Le résultat du vote était sans appel : dix contre deux. Seules deux personnes ont voté pour que je prenne la place de mon père. Deux.
Visiblement, je ne suis pas à la hauteur pour diriger l'entreprise, et ce vieux bougre se contente de garder les rênes. Ses idées sont d'un autre temps et ses méthodes ne font plus leurs preuves.
Si nous dégageons encore des bénéfices, c'est uniquement grâce à mon travail acharné sur tous les nouveaux systèmes qu'utilise maintenant Knight Industries.
Les nouveaux uniformes plus confortables, les réservations par téléphone pour nos hôtels, le service client 24h/24 - j'ai même créé de nouveaux emplois. Mais comme je suis vu comme le mouton noir de la ville, je ne peux pas être le visage de Knight Industries.
Curieusement, Brad - mon père - n'a pas pris part au vote. Il se fiche de ces broutilles, mais je peux voir ce petit sourire narquois sur son visage à chaque fois qu'un de ces votes tourne en ma défaveur.
Mais cette fois, ça ne se passera pas comme ça.
J'ai trois mois pour redorer mon blason et prouver que je suis taillé pour ce boulot. Le hic, c'est de trouver la meilleure façon d'y arriver.
Arrêter complètement de sortir n'est pas vraiment envisageable. Les gens comprendront que j'essaie d'éviter les ennuis, mais ça ne prouvera pas que je ne recommencerai pas dès que j'aurai les commandes de l'entreprise.
Me trouver de meilleures fréquentations semble terriblement ennuyeux car la plupart des gosses de riches comme moi cherchent toujours à en mettre plein la vue. Ce n'est pas mon truc. Je veux m'amuser.
Un des gardes qui m'assiste entre dans la salle de réunion alors que le dernier cadre sort, attendant que la porte se ferme.
Je le regarde, fronçant les sourcils devant son air grave. Je sais que Jonah me dira la vérité, même si je me doute déjà de ce qu'il va dire.
« Je pense que c'est ta cuite d'hier soir et la fille que tu as sautée sur la table de billard du bar qui t'ont coulé. »
Tu vois ? Franc du collier.
Pour être honnête, Jonah a raison. C'est mon comportement débridé qui me cause des soucis. Personne ne veut d'un célibataire endurci à la tête de la plus grande entreprise du pays et je comprends ça - mais on est au vingt-et-unième siècle, bon sang.
Les temps ont changé. Les gens devraient se décoincer un peu.
Et la première chose que je vais faire, c'est me débarrasser des vieux croûtons qui dirigent cette boîte. N'ont-ils jamais entendu parler d'un groupe de personnes de mon âge aux manettes ? Certes, on n'est pas au tribunal, mais ça y ressemblait comme deux gouttes d'eau il y a quelques minutes.
« Xavi, qu'est-ce que tu comptes faire ? Ils se réunissent à nouveau dans quatre-vingt-dix jours, non ? »
Je hoche la tête. « Je ne sais pas. Il n'y a pas trente-six solutions et je ne peux pas arrêter de sortir. J'en crèverais. »
L'idée de me terrer dans ma chambre et de jouer aux jeux vidéo pendant les trois prochains mois comme mon petit frère me file le cafard. Il est très doué et c'est lui que tout le monde voit reprendre les rênes à la fin. Pas question.
« Tu as besoin de quelque chose pour changer la façon dont les gens te perçoivent. Ou plutôt quelqu'un. »
« Qu'est-ce que tu racontes, bordel ? »
« Tu n'as pas la langue dans ta poche. Mais mets une personne très gentille à côté de toi ? Tu auras l'air d'avoir bon fond. Ne me regarde pas comme ça, tu sais que j'ai raison. Ce dont tu as besoin, ce n'est pas un autre plan. Tu as besoin d'une femme. »
« Va te faire voir », dis-je avec colère. Il n'y aura pas de putain de mariage dans ma vie. J'ai déjà tiré un trait là-dessus quand j'ai vu ma mère quitter la vie de Brad parce que la célébrité était trop pour elle. Je préfère être seul.
