Adelina Jaden
Livre 1 : Lune Volée
ANTIOPE
« Papa ! »
Je fais irruption dans la Maison de la Meute pour trouver mon père tranquillement attablé pour le petit-déjeuner, entouré de ma mère et d'autres membres de la meute.
« Bonjour Antiope », dit-il posément.
« Tu vas vraiment rester là comme si de rien n'était ? » Je m'exclame, agitant sous son nez le papier que je viens de recevoir.
Il s'essuie la bouche avec sa serviette, se lève, embrasse ma mère sur la joue et me fait signe de le suivre dans son bureau.
Le reste de la meute observe la scène. Ce n'est pas la première fois que mon père et moi nous accrochons ainsi.
Je le suis, bouillonnante. Ça m'agace qu'il en fasse une discussion officielle, comme si j'étais juste un autre membre de la meute et non sa fille.
Une fois la porte fermée, il croise les mains dans son dos et se tourne vers moi. Ses yeux verts plongent dans les miens, plus sombres.
En le regardant, je constate une fois de plus à quel point nous sommes différents. Ses cheveux blonds commencent à grisonner et il a un visage fin. Moi, je tiens de ma mère méditerranéenne, avec des cheveux foncés et des formes généreuses.
Je me dis que sans mes entraînements intensifs, deux fois plus poussés que ceux de nos guerriers, je serais encore plus ronde.
« Tu ne vas pas hurler comme ça dans la Maison de la Meute, Antiope. »
« Attends, on est des loups-garous, non ? On a toujours un animal sauvage dans notre tête. »
« Tout à fait », approuve Maximo, mon loup.
« Ce n'est pas une excuse. » Mon père coupe court au débat.
« Par contre, c'est correct pour toi de m'inscrire à des trucs que je ne veux pas faire », je rétorque, refusant de le laisser changer de sujet.
« Je croyais que tu voulais prendre ma place de bêta ? »
« En quoi la chasse aux compagnons a un rapport avec ça ? »
« Évidemment que ça a un rapport ! »
« Qu'attends-tu de moi, Papa ? »
« Je ne te céderai pas mon poste ni ne te recommanderai tant que tu ne seras pas accouplée. »
« Tu n'étais pas accouplé quand tu es devenu bêta ! » Je m'exclame, exaspérée.
« C'était différent. » Il hausse un sourcil. « J'étais— »
« —un mâle. » Je termine sa phrase.
Il va à la fenêtre et me tourne le dos. Il me tourne vraiment le dos ! J'ai envie de lever les yeux au ciel tellement je suis énervée.
Ma relation avec mon père est plutôt tendue.
Il est très déçu que je ne sois pas devenue la fille docile qu'il espérait, celle qui a hâte de rencontrer son compagnon et de le servir pour toujours.
J'ai peut-être l'apparence de ma mère, mais je n'ai aucune envie de passer mes journées à cuisiner, faire la lessive ou satisfaire les moindres désirs de mon père.
Je ne juge pas ma mère. C'est ce qu'elle voulait faire et elle est heureuse comme ça. Mais ça ne veut pas dire que je dois être contente d'être sous la protection d'un mâle.
J'ai tout fait dans ma vie pour ne pas avoir besoin qu'un mâle s'occupe de moi.
« Tu as vingt-sept ans. Tu n'es plus une gamine, Antiope. Tu es plus que ça. D'autres femelles de ton âge sont déjà accouplées et ont des enfants maintenant. »
« Tant mieux pour elles. » J'essaie de garder mon calme. « Moi, je veux être bêta comme mon père. »
« Ce n'est pas... »
« Je sais qu'il n'y a pas de bêtas ou d'alphas femelles dans les meutes du nord, mais ça ne veut pas dire que c'est impossible. »
Mon père se retourne pour me regarder par-dessus son épaule. Il a l'air grave. Il a toujours l'air grave. Je tiens ça de lui.
« Je suis d'accord. Mais j'ai besoin de savoir que quelqu'un veillera toujours sur toi. Tu dois trouver un compagnon.
Et puisque ton compagnon destiné n'est pas parmi nous ou les meutes voisines, tu participeras à la chasse aux compagnons. »
« Est-ce que j'ai le choix ? »
« Bien sûr que oui. » Il s'approche et pose ses mains sur mes épaules.
Je remarque cependant qu'il garde ses distances. Il prend très au sérieux son rôle de bêta dans la plus grande meute d'Amérique du Nord, et il est doué pour ça.
Mais en tant que père... Il ne sait pas comment agir normalement, même pas avec Celia, sa chouchoute, ma petite sœur.
Elle ? Elle lui ressemble comme deux gouttes d'eau et se comporte comme notre mère. C'est une fille délicate et élégante qui rêve de trouver son compagnon et de lui faire à manger toute la journée, et mon père ne pourrait pas être plus fier.
