet, bien que je n’en sois pas sûre à cent pour cent.

« Nous devons vous préparer pour le festin », dit-elle en avec un sourire qui semble être authentique.

Après un hochement de tête rapide, je la suis. Je ne lui en veux pas de m'avoir trahie.

Elle est autant une victime que moi dans tout ça. Emet n'est pas un homme auquel on peut s’opposer, pas un homme avec lequel on peut marchander. En exécutant ses ordres, elle essaie simplement de survivre, comme moi, comme tout le monde à la cour d'Emet.

Nous sortons de la pièce, et instantanément mes deux gardes se lèvent et se placent derrière moi. Si près que je peux entendre leur respiration. Ma chambre est à côté de celle de mon frère, mais la mienne est minuscule alors que sa suite est immense.

Les gardes restent à l'extérieur et la servante ferme la porte puis entre dans la minuscule salle de bain, qui était autrefois un placard, pour y faire couler un bain.

Je m'assieds sur la chaise en bois, mon seul meuble avec un petit lit et une armoire en fin de vie qu’on a arrêté d’essayer de réparer. Elle tient maintenant en équilibre contre le mur, menaçant de s'effondrer à tout moment.

Quand le bain est prêt, la servante m’appelle, j'enlève ma robe et je grimpe dedans. Ce n'est pas une baignoire de taille normale. C'est une baignoire ronde dans laquelle je dois m'asseoir, les genoux serrés contre ma poitrine, pendant qu'elle me frotte.

Je déteste chaque minute de ce moment.

Je me sens exposée, vulnérable, mais la servante le sait et elle est assez compréhensive pour ne pas faire durer ce moment. Elle fait aussi vite qu’elle le peut, avec efficacité et compassion.

Je dois passer mes jambes par-dessus la baignoire et mettre juste ma tête sous l'eau pour qu'elle puisse me laver les cheveux. C'est le pire moment.

Lorsque c'est enfin terminé, je me relève rapidement, je saute de la baignoire et je me sèche.

J'avais l'habitude de la laisser me sécher, mais maintenant je ne le supporte plus. Elle me tend une robe et j’ouvre grand les yeux. Elle est neuve. Plus chic que les autres. Je suppose qu'Emet veut faire une grande impression sur les prétendants.

La robe est blanche. D’un blanc pur, avec des broderies dorées complexes. Elle est magnifique. Quand elle me la tend pour que je l'enfile, je peux en sentir le poids.

Elle est lourde. Vraiment lourde.

J'ai l'impression qu’elle m’alourdit, qu'elle me serre.

Elle l’attache, bouton par bouton, et je peux sentir à la coupe que cette robe n'est pas neuve. Elle est d'occasion, comme le reste.

Puis elle me coiffe. Elle sèche mes cheveux avec la serviette avant de passer des heures à en faire une grande tresse qui fait le tour de ma tête, comme une couronne.

Je me regarde dans le miroir et mon cœur s'arrête car, pour une fois, je peux voir ma beauté. Je serre les poings, je ne veux pas de cela.

Je ne veux pas être belle. Je ne veux pas me rendre plus séduisante que je ne le suis déjà.

« Tu es prête ? » La voix de mon frère retentit et je sursaute.

« Oui », dis-je.

Il me regarde de haut en bas. Il porte aussi une nouvelle cape. La fourrure qui la recouvre semble si douce que j'ai envie de tendre la main et de la toucher, mais je n'ose pas.

« Tu comprends de quoi il s'agit ? » dit-il alors que nous marchons. Les gardes sont juste derrière nous, prêts à protéger leur roi si nécessaire.

« Je comprends », je réponds.

Il s'arrête, saisit mon poignet et je grimace car il me serre fort. « Tu n’as pas intérêt à tout foutre en l’air », dit-il. « Ne fais rien qui puisse faire échouer mon plan. »

« Je ne ferai rien », dis-je.

« Si ça se passe mal, je te le ferai payer », grogne-t-il.

Il jette un coup d'œil devant lui : des gens nous observent.

« Joue ton rôle, Arbella. Souris, sois charmante, montre à ces hommes que tu vaux quelque chose. »

Je serre les dents, mais acquiesce.

