
« Alors, pourquoi êtes-vous seul sur ce bateau ? » demandai-je.
« À vous l'honneur », répondit Jean-Pierre.
« Ma mère fête ses cinquante ans et nous a tous forcés à faire cette croisière », expliquai-je.
« Et vous n'êtes pas avec eux ? » s'étonna-t-il.
« Pas question ! »
« Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais la famille, c'est important. Vous devriez profiter de ces moments ensemble », dit-il.
« Ma famille est différente. Ma mère ramène toujours tout à elle. Je ne peux même pas être moi-même à la maison car ça ne colle pas à son image de la perfection. »
J'étais agacé. Il y a une minute, ce bel homme me faisait du charme, et maintenant on parlait encore de ma mère !
« Venez prendre un verre avec moi », proposa Jean-Pierre en me tendant la main pour m'aider à me lever.
« Pourquoi je ferais ça ? » demandai-je, tout en prenant sa main malgré tout.
« Parce que vous avez envie de voir ce qui va se passer », dit-il avec un sourire en coin.
Je m'imaginai soudain dans ses bras musclés et tatoués...
« Un seul verre », dis-je en levant un doigt. Je n'avais jamais rien fait de tel avant. J'étais un étudiant en économie, avec peu d'expérience côté cœur.
Jean-Pierre occupait la plus grande suite du navire. Ce matin, je l'avais aperçu sur son balcon privé, aussi grand que ma cabine entière.
Il me servit le verre promis depuis le grand bar de sa chambre. Son assistant personnel nous apporta aussi des huîtres.
« Qui êtes-vous ? » demandai-je en observant la pièce sans gêne.
« Si je vous le dis, vous allez essayer de comprendre ? »
« Qu'est-ce que ça veut dire ? Vous êtes une sorte de criminel ? »
« Pire », dit-il en riant. « Je suis l'héritier du trône d'Anchy, un petit pays entre la France et la Belgique. »
« Vous êtes un prince ?! »
« En effet », confirma-t-il en levant les mains.
« Mais... Je croyais... Je suis... Comment vous savez que je ne suis pas dangereux ? » Quelle question idiote. Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ?
« On a vérifié les antécédents de tous les passagers et membres d'équipage », répondit-il calmement. « En plus, il y a un garde à la porte, et personne ne peut monter ou descendre de ce bateau en pleine mer. »
Une vérification des antécédents ? En savait-il plus sur moi qu'il ne le devrait ? M'avait-il repéré parce que...
« Je ne suis pas là pour votre bon plaisir », lançai-je avec colère avant de quitter sa chambre en claquant la porte.
Malgré ma sortie théâtrale, j'étais maintenant curieux des affirmations de Jean-Pierre. Une rapide recherche en ligne confirma qu'il disait vrai.
Son père régnait sur Anchy et sa mère était la fille de Lionel Marco, ancien président français. Son frère jumeau était mort dans un accident d'avion six ans plus tôt. C'était sûrement pour ça qu'il m'avait conseillé de chérir ma famille.
Rien n'indiquait qu'il était en couple, et encore moins gay. Je réalisai qu'il était peut-être encore plus prisonnier que moi.
Allongé sur mon lit à fixer le plafond, je commençai à me prendre la tête. Même s'il en savait plus sur moi que l'inverse, c'était un prince !
Étais-je censé être son coup d'un soir pendant la croisière ? Pourquoi était-il si sûr que j'accepterais ? Était-il simplement habitué à obtenir ce qu'il voulait, comme tous les puissants ?
D'un autre côté, pourquoi je résistais à ses avances ? Par principe ? S'il ne m'avait pas révélé son identité, j'aurais probablement fini dans son lit.
« Pourquoi moi ? » demandai-je en m'asseyant à la table de Jean-Pierre dans le restaurant chic.
Seuls quelques passagers avaient accès à cet espace VIP. Sans l'intervention de l'assistant de Jean-Pierre, je n'aurais jamais passé le contrôle à l'entrée.
Il but une gorgée de vin en m'observant attentivement. Il ne s'attendait visiblement pas à me revoir après mon comportement plus tôt.
