
Un foutu rassemblement de trois jours.
Jour un : les meutes arrivent de tout le pays et commencent à se mêler les unes aux autres. C'est à ce moment que la plupart des compagnons se trouvent, mais ça dure pendant les trois jours.
Jour deux : ceux qui ont trouvé leur compagne ou compagnon sont encouragés à aller dans la forêt pour permettre à leurs loups de courir ensemble.
Jour trois : la cérémonie d’accouplement a lieu. Ceux qui ont trouvé leur compagne ou compagnon s'acceptent officiellement devant leurs meutes.
Trois jours d'hormones en ébullition, trois jours de désir, trois jours de gens qui se frottent les uns contre les autres partout où l'on regarde. Merveilleux.
Pourtant, cela pourrait être pire. On m'a assignée à la cuisine, ce qui est un immense soulagement. Je n'ai pas à m'inquiéter des regards bizarres à cause de ma cicatrice, et je peux éviter la plupart des interactions sociales.
C'est comme un refuge où je peux me concentrer sur mes tâches et être laissée tranquille.
Mais je me cache tout le temps, et quand on me donne mon premier travail de collecter les flûtes à champagne usagées après l'accueil initial, je fais en sorte de le faire le plus rapidement possible.
Trop rapidement !
Sorties de nulle part, deux filles me rentrent dedans.
« Fais attention où tu marches, Freddy Krueger ! »
Étalée sur le sol, entourée de verre brisé, je ne reconnais pas les filles qui me toisent. Elles doivent être d'une autre meute.
L'une d'elles se couvre la bouche, et l'autre me lance un regard de dégoût.
« Oh, ma Déesse, les garçons n'ont pas tout dit. Tu as l'air encore pire que ce qu’on raconte ! Punaise, mais à quoi pensait ton alpha pour te laisser nous servir ? »
Je lève les yeux au ciel et commence à ranger le désordre autour de moi.
Une voix se fait entendre au-dessus de moi : « Il pensait probablement que personne n'oserait enfreindre les lois du Jour de l'Accouplement. »
Je lève les yeux pour voir un homme blond et remarquablement grand. Il a des yeux noisette qui me rappellent ceux de ma mère.
« Oncle Jacob ? » murmuré-je.
Son visage est impassible alors qu'il fixe les deux autres filles. « Vous savez que violer les lois du Jour de l'Accouplement est passible de bannissement ? »
Je ressens une pointe de satisfaction en voyant les sourires des filles s'effacer, remplacés par une expression soudaine de peur qui envahit progressivement leurs yeux écarquillés.
« Maintenant, je vous suggère de dégager de ma vue avant que je fasse quelque chose que je ne regretterai pas. »
Il reste parfaitement immobile en observant les filles s'enfuir. Une fois qu'elles sont parties, il me regarde avec un sourire chaleureux.
« Oh, Kara ! Tu as tellement grandi ! » Il me serre dans ses bras, puis s'éloigne d’un pas en me tenant par les épaules. « Je n'arrive pas à y croire ! Tu ressembles tellement à Kiana ! »
« Oncle Jacob ! J'ai failli ne pas te reconnaître. Ça fait tellement longtemps. »
Il éclate de rire et me prend à nouveau dans ses bras. « Oh, ma petite ! Tu te souviens de moi ! Comment tu vas ? »
« Je vais bien. Je vais beaucoup mieux maintenant. Et toi ? Je pensais que Pop-Pop était toujours l'alpha ? »
Oncle Jacob fronce les sourcils, il ouvre et referme la bouche pendant un instant avant de parler à nouveau. « Ma petite, personne ne t'a dit ce qui est arrivé ? »
Je renifle. « Pourquoi quelqu'un me dirait quelque chose ? »
Il prend une profonde inspiration et me prend la main. « Je ne sais pas comment te dire ça, mais ton grand-père a été tué dans une attaque de renégats. »
Un frisson me parcourt et j’ai le souffle coupé. « Comment ça, tué ? »
« Pendant qu'il pourchassait des renégats, il est tombé dans une embuscade et a été tué. »
Je baisse les yeux vers mes mains. « Je ne comprends pas. Comment ça a pu arriver ? Pourquoi personne ne m’a rien dit ? »
Bien que Jacob soit l'alpha de la meute de la Lune Bleue, le seul endroit où il reste des membres de ma famille depuis la mort de mes parents, Alpha Black a décidé qu'il valait mieux que je reste ici, à la meute du Croissant de Lune.
Heureusement, Lana et Richard m'ont adoptée et élevée comme leur propre fille. Je n'aurais pas pu rêver de meilleurs parents adoptifs. Et leur fils, Keith, est comme un frère pour moi.