« Et quoi que tu fasses, ne te comporte pas comme une putain », ajoute-t-il.

Je ferme les yeux. Comme si j'avais déjà été comme ça. Comme si j'avais déjà été près d'un homme.

« Ta virginité est un prix. Fais en sorte qu'elle ait de la valeur. »

Je retire mon bras, écœurée par ses paroles, et d'après son regard, je sais que si nous n'étions pas surveillés, il me frapperait probablement pour mon insolence.

Il me jette un dernier regard puis avance. Je me précipite pour le rattraper.

Nous entrons dans la salle et tout le monde se lève pour nous. Les six prétendants sont répartis dans la salle et chacun a une vue dégagée de l'endroit où se trouve ma chaise.

Emet me guide jusqu'à ma place et tire la chaise pour que je m'assoie.

Je replie mes jupes et m'assois, aussi docile qu'un chien. Emet s'éloigne ensuite, prenant place sur son trône et me laissant entourée de ses plus fidèles conseillers.

Il m’expose devant ces prétendants, comme un bijou qui brille au soleil, tout en me gardant assez loin pour qu'ils ne puissent pas approcher de trop près l’objet de leur désir.

Je mange tranquillement, écoutant à moitié les conversations autour de moi. Normalement, Emet me fait manger seule, alors ce n'est pas seulement oppressant, mais c’est aussi inhabituel pour moi. Je n'ai rien à dire.

De plus, personne ne se soucie des opinions d’une princesse et mon frère a passé des années à me l'inculquer.

« Qu'en pensez-vous, princesse Arbella ? » me demande-t-on. Je lève les yeux et je croise le regard d'un homme que je ne connais pas.

C'est l'un de mes prétendants. Il s’appelle Vesak. Je sens les yeux de mon frère se poser instantanément sur moi.

« Je suis désolée, je ne suivais pas la conversation », dis-je doucement.

Quelques personnes sourient.

Cela me semble hypocrite, comme s'ils me traitaient avec condescendance, moi, la petite princesse si simple qu’elle ne peut même pas suivre une conversation.

« À propos de la chasse. Est-ce que vous l'appréciez ? » dit-il en observant mon visage.

Je mets mes mains sur mes genoux, enfonçant mes ongles dans ma paume.

« Je ne suis jamais allée à la chasse », j'avoue.

« Jamais ? » reprend-il. « C'est gênant qu'une personne de mon rang n'y ait jamais participé. Choquant même. »

« La Princesse est trop précieuse pour prendre des risques avec de telles activités », lance mon frère sans attendre.

« Si elle devait être blessée... »

« Voulez-vous y aller ? Chasser un cerf est une chose excitante », dit Vesak.

Je regarde mon frère puis détourne le regard.

« Si l'occasion m'était offerte dans de bonnes circonstances, je ne refuserais pas, mais je respecte la volonté de mon frère qui veut me protéger, me garder en sécurité. »

J'ai été diplomatique, car nous savons tous que ce n'est pas par souci de mon bien-être.

Tout le monde sourit. Apparemment, je les ai satisfaits, et même mon frère esquisse un léger sourire.

Je me dis qu’il faut que je suive davantage la conversation.

Je ne veux pas me faire surprendre à nouveau et j'en ai marre que tout le monde me prenne pour une sotte, juste un joli visage à regarder, sans cerveau, sans opinion, sans rien d’autre à apporter que ce qui se trouve entre mes cuisses.

Lorsque finalement le repas est terminé et qu'Emet hoche la tête pour m’autoriser à me retirer, je me glisse hors de la pièce avec mes gardes qui me suivent comme mon ombre et je retourne rapidement dans la solitude relative de ma chambre.

Je ferme la porte, j’ai envie de hurler, et, soudain, les larmes coulent sur mon visage.

Je défais brutalement mes tresses. J'ai envie d’arracher ma robe aussi, mais comme elle est faite, je ne peux pas l'enlever, et je me sens coincée dedans, emprisonnée, ligotée comme une dinde.

J'entends le tonnerre qui gronde dehors. Les éclairs transpercent le ciel et la pluie tombe violemment.

