Je me suis relevée. Pour la première fois, j'étais plus grande que Jazmine.
Vraiment beaucoup plus grande. Elle était assez petite, mais maintenant je la dépassais largement.
« C’est quoi, ça ? » J’ai regardé ce que je croyais être mon reflet dans la grande vitre du café-restaurant. « Un loup ! » ai-je crié. J’ai couru vers la cuisine à l’arrière pour m'en éloigner.
Je pouvais entendre Jazmine courir derrière moi. En fait, je pouvais entendre chaque pas et chacune de ses respirations. Je pouvais entendre son cœur battre. Même le sang qui circulait dans mon corps. Je ne savais pas qu'il était possible d'entendre le pouls de quelqu'un comme ça. Pourquoi je ne pouvais pas aussi entendre ce loup ?
« Emma. Ça va aller. »
J'ai entendu une voix de femme juste derrière moi. Je me suis retournée mais je n’ai vu que Jazmine au loin.
J'étais sortie par la porte arrière de la cuisine. Maintenant, je me tenais plus loin dans la ruelle derrière le restaurant. C'est alors que j'ai réalisé que je n'avais plus aucun contrôle sur mon corps. C'était comme si quelqu'un d'autre commandait mes mouvements. Mon corps ne me semblait plus vraiment être le mien. Mes mains étaient par terre pour une raison qui m’échappait.
« Nous ne pouvons pas être vues ici », m’a encore dit cette voix. « Personne ne doit nous voir. Du moins, pas comme ça. »
Je ne savais pas pourquoi, mais cette voix me calmait. Je lui faisais confiance.
« Jazmine », ai-je dit à la voix. « Je dois retourner près d’elle. » Je voulais courir à ses côtés. Je devais la sauver de ce loup. Je devais l'attraper par le bras et courir.
« Ça va aller. Elle est en sécurité », m’a assuré la voix.
D'une manière ou d'une autre, je croyais cette voix. J'avais l'impression de perdre complètement la tête. J'écoutais une voix dans ma tête au lieu de retourner vers la seule personne qui comptait vraiment pour moi. J'essayais de reprendre le contrôle de mon corps pour pouvoir revenir vers Jazmine.
C'est alors que j'ai remarqué que je pouvais tout voir dans la nuit noire. Il était une heure du matin. Il n'y avait pas de lampadaires allumés, ni de voitures qui passaient, mais je pouvais voir.
Mon cœur a commencé à s'emballer et je suis tombée à terre. Je ne pouvais plus respirer. Une de mes crises de panique à un moment comme celui-ci. C'était tout ce qu'il manquait.
« Ça va aller », m’a encore dit la voix.
Elle était de retour. D'où venait cette voix ? Je ne voyais personne à proximité, et ce n'était pas la voix de Jazmine.
« Tu vas t'évanouir. »
Mes yeux se sont fermés et toutes mes inquiétudes ont disparu.
« Quand tu penses qu'elle va se réveiller ? » ai-je entendu demander la voix de Jazmine. Elle paniquait mais essayait de le cacher.
Mon nez a frémi en sentant son doux parfum. Fleurs de lys. C'était comme ça que j'imaginais toujours qu'une mère devrait sentir.
« Jaz. » Je me suis léché les lèvres. J’ai cligné des yeux. Nous étions toujours dehors, mais je ne pouvais plus voir grand-chose. Il faisait si sombre. « Où t’es ? »
J'ai essayé de m'asseoir. Il n’y avait qu’une petite couverture sur moi. Je pouvais sentir de la poussière sur mon dos nu. Mes vêtements avaient disparu. « Qu'est-ce qui est arrivé à mes vêtements ? » J’ai saisi la couverture et caché ma peau nue autant que possible.
« Em, tu te souviens de ce qui s'est passé avant que tu t'évanouisses ? » m’a demandé Jazmine en m'aidant à me lever.
Elle a arrangé la couverture autour de mon corps nu. Elle m'avait toujours dit que le noir était une belle couleur, mais je ne me sentais pas du tout belle à ce moment. Je me sentais confuse et effrayée, comme si j'avais de gros ennuis.