Mon oncle fronce les sourcils. « Il y a beaucoup de choses que j'ai essayé de te faire savoir et qui ne t'ont apparemment pas été transmises, on dirait. Je vais en parler à Alpha Black pendant que je suis ici. »
Mon oncle me donne un petit coup de coude. « Allez, ne nous laissons pas abattre. C'est censé être un jour heureux. Nous pourrons parler de tout ça plus tard. »
Il me sourit et serre mes doigts. « Peut-être que tu pourrais-tu m'aider à trouver ta future tante ? »
J’essuie mes yeux en riant. « J'adorerais, mais malheureusement, je dois aider à préparer les festivités, sinon mon alpha va me passer un savon. »
Je commence à me relever, mais mon oncle m'arrête.
« Kara, tu n'es pas obligée de rester ici, tu sais ? Tu peux rentrer avec moi. »
Je suis touchée qu'il veuille encore s’occuper de moi après tout ce temps. Il l'avait déjà dit quand mes parents sont morts, mais j'imagine que ce qui a empêché Alpha Black de me libérer pour que j’aille dans la meute de la Lune Bleue est toujours d’actualité.
De plus, je ne peux pas faire ça à Keith et sa famille.
« J'apprécie ta proposition, oncle Jacob, mais j'ai fait ma vie ici. Je ne peux pas les quitter. »
Il me tapote la main. « Eh bien, je vais te laisser alors. Tu as probablement du travail. »
Je me lève et le serre dans mes bras. « Tu reviendras me voir avant de partir ? »
Il m'embrasse sur le front. « Bien sûr. »
« Alpha Black, Bêta Dane. »
Ils inclinent légèrement la tête.
« Alpha Kane », dit Alpha Black. « C'est merveilleux de te voir ici après tant d'années. »
« Merci d'accueillir le Jour de l'Accouplement cette année. Votre hospitalité est inestimable. »
Je souris à l'alpha de la meute du Croissant de Lune. « Alpha Black, j'espérais pouvoir prendre quelques minutes de ton temps ? »
Il y a quelque chose de mystérieux dans les profondeurs de ses yeux. « J'aimerais pouvoir, Alpha Kane, mais je dois m'occuper des festivités, surtout qu'elles viennent juste de commencer. Tu comprends ? »
Mon sourire s'efface et je m'approche, déterminé à lui faire sentir ma colère. « Bien sûr, mais ça concerne ma nièce. J'aimerais savoir pourquoi elle n'a pas reçu mes lettres ? »
L'expression d'Alpha Black s’assombrit et il lève une main pour m'inviter à sortir du chapiteau. « Tu veux bien faire une petite promenade ? »
Je baisse respectueusement la tête et accompagne Alpha Black loin de la scène.
Le silence entre nous est pesant, et je ne peux m'empêcher de ressentir le poids de l'anticipation grandir en moi.
« J'ai entendu dire que ton père a été tué. Je regrette de ne pas avoir pu assister aux funérailles, en tant que confrère alpha, j'espère que tu comprends que mes impératifs ici m'ont empêché d'y assister. »
Alors que nous marchons, je maintiens mon regard fixé droit devant moi. « Bien sûr, mais j'aimerais savoir pourquoi personne n'a transmis mes lettres à ma nièce ? Depuis combien de temps ça dure ?
« Sans oublier qu’à chaque fois que j'ai demandé une visite, on me l'a refusée. »
Alpha Black s'arrête et se tourne vers moi. « Vraiment ? Je vais me renseigner immédiatement. Il a dû y avoir une confusion suite à un ordre précédent. »
Je serre les dents en essayant de contenir ma colère. « Quel ordre précédent ? »
« Tu dois me comprendre, après qu’elle ait perdu ses parents, nous avons pensé que cela aggraverait son désespoir si elle lisait trop de lettres ou recevait des visites de membres de ta meute. Elle aurait pu sombrer dans le chagrin. »
Il y a quelque chose qu'il ne me dit pas, mais si j'insiste davantage, je risque de le pousser à se fermer. Je lui fais un léger signe de tête, espérant que cela suffira à lui faire croire que je comprends ses raisons.
« Je vois. Eh bien, peut-être que tu pourrais trouver qui a empêché notre correspondance et y mettre un terme.
« Et autre chose, la mort de ses parents... J'ai vérifié les rapports que tu as fournis à l'époque, mais certains détails ne correspondent pas à ce que certains membres de ta meute ont dit. »
Il lève un sourcil. « Tu as parlé à des membres de ma meute ? »
Je hausse les épaules. « Naturellement. Tu dois me comprendre, la fille d'un puissant alpha a été tuée, et nous voulions des réponses. Alors, j'espérais juste que tu pourrais clarifier certaines choses ?