« Tu n'as pas le choix, Xavi. Si tu as une meilleure idée, je t'écoute, mais il y a un paquet de filles là-dehors qui rêveraient d'être ta femme. Il faut juste trouver la bonne. »
Jonah sourit, le regard dans ses yeux m'agaçant. « Ou parle à cette fille que tu vas voir. »
Mon visage se décompose car je ne pensais vraiment pas que Jonah était au courant.
« Tu as le sourire aux lèvres parfois, surtout les soirs où tu vas la voir. Tu ne sais toujours pas qui elle est ? »
Je secoue la tête. C'est une partie du deal. On se retrouve, on baise, on se casse. Les lumières sont tamisées, les masques sont mis, et on ne parle pas.
C'est une façon dingue de vivre mais j'adore ça.
Et je n'ai pas à supporter les stupides bavardages que toutes les autres filles me font subir... sans parler de ses seins de rêve. J'adorerais pouvoir dormir à côté d'eux une nuit, mais ce n'est pas le deal.
Se retrouver. Baiser. Partir.
J'en ai ma claque.
Je suis allongée sur mon lit, lasse et quelque peu ennuyée. Je fredonne distraitement en accompagnant une chanson à la radio intitulée « Why Can't We Be Friends ».
Mon esprit est en ébullition. Mon père m'a appelée à trois reprises. Il insiste encore pour organiser une rencontre avec Riley.
Je le rappellerai plus tard, mais je n'ai guère envie de flâner sur la plage avec Riley ni de prendre un café en sa compagnie.
Cela finira par se produire, et Riley me fera sans doute sa demande en mariage, mais je souhaite repousser cette échéance autant que possible.
Mon portable sonne à côté de ma tête. Je me tourne pour voir qui appelle.
Je sais qui c'est, mais je n'ai pas enregistré le numéro. Je ne suis pas censée le faire. Je décroche et souris en entendant sa voix grave. « Salut, ma belle. On se voit ce soir ? »
Sa voix me fait fondre. Je repense aux nuits torrides que nous avons partagées.
Je n'ai jamais vu son visage. Nous nous sommes rencontrés sur une application où les gens ne montrent pas leur visage. Nous avons commencé à nous voir de temps à autre pour des galipettes. J'attends toujours ces moments avec impatience. D'habitude, je ne demande pas à le voir, mais je ne refuse jamais.
La façon dont il me tient me fait un bien fou. Je n'ai jamais ressenti cela avec personne d'autre.
« Ouais, je suis libre. Où ça ? »
Nous parlons toujours brièvement et simplement, juste du lieu et de l'heure du rendez-vous. Parfois, j'aimerais que nous discutions davantage, mais il ne peut pas être mon petit ami, et je ne peux pas avoir de relation parce que je veux partir.
« Hôtel sur la cinquième. 22 heures. »
Je me fige. « L'hôtel Knight ? » C'est un endroit chic, mais c'est cher et beaucoup de gens que je connais y vont. Si j'y vais, les gens vont jaser. Je ne peux pas laisser cela arriver. Personne ne doit savoir.
« Non, ma belle. Pas celui-là. C'est trop en vue. Celui plus bas dans la rue, au coin avec les enseignes lumineuses. »
Je me détends et pose ma main sur ma poitrine. « D'accord. J'y serai. »
Je pense encore à sa belle voix quand je réalise que 22 heures, c'est dans moins de vingt minutes. « Attends... »
« J'ai besoin de toi. » Il a l'air bouleversé, mais pas de manière sexuelle.
Nous ne parlons généralement pas de sentiments, et je sais que je devrais dire non, mais je lui dis que je viens après qu'il m'ait donné le numéro de chambre. Je raccroche. Je vais prendre une douche rapide et enfiler un pantalon confortable.
Un bon côté de cette situation, c'est que les vêtements n'ont pas d'importance puisqu'il ne peut pas les voir et qu'ils ne font pas long feu. Je le regretterai sûrement demain matin, mais pour l'instant, je crois que j'ai autant besoin de lui qu'il a besoin de moi.