Je souris. J'adore Celia. Je l'aime parce qu'elle a cette âme insouciante, douce et innocente, et j'ai toujours envie de la protéger.
Le fait que mon père l'aime clairement plus que moi ne nous a pas brouillées parce que je ne peux pas m'empêcher d'aimer ma sœur.
Son futur compagnon a beaucoup de chance et ne le sait pas encore.
« Euh, on était en colère il y a deux secondes », dit Maximo. Comme l'Amazone dont elle porte le nom, elle est toujours partante pour une bonne bagarre.
C'est vrai. Je dois m'occuper de mon père.
« Très bien. » J'acquiesce. « Puisque tu me laisses le choix, je choisis de ne pas aller à la chasse aux compagnons. »
« D'accord. » Mon père lâche mes épaules. « Si c'est ta décision, tu peux la prendre. Mais je ne changerai pas d'avis, Antiope. Sans compagnon, je refuserai de te céder mon poste. »
Je serre les dents, mais je ravale ma colère. Mon père n'aime pas quand je montre trop d'émotion, et ça ne m'aidera pas.
« Je peux être une excellente bêta, Papa. Je ne veux pas avoir de compagnon ni m'occuper de louveteaux. Je veux diriger, et je dirigerai mieux si je me concentre uniquement sur notre meute. »
Mon père a l'air agacé un instant.
Il veut des petits-enfants de moi et de ma douce sœur Celia, dix-huit ans.
Même si Celia est plus d'accord avec ça. Elle voyage maintenant dans le monde, essayant de trouver son compagnon comme notre mère l'a fait quand elle a fini avec M. Grincheux ici.
Du calme.
Je respire par le nez. Je pense que les gens qui ont inventé la méditation l'ont fait parce que tuer son père est mal et qu'ils devaient gérer leurs pères autoritaires d'une manière ou d'une autre.
Et j'expire.
« En plus », je dis, essayant de détendre l'atmosphère, « tu es encore trop jeune pour être grand-père. »
Il me lance un regard noir, et j'avale ma salive. On n'aime pas trop l'humour dans notre famille.
Maman et Celia sont douces et Papa est strict, et c'est tout ce qui est autorisé chez les Everstone. Tout le reste n'est pas drôle.
« Je me suis bien fait comprendre, Antiope ! Trouve un compagnon, ou je ne ferai jamais de toi une bêta ! »
Il a été choqué quand j'ai demandé à aller à l'Académie des Bêtas après le lycée.
Je suis sûre qu'il ne m'aurait jamais laissée y aller s'il n'avait pas secrètement espéré que peut-être mon compagnon s'y trouvait, ou que je choisirais un bêta costaud à la place.
Rien de tout ça ne s'est produit.
Au lieu de ça, j'ai cartonné, finissant première de ma promo et recevant les félicitations du roi alpha en personne.
Pour la première bêta femelle de l'histoire de l'Académie, je me suis plutôt bien débrouillée. Mais mon père n'a jamais dit qu'il était fier de ça.
Les mâles qui me regardaient de haut au début me respectent maintenant, mais mon propre père ne me fait même pas un signe de tête approbateur !
« Je suis une bêta ! » Je suis vraiment en rogne maintenant.
Désolée, les gurus de la méditation.
« Je suis la meilleure bêta des États-Unis, mais tes idées d'un autre temps me freinent. C'est ça ? Tu es un mâle à l'ancienne qui aime les femmes aux fourneaux ? Ou c'est plus que ça ? »
« Antiope », dit-il doucement, m'avertissant, mais je suis trop remontée pour m'arrêter.
« C'est parce que j'ai fini major de promo— »
« Antiope. »
« —et pas toi ? »
« Antiope ! »
Je m'arrête net quand j'entends mon père si en colère. Il montre rarement sa colère, mais là, il me fusille du regard, les yeux flamboyants.
Je comprends tout de suite qu'il ne changera jamais d'avis.
Je dois prendre mes propres décisions. Je parlerai au roi alpha. Je défierai même mon propre père pour le poste s'il le faut.
« Tu iras à la chasse aux compagnons », ordonne-t-il.
« Je n'irai pas. »
« Ceci »—il pointe le papier que je tiens toujours—« est une invitation officielle du roi alpha en personne. Tu ne lui manqueras pas de respect et ne saliras pas mon nom. Tu iras. Si tu trouves ton compagnon et choisis de l'ignorer ou de le rejeter, prépare-toi à en assumer les conséquences. »
« Très bien ! » je lance, et je tourne les talons.
Je file directement dans ma chambre et claque la porte. Je me jette sur mon lit et hurle toute ma frustration dans mon oreiller.
J'irai à cette fichue chasse aux compagnons rien que pour m'éloigner de mon père.