« Ton rapport indique que tu as ordonné à ton bêta, mon beau-frère à l'époque, de protéger ta compagne et tes enfants, mais un témoin a affirmé que ta compagne et tes enfants n'étaient pas sur le territoire de la meute à ce moment-là.
« En fait, ce même témoin a dit qu'ils avaient rejoint le territoire de la meute d’origine de ta compagne quelques jours avant l'attaque. »
Le regard d'Alpha Black se détourne de moi, et ses pas nous emmènent sur un chemin faiblement éclairé. Je ne peux m'empêcher de remarquer que la nature sombre de son comportement va bien avec le chemin que nous parcourons maintenant.
« Je ne vous ai pas pris pour des imbéciles, ni toi ni ton père, et pourtant, c'est ce que vous semblez être. »
Sa désinvolture m'enrage davantage, mais je contrôle ma colère. « Que veux-tu dire ? »
« Eh bien… » dit-il en haussant les épaules. « Les renégats font tout pour troubler la paix entre les meutes.
« Je ne sais pas qui est ce soi-disant témoin, mais il semble qu'il ou elle ait donné de fausses informations dans l'espoir de rompre notre alliance. »
« L'information provenait d'un membre de cette meute. »
Il se met face à moi et me regarde dans les yeux. « Alors cette personne s’est trompée. »
Tandis qu'il me regarde intensément, je profite de l'occasion pour observer chaque mouvement d'Alpha Black, chaque détail de son expression, essayant désespérément de déchiffrer les pensées qui tourbillonnent dans son esprit.
Les découvertes de mon père après la mort de ma sœur m'ont laissé perplexe. Elles ne correspondent pas au récit que l'on nous a raconté, et les pièces du puzzle ne s'assemblent tout simplement pas.
Si seulement mon père avait partagé ces informations plus tôt avec moi, j'aurais pu faire quelque chose avant.
Je ne peux me débarrasser de ce sentiment de malaise, de cette sensation persistante, qu'il y a autre chose dans cette histoire.
Après avoir ramassé les morceaux de verre brisé, je me dirige vers la cuisine.
Juste avant d'atteindre les portes battantes, un chemin commence à s’ouvrir au milieu de la foule qui se sépare comme la mer Rouge, alors que les invités comme les membres de la meute laissent passer un groupe d'hommes imposants.
Mais c'est celui du milieu qui vole la vedette. Ses cheveux attirent mon attention en premier, blancs comme la neige qui vient de tomber, puis ses yeux vert émeraude qui scintillent d'une lueur surnaturelle.
Dominant tout le monde autour de lui, il doit mesurer plus de deux mètres et semble posséder tout l'espace autour de lui, comme s’il jetait un sort enchanteur sur tous ceux qui posent les yeux sur lui.
Même moi, je ne peux détacher mes yeux de cet homme gigantesque.
Pendant un moment, il semble que le temps soit figé, puis le mystère autour de cet inconnu s’explique lorsque j'entends des voix murmurer qu'il est le grand alpha.
Tous les dix ans, un grand alpha est choisi non seulement en fonction de l’importance de sa meute, mais aussi de sa force et de sa puissance en tant qu'alpha.
Habituellement, cela se fait par compétition aux jeux des lycans, qui se tiennent sur un terrain neutre, où des alphas du monde entier mettent à l'épreuve leur force, leur agilité, leurs pouvoirs et leurs compétences pour diriger.
Les exigences physiques des jeux font que les grands alphas sont généralement jeunes, mais je ne savais pas à quel point notre grand alpha actuel est jeune. Il semble avoir la vingtaine.
Malgré l'apparence incroyable de cet homme, on ne gagne pas les jeux en étant gentil, et les murmures autour de moi me rappellent que c'est un être impitoyable, sans pitié envers la moindre erreur.
La peur saisit tout le monde en sa présence autant que l'admiration et la vénération, tandis qu’il traverse la foule avec ceux qui l’entourent.
Je suis sur le point de laisser échapper un soupir de soulagement alors que les hommes passent devant moi, lorsque le grand alpha s'arrête brusquement.
Levant les yeux, il commence à renifler l'air, ses sens semblent interpelés par quelque chose qui dépasse ma compréhension.
Il ferme ses captivants yeux verts et bouge ses lèvres sans bruit, comme s'il psalmodiait une puissante incantation. Mes oreilles s'efforcent de saisir un mot ou deux, mais ils m'échappent.
Et puis, je vois à nouveau ses deux émeraudes scintillantes, brillant au soleil alors qu'elles transpercent la foule autour de lui et se verrouillent sur moi.
Il prononce un mot, un unique mot qui résonne profondément en moi semble faire s’arrêter mon cœur et tout mon monde.
« Compagne. »