« Je pense... eh bien, je pense que j'ai vu un loup. » J'avais l'impression de complètement perdre la tête. « Mais ça ne peut pas être vrai. Un loup de cette taille ? Dans notre resto ? C'est impossible. »
« Ne panique pas. » Jazmine m’a frotté le bas du dos. « Je veux que tu rencontres quelqu'un. Elle t'expliquera tout. »
Une petite femme d'une trentaine d'années se tenait sur le trottoir devant le restaurant. Elle portait un tailleur avec pantalon gris foncé et un t-shirt noir. Ses cheveux étaient coupés courts au carré, avec quelques mèches plus claires dans ses cheveux châtain. Elle sentait bizarre. Non, ça ne pouvait pas être son odeur. Comment pouvais-je sentir quelqu'un d'aussi loin ?
Jazmine lui a fait signe d'entrer. Ce n'était pas l’une des amies habituelles de Jazmine, mais elles se connaissaient clairement.
« Bonjour, Emma. Je m'appelle Ann. » La femme m’a tendu sa main.
J’ai ressenti quelque chose de familier envers cette femme étrange. Même son odeur me semblait familière.
Je lui ai serré la main. « Qu’est-ce qui se passe ? » ai-je demandé. Quelque chose n'allait pas. J'avais dû faire quelque chose. Dans quels ennuis je m’étais fourrée ? Cette femme était-elle avec les services sociaux ? Non, j'avais plus de dix-huit ans à présent. Ils ne pouvaient plus rien me faire. Mon cœur commençait à s'emballer.
« Emma, tu crois au surnaturel ? » m’a demandé Ann. Elle gardait les yeux fixés sur moi, observant chacun de mes mouvements. Je sentais qu'il y avait quelque chose d'étrange avec elle et ses questions bizarres.
« Euh, oui. » Qui pose ce genre de questions ? Je savais qu'elle espérait que je dise oui. « Nous ne connaissons que 5 % des océans, donc tout est possible. » J'ai attendu qu'elle continue. Où voulait-elle en venir ?
« Bien. Avec cela en tête, est-ce que tu crois aux sorcières et aux loups-garous ? » a demandé Ann. Elle a sorti son téléphone et a pris rapidement une photo de moi. « Désolée. C'est juste une procédure que nous devons suivre avec chaque personne que nous trouvons. »
Je n'avais pas besoin de réfléchir longtemps à sa question. Des millions de personnes étudiaient la sorcellerie. « Ouais », ai-je répondu. Je n'étais pas sûre de la partie sur les loups-garous, mais j’ai attendu qu’elle continue.
« D'accord, donc tu disais que tu avais vu un loup dans le miroir derrière Jazmine ce soir ? Raconte-moi tout ce qui s'est passé. Tout ce dont tu te souviens. »
« Je pense que mon esprit me jouait peut-être des tours. Je suis assez fatiguée à cause de l'université. Ce loup était énorme », ai-je dit à la femme en repensant à ce souvenir. Les loups ne devenaient pas si grands et nous n'avions même pas de loups dans la région. Rien de tout cela n’avait de sens.
« Quoi d'autre ? »
« J'ai averti Jazmine de cette bête sauvage et j'ai couru par la porte arrière. J'ai dû lui faire peur. J'ai couru et j'ai fait une crise de panique, puis je me suis évanouie. C'est ce qui s'est passé. Je pensais avoir vu un loup, et j'ai paniqué pour rien. Les examens de fin d’année étaient durs. Je pense que c'est ce qui s'est passé. »
« C'est tout ce dont tu te souviens ? » a demandé Ann. « Tu as vu le loup puis tu t’es enfuie ? »
J’ai regardé Jazmine pour avoir du soutien. Elle a hoché la tête.
« Je pourrais jurer que je pouvais voir dans le noir et entendre bien plus de choses que je le devais. » J’ai ri en réalisant à quel point cela devait sonner ridicule. « Je pense que c’était juste l’adrénaline dans mon corps. »
« Non, Emma. Tu as vraiment vu un loup », a déclaré Ann. « Je sais que ça doit paraître fou, mais tu as vu un loup-garou. »
Alors ce n’était pas un rêve. Mais comment un loup avait-il pu entrer dans le restaurant ? « Quelqu’un l’a tué ? » ai-je demandé aux femmes devant moi. J’ai regardé autour de moi dans le restaurant. Il aurait dû y avoir des poils sur le sol, ou des empreintes, ou quelque chose si un loup était venu là. Les loups devaient avoir les pattes sales.