« Parce que vous vous intéressiez à moi sans connaître mon identité », dit-il simplement. « Vous ne pensiez quand même pas que j'avais orchestré notre rencontre ? »
Je laissai échapper un soupir de soulagement.
« Recommençons à zéro », proposai-je en tendant la main. « Killian, enchanté. »
« Jean-Pierre. Ravi de vous rencontrer », dit-il en souriant. Il fit un léger signe à son assistant pour qu'il m'apporte un verre de vin.
« Pourquoi vous faites cette croisière seul ? » demandai-je en sirotant mon verre. Wow, c'était délicieux !
« J'étais aux États-Unis pour visiter des universités où poursuivre mes études. »
Je fronçai les sourcils, perplexe. « Et vous rentrez en bateau ? »
« C'est le moyen le plus rapide de traverser l'Atlantique sans prendre l'avion. J'ai perdu mon frère dans un crash aérien et mon père ne nous autorise plus à voler. »
« Je suis désolé pour votre frère », dis-je doucement.
« Merci », répondit-il en buvant une gorgée de vin.
« Je peux vous poser une autre question ? »
« Vous venez de le faire », dit-il en souriant.
« Votre famille sait que vous êtes...? » Je n'osais pas le dire à voix haute pour une raison quelconque.
« Les personnes qui comptent savent que je suis gay », répondit-il.
« Pourquoi j'ai l'impression qu'il y a plus ? »
« Il y a toujours plus, non ? » dit-il.
Son assistant nous apporta des cocktails de crevettes. Il avait raison, ça avait l'air délicieux.
« Il est prévu qu'à la mort de mon père, je renonce à ma position pour que mon frère prenne le trône. »
« Pourquoi ? » demandai-je avant de manger une crevette.
Il me regarda, perplexe. « Eh bien, déjà, je ne peux pas avoir d'enfants. C'est primordial pour les familles royales. »
« Vous pourriez adopter ou avoir recours à une mère porteuse », dis-je, ne comprenant pas le problème.
« J'aimerais que la royauté européenne pense comme vous », soupira-t-il.
« En fait, je suis un peu hypocrite. Je n'ai jamais ramené de garçon à la maison par peur que ma mère ne punisse mon père pour ça. »
« Elle ne sait pas que vous êtes gay ? » demanda-t-il, intéressé.
« Oh, elle le sait. Mais ça ne doit pas affecter son monde parfait », répondis-je. « Ma mère souffre d'un trouble mental qui la rend égocentrique. Tout tourne toujours autour d'elle. »
« Elle est suivie médicalement ? » demanda Jean-Pierre, soudain sérieux.
« Elle pense ne pas avoir de problème et mon père la laisse faire. »
« Ça a dû être difficile de grandir dans ces conditions. Je suis sûr que ça demande beaucoup de force », dit-il sincèrement.
Ses mots me firent me sentir si compris que j'en eus presque les larmes aux yeux.
« Personne n'a jamais reconnu à quel point c'était dur », dis-je doucement.
« Je sais à quel point se sentir compris peut aider. J'ai la chance d'avoir mon frère, on peut parler de presque tout. »
« Même des hommes qui vous plaisent ? » demandai-je.
« D'accord, peut-être pas de tout », dit Jean-Pierre en riant chaleureusement.
C'est alors que mon téléphone sonna.
« T'es où ? » demanda mon père, agacé. « On est à table et ta mère s'inquiète. »
« Depuis quand Maman s'inquiète pour quelqu'un ? » lâchai-je sans réfléchir.
« Tu viens ou pas ?! » s'énerva mon père.
Jean-Pierre articula silencieusement : « Allez-y. »
Je raccrochai et lui dis : « Merci pour tout ça. »
« Vous viendrez boire un verre avec moi plus tard ? Vous n'avez jamais fini le premier. »
Où ce verre nous mènerait-il ? Un prince s'attendait-il à tout obtenir immédiatement ? Étais-je prêt pour ça ?
« Je vous retrouve dans une heure », dis-je. « Ils me laisseront monter à votre chambre ? »
« Je leur dirai de vous donner un accès total », dit-il avec un sourire coquin.
« J'ai hâte », répondis-je, essayant d'avoir l'air aussi décontracté que lui.