C'est comme si les dieux eux-mêmes ressentaient ma douleur, comme s'ils montraient eux aussi leur fureur face à tout cela, mais je sais que ce n'est pas vrai.

Je sais que je l'imagine.

Les dieux ne me sauveront pas. Personne ne me sauvera. C'est mon avenir, ma vie.

Je serai toujours une fille en costume de princesse, pas considérée pour ce qu’elle est, juste désirée pour son sang et les profits que l’on peut en tirer.

Au moment où la servante arrive, mes larmes ont disparu, mon visage est stoïque.

Je suis la princesse parfaite et obéissante que mon frère veut que je sois à nouveau.

Et demain, le concours pour savoir qui aura le droit de me posséder commencera.

***

Nous sommes dans les tribunes.

Les rideaux de soie qui nous entourent ne sont pas très efficaces pour nous protéger du vent encore fort de la tempête.

Dans l'arène en contrebas, mes prétendants sont tous debout, parés de leurs plus belles armures, se pavanant, se montrant.

Si ce n'était pas si sérieux, je pense que je pourrais rire des fanfaronnades de tous ces hommes. On dirait des paons, exhibant leurs couleurs, leurs queues, déterminés à être les meilleurs.

Mon frère observe chacun d'eux, un petit rictus sur les lèvres. Je pense que tout cela l'amuse aussi. À côté de lui, Cali s'appuie sur le bras de son trône. Elle s'ennuie déjà.

La servante m'a dit que la nuit dernière, elle l'a tellement agacé qu'il l'a fait envoyer au lit.

Et je les ai entendus toute la nuit, lui qui la baisait et elle avec ses cris affreux.

« Assieds-toi », grogne Emet. Elle s’exécute immédiatement.

Elle l'agace. Il veut se présenter comme un roi, le plus grand des rois, et elle s’étale toujours sur lui sans aucune décence, en toute tranquillité.

Je suis debout, uniquement parce que je ne peux pas supporter de m'asseoir à côté de mon frère une minute de plus. Je ne regarde pas vraiment les hommes en bas. Mon attention se porte sur les montagnes qui serpentent dans le paysage. Elles m’attirent, m’appellent.

Dans ma naïveté, je crois parfois que si je peux les atteindre, si je peux aller aussi loin, je serai en sécurité.

Emet vient se placer à côté de moi et son bras se pose à côté du mien.

Dans sa cape de fourrure, il a probablement bien chaud, mais moi, la robe que je porte ne me protège guère. Mais je suis belle et je suppose que c'est tout ce qui compte.

« Aujourd'hui, vous aurez dix minutes avec chacun d'eux », dit-il tranquillement.

« Ce n'est pas une occasion pour vous de choisir, comprenez-vous cela ? »

« Oui », dis-je, en baissant les yeux.

« Nous allons leur accorder un bref moment, pour leur permettre de voir le prix avant que je prenne ma décision. »

J'acquiesce.

Je suis donc vraiment devenue un prix maintenant. Quel connard.

« Manox sera dans la pièce pendant tout ce temps », dit-il. Je ne réagis pas. Je suis heureuse que ce soit Manox et pas quelqu'un d'autre.

Je me sens plus en sécurité avec lui, même si je n'ai aucune raison de l'être. Il me fait moins penser à un vautour, moins à un serpent prêt à attaquer.

Le bruit des épées attire l'attention d'Emet et nous regardons les six hommes qui font semblant de se battre, montrant leur maîtrise des épées contre les six soldats de l'armée d'Emet.

Il reste debout à côté de moi pendant un long moment avant de se lasser et de se rasseoir sur son trône.

Une fois le combat terminé, Emet leur demande de parader sur leurs chevaux.

Je pense que c'est un jeu. Il se moque de ces hommes, mais ils ne le voient pas. Tout ce qu'ils voient, c'est moi.

Pour la suite de l’après-midi, il a organisé une course à travers les plaines.

Nous prenons tous place et regardons comment ils éperonnent leurs chevaux, comment ils galopent aussi vite qu'ils peuvent, prêts à tout pour prouver qu'ils sont dignes, qu'ils sont les meilleurs, qu'ils méritent de gagner.

