
L'eau s'agitait violemment autour de mon bateau. Ce n'était pas qu'une simple houle ; quelque chose rôdait sous la surface.
Je saisis les rames et tentai de regagner le rivage. Tandis que je ramais, l'eau sous moi s'assombrit brusquement. Soudain, je poussai un cri en voyant un énorme serpent surgir des flots et se dresser au-dessus de moi.
La tête verte et rouge du monstre s'éleva, son long cou semblant interminable. Sa gueule béante, hérissée de crocs acérés, obscurcit le soleil.
Je tombai au fond du bateau, les jambes sur le banc, lâchant une des rames. J'essayai de la rattraper alors qu'elle glissait du tolet, mais elle tomba à l'eau et s'éloigna. Je tirai l'autre à l'intérieur.
Je me tournai lentement vers la bête colossale. Nous nous fixâmes, immobiles. Un clapotis retentit près de moi, et quelque chose racla le fond du bateau, me glaçant le sang.
J'étais en danger, et je n'étais pas une de ces demoiselles en détresse dont on parlait au village. Aucun prince ou chevalier ne viendrait me sauver. Pas dans mon histoire.
Non, j'étais une inconnue qui n'avait jamais rien vécu d'excitant, et maintenant un monstre marin allait me dévorer. Une fin palpitante pour une vie autrement banale.
La situation n'avait rien de drôle tandis que je fixais la gueule affamée de la créature qui serait le seul témoin de ma mort.
Ces crocs pointés vers moi, cette gueule humide grande ouverte, prête à mordre. Ses yeux d'un noir profond me fixaient, voyant en moi une proie facile. J'étais trop terrifiée pour crier lorsqu'il recula puis s'élança. Mon cœur sembla s'arrêter et...
Un éclair noir et vert jaillit des vagues et attaqua la bête.
C'était une autre créature, avec de longs cheveux noirs flottant derrière son buste humanoïde vert. Des nageoires ornaient son corps puissant, terminé par une longue queue verte et lisse, parfaite pour se mouvoir sous l'eau.
J'aperçus tout cela en un instant, les trois mètres de cette créature stupéfiante.
Une créature armée d'un harpon.
Le serpent de mer recula sa tête alors que le harpon lui entaillait l'œil. Un hurlement assourdissant s'échappa de sa gueule béante, sa queue fouettant furieusement la mer sous l'effet de la douleur.
Ce mouvement créa de grosses vagues qui poussèrent ma frêle embarcation plus loin au large.
La créature marine humanoïde bondit à nouveau hors des flots. Cette fois, le harpon se planta entre les yeux du serpent.
Un dernier cri déchirant secoua les eaux. L'immense corps du monstre s'abattit sur les vagues. Le choc fit tanguer violemment mon bateau instable encore et encore tandis que le monstre sombrait.
Alors que la mer se calmait enfin, la queue du monstre, dans un ultime assaut, surgit et frappa le haut du bateau. Le bois vola en éclats autour de moi.
Je tombai à l'eau, mes appels à l'aide se perdant en bulles.
Mes jambes battaient et mes bras s'agitaient. J'utilisai toutes mes forces, mais le courant était trop fort. Je ne pouvais lutter contre l'aspiration du corps gigantesque du serpent qui sombrait en entraînant tout avec lui.
L'air manquait dans mes poumons douloureux. La lumière s'estompait tandis que mon corps épuisé s'enfonçait dans les profondeurs, et au moment où ma bouche s'ouvrit pour inspirer l'eau, quelque chose de dur me heurta.
L'instant d'après, ma tête émergea des vagues. Je toussai, crachai de l'eau et respirai profondément. Mes bras s'agitaient sous l'assaut des grosses vagues, mais des bras puissants me maintenaient contre un corps dur, gardant ma tête hors de l'eau.
J'ouvris les yeux malgré l'eau de mer sur mon visage pour voir le profil de la créature qui m'avait sauvée. Je retins mon souffle un instant, mais pas de peur.
Il n'avait pas le visage des monstres effrayants dont j'avais entendu parler.
Au contraire, son visage ne différait en rien de celui d'un homme. Si cet homme était exceptionnellement beau. Il avait le visage d'un homme qui ferait tourner la tête de n'importe quelle fille, avec des traits ciselés qui exprimaient force et puissance.
Mais ce n'était pas un homme. Il était bien plus que ce qu'un homme pourrait jamais espérer être.
De longues oreilles palmées dépassaient de ses cheveux noirs et ondulés. Sa peau claire avait un léger reflet verdâtre. Trois fentes sur les côtés de son cou ressemblaient à des branchies. Les mains qui me tenaient serrée avaient des ongles acérés et une peau palmée entre les doigts.
Dans les instants avant que nous n'entrions dans une grotte marine, je souris. J'avais enfin l'occasion de rencontrer l'une de ces créatures et de prouver que les histoires étaient fausses. Mon sourire s'élargit quand je réalisai que j'avais une histoire à raconter.
J'avais failli être dévorée par un monstre marin. Puis j'avais été sauvée par un beau héros triton.
Peut-être aurais-je droit à ma fin heureuse, moi aussi.