« Non, personne n’est autorisé à blesser ce genre de loup sans raison valable ou sans ordre de le faire », m’a expliqué Ann. Cela n’avait aucun sens. Les loups étaient dangereux. Il n’y avait pas de loi qui les protégeait à ma connaissance, sauf peut-être s’ils étaient une espèce en danger.
« Emma, cette louve-garou, c’était toi. » Jazmine a posé une main sur mon épaule.
J’ai regardé les deux femmes devant moi et j'ai commencé à rire. « Non. Je ne suis pas une louve. »
« Arrête », m’a dit Jazmine avant que je puisse argumenter davantage. Sa voix était sérieuse. C’était celle qu’elle utilisait quand j’avais des ennuis. Elle utilisait la même voix pour me faire aller à l’université. C’était ce que tout le monde appellerait une voix de maman.
« Emma, c’est vrai. Tu es une louve-garou et je suis ta louve », a dit une voix. C’était la même voix féminine qu’avant.
Je me suis retournée en cherchant la source de cette voix.
« Parle-lui », m’a encouragée Ann. « Je sais que tu peux entendre sa voix. Je vois tes yeux se voiler quand elle te parle. Parle avec ta louve. N’aie pas peur. »
« Je m’appelle Kari. Demande-moi tout ce que tu veux savoir et je te répondrai », a continué la voix.
J’ai regardé Jazmine pour obtenir de l’aide. C’est là que ça m’a frappée. Jazmine connaissait les loups-garous, et elle ne m’en avait jamais parlé.
« C’est bon », a-t-elle dit. « Parle-lui. »
« Nous allons vous laisser un peu d’intimité. » Ann a posé une main sur un bras de Jazmine. Elles se sont dirigées toutes les deux vers l’arrière du restaurant.
J’ai réfléchi un instant. « Alors je ne suis pas folle ? » ai-je demandé à la voix.
Elle a ri. « Bien sûr que non. Tu as déjà vu en quoi tu t’es transformée. Tu as toutes les preuves dont tu as besoin. C’est le reste du monde qui ne comprend pas. Tout ce qui s’est passé est bien réel », a expliqué Kari. « Tu as juste besoin de temps pour assimiler toute la situation. »
« Pourquoi j’ai obtenu ma louve maintenant ? Comment j’ai pu ignorer tout ça ? » ai-je voulu savoir. « Les gens obtiennent leur loup de manière aléatoire ? J’ai tellement de questions. »
Kari a soupiré. « Je sais que tu t’es efforcée d’avoir de bonnes notes et de travailler dur. Peut-être que c’est en partie pour cette raison que tu es en retard dans ton développement. Ou peut-être que la Déesse de la Lune a des projets pour toi. C’est difficile pour ceux qui ne sont pas élevés dans une meute. Tu n’as pas appris ni développé tes sens comme tu l’aurais dû. Un loup-garou est censé obtenir son loup le jour de ses dix-huit ans. Certains adolescents reçoivent leur loup dès seize ans. Il y a de rares occasions où certains obtiennent leur loup tardivement. »
J’ai repensé à ma transformation. Cela s’était produit quand j’avais su que j’avais le week-end de libre. J’avais commencé à me détendre. Peut-être que c’était cela le problème. Peut-être que si je restais occupée, je n’aurais plus à me transformer.
« Est-ce que ça fait toujours aussi mal de se transformer ? » ai-je demandé. Cette douleur était trop intense. Je ne voulais plus revivre cela. Pas si c’était aussi douloureux.
« La première transformation est douloureuse. Je suis désolée pour ça. Mais après, plus de douleur lorsque tu te transformes. Tu pourras te transformer quand tu le souhaites. » La voix de Kari avait un effet apaisant. « Ce n’est pas nécessairement à la pleine lune. »
« Non, tu n’as pas à te transformer à chaque pleine lune si tu ne le veux pas », m’a assuré Kari. « Et non, nous ne mourons pas à cause de l’argent. Ça, c’est juste pour les humains idiots qui font des films. »
« Mais tu viens de dire… » J’allais lui rappeler que c’était elle qui avait mentionné la pleine lune.
Je pouvais sentir que Kari commençait à perdre patience avec moi. « La seule fois où tu es obligée de te transformer pendant une pleine lune, c’est pour ta première transformation. Après ça, la pleine lune n’a plus d’effet sur toi. »
Au moins, j’apprenais quelque chose. Je supposais que la lune était pleine ce soir-là, et que cela avait aidé à déclencher ma transformation. Je supposais que j’étais vraiment une louve-garou.