Un chef de guerre gagne de quelques mètres.

Il s'appelle Tonath, je crois.

Nos regards se croisent et un frisson me parcourt le dos.

Je pense que c'est lui que je crains le plus, bien qu'en vérité, tous ces hommes me fassent peur. C'est le plus grand d’entre eux. Sa présence éclipse tous ceux qui l'entourent, même mon frère.

Quand je le regarde, mon sang se glace et mon souffle se coupe, comme si mon corps essayait de me transmettre une sorte de message que je ne peux pas comprendre.

Et même si je le comprenais, ça ne ferait aucune différence. Si Emet le choisit, je serai forcée de l'épouser, forcée de le baiser aussi quand le moment sera venu.

Mon frère les rencontre ensuite chacun leur tour.

Personne d'autre n'est dans la pièce. Personne d'autre ne peut entendre ce qui est dit. Je sais que mon frère négocie avec eux, pour savoir ce qu'ils sont prêts à payer.

C'est ici que se déroule le vrai concours, pas dans le faux combat, pas sur les chevaux, ni même dans le grand tournoi qu'il a prévu pour demain.

Ils parlent si longtemps que tout le monde au festin les attend.

Nous sommes assis patiemment, regardant la nourriture refroidir. Personne n'ose manger, ni même boire, jusqu'à ce qu'Emet soit là.

Il est avec un chef de guerre appelé Luxley et apparemment ce qu'il a à dire est d'une grande importance, assez pour snober toute la cour.

Je peux sentir les cinq autres prétendants m'observer bien que je ne lève pas les yeux.

Je ne fais rien.

Je reste assise là, tolérant leurs regards, jouant la princesse parfaite alors qu'à l'intérieur, je me noie dans le désespoir.

Quand Emet entre enfin, tout le monde se lève rapidement et s'incline.

Il les salue avec un sourire en coin et ses yeux trouvent les miens. Je lutte si fort pour cacher le tremblement qui parcourt tout mon corps. Il est triomphant. Ce qui s’est dit entre lui et ce Luxley l'a rendu heureux.

Il est assis à côté de moi ce soir, jouant la comédie de l’amour fraternel.

Peut-être qu'hier mes commentaires l'ont mis mal à l'aise et aujourd'hui il veut contrôler la conversation, s'assurant que je ne révèle pas d'autres faits honteux sur mon existence et sa soi-disant protection.

Emet fait signe à tout le monde de manger et personne n'hésite. Le son du métal s'entrechoquant contre la céramique résonne et une explosion de bavardages remplit la salle.

Emet ne m'adresse pas la parole.

Il discute avec les gens autour de nous et je me concentre sur ma viande froide qui aurait été délicieuse si elle avait été chaude. Lorsque le premier plat est terminé, Emet fait un signe de tête à un serviteur et la double porte s’ouvre.

Des danseurs surgissent dans la pièce.

Ils se balancent et tournent, tout le monde les regarde. Ils sont magnifiques. Chaque couple est composé d'un homme et d'une femme, dansant à l'unisson parfait. Je n'ai jamais vu un tel spectacle.

Il est clair qu'Emet met tout en œuvre pour séduire ces hommes, pour attirer le bon afin qu'il rejoigne sa cause.

Je sens un regard posé sur moi et le seul homme qui ne regarde pas les danseurs est Tonath.

Il me dévisage au moment où je le regarde et je me sens rougir avant de tourner la tête.

Les desserts sont servis et Emet sort le grand jeu en me servant un gâteau.

Il joue vraiment le rôle du frère attentionné ce soir et les nouveaux venus dans cette cour auraient du mal à ne pas le croire.

Je mange, non pas parce que j’en ai envie, mais parce que je ne peux pas l‘offenser. Je connais trop bien les conséquences.

Le gâteau se coince dans ma gorge et je dois lutter pour ne pas m'étouffer.

Lorsque le festin est terminé, il se lève et tout le monde se lève.

Il leur souhaite bonne nuit et sort encore le grand jeu en me raccompagnant.

Je réalise que c’est le moment. Mon audience avec chacun de ces hommes est sur le point de commencer.

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