Mais maintenant, j’avais une question vraiment importante à poser. « D’accord, alors dis-moi où sont mes parents ? Pourquoi je n’ai pas grandi avec d’autres loups comme moi ? Ils ne voulaient pas de moi ? »
Poser ces questions me faisait mal au cœur. J’avais toujours voulu en savoir plus sur mes parents. Le système de placement familial ne m’avait jamais rien dit. Peut-être que maintenant, je pourrais les retrouver.
« J’ai bien peur de ne pas savoir. Je fais partie de toi. Seule la Déesse de la Lune sait où ils sont. » Sa voix s’est adoucie. « Si tu entres en contact avec eux, ton instinct te le dira. »
« Ann, il y a un moyen pour moi de découvrir qui sont mes parents ? » ai-je lancé, assez fort pour qu’elle m’entende.
Jazmine a regardé Ann. Je ne voulais pas blesser ses sentiments, mais elle savait que j’avais toujours voulu savoir. Elle m’avait même aidée à les chercher, depuis mes dix-huit ans. Mais nous n’avions jamais rien trouvé.
« Oui, je vais devoir en parler avec Alpha Jason. Il t’aidera probablement. Sa fille Revna doit avoir ton âge. Laisse-moi un moment. » Ann a sorti de nouveau son téléphone portable.
Elle s’est éloignée de nous mais je pouvais encore entendre ce qu’elle disait. « Elle a survécu à l’attaque. Oui. Elle s’est transformée. Je sais. »
« Écouter les conversations des autres, c’est malpoli », m’a dit Kari, attirant mon attention.
« Et alors ? C’est eux qui parlent de moi dans mon dos. Ça, c’est malpoli », ai-je répliqué.
C’était trop tard. Kari avait suffisamment attiré mon attention pour que je manque la fin de la conversation.
Ann revenait déjà vers nous. « Rentre chez toi et prépare tes bagages. Il va envoyer une voiture te chercher. Maintenant que tu as ta louve, c’est trop dangereux pour toi de rester avec les humains. Alpha Jason t’invite à rejoindre notre meute pour le moment. Tu resteras à la maison de la meute. »
Je l’ai regardée. « Est-ce que ça te va ? » Je ne voulais pas qu’elle pense que je l’abandonnais. Mais il ne semblait pas qu’elle était aussi invitée. « Je ne veux pas te laisser seule. »
« Tu vas me manquer, mais je pense que c’est pour le mieux. Ils peuvent t’apprendre des choses sur toi que je ne connais pas. Tu dois découvrir qui tu es, et peut-être que l’alpha pourra retrouver tes parents. » Jazmine s’est assise à côté de moi. « Tu veux retrouver tes parents depuis longtemps. Tu as le droit de savoir. »
Ann a tendu une carte de visite à Jazmine. « Voici le numéro de la maison de la meute, mon numéro ainsi que ceux de l’alpha et du bêta. N’hésite pas à appeler. »
J’ai regardé Jazmine avec inquiétude. Je ne pouvais pas simplement la laisser. Pas comme ça. Nous venions de commencer notre été ensemble, et je savais qu’elle voulait passer du temps avec moi avant que l’université soit finie. Nous savions toutes les deux que ma vie allait changer. Je supposais que nous n’avions pas pensé que cela changerait de cette façon.
Elle venait de dire que je pouvais partir, mais je ne le voulais pas. Avec toutes ces choses étranges qui se passaient, au fond de moi, je voulais rester avec ma mère.
« C’est pour ta sécurité, Em. » Jazmine me tenait la main. « Je sais que tu ne veux pas me quitter. Mais tu dois y aller. Je ne veux pas que tu rates cette opportunité. »
Je me suis mordu l’intérieur de la lèvre.
« Tu peux m’appeler à tout moment, et ce n’est pas comme si j’allais être à des millions de kilomètres de toi. Tu seras entre de bonnes mains. »
« Jazmine a également l’autorisation de venir sur notre territoire quand elle le souhaite. Elle l’a toujours eue », a ajouté Ann.
« Jaz, j’ai besoin que tu me dises comment ça se fait que tu connais tout ça », ai-je dit.
« Plus tard. »
Je ne voulais pas quitter la seule maison que je connaissais. Mais il semblait que je n’avais pas le choix.
