Samantha Hastings était nerveuse.
Chase était surpris. Il ne s'attendait pas à la voir dans cet état.
Il se demandait pourquoi elle travaillait dans une épicerie et vivait dans un immeuble délabré.
Le bâtiment semblait vieux et mal entretenu. La peinture s'écaillait, une odeur bizarre flottait dans l'air, et la rampe d'escalier était cassée. Chase avait toujours cru que Samantha était chouchoutée par son père. Il pensait qu'elle était plus gâtée que son frère Stephen et qu'elle avait tout ce qu'elle voulait.
Arrivés devant la porte de son appartement, Chase remarqua que le bois était usé et que la poignée branlait. Samantha se retourna pour lui faire face. Elle avait l'air effrayée, comme prise au piège entre lui et la porte.
Son t-shirt moulait sa poitrine. Chase le remarqua mais essaya de ne pas y penser. C'était la petite Sammy, après tout. Il constatait simplement à quel point elle avait changé. Rien de plus.
« Écoute, cet endroit a du cachet, d'accord ? » dit-elle.
Chase haussa un sourcil. La fille qui vivait autrefois dans une grande maison trouvait maintenant ce petit appartement convenable ? « Bien sûr », répondit-il.
Il pensait que ça ressemblait plutôt à un taudis.
Quand elle ouvrit la porte, Chase s'attendait au pire. Mais ce qu'il vit à l'intérieur n'était pas ce qu'il imaginait - c'était petit mais propre et bien rangé.
Chase ne se souciait plus du luxe, et il ne pensait pas que tout le monde devait vivre dans l'opulence. Mais il avait du mal à l'imaginer vivre comme Monsieur Tout-le-monde.
La voilà, une jeune femme vivant en ville, quelqu'un qui avait été protégée des difficultés de la vie pendant la majeure partie de son existence.
Samantha se pencha et dit : « J'ai une coloc, Ellie. On bosse ensemble, donc je ne vis pas seule. »
Chase regarda autour de la pièce, s'attendant à moitié à ce qu'Ellie surgisse de nulle part. Mais l'appartement semblait vide.
« Elle est... elle est partie pour quelques jours. Je te jure, je ne l'invente pas », dit Samantha nerveusement, tirant sur sa manche. « Tu peux vérifier sa chambre si tu ne me crois pas. »
« Je te crois... » dit Chase doucement, se sentant un peu mal à l'aise. Il l'observa de plus près et vit qu'elle évitait son regard et se justifiait. Il réalisa qu'il s'était montré désagréable. « Écoute, Sam. Je ne voulais pas... Je m'inquiète juste pour toi, d'accord ? Je ne comprends pas comment tu as atterri ici. »
« Je pourrais te poser la même question », répliqua-t-elle, retrouvant un peu de son ancien caractère.
« Que veux-tu dire ? » demanda Chase en fronçant les sourcils.
Elle le pointa du doigt, les yeux écarquillés. « Hello, le mécano ? »
Il fronça encore plus les sourcils. « Stephen ne t'a rien dit ? »
Sam désigna son visage. « Est-ce que j'ai l'air d'une fille qui sait quoi que ce soit ? »
C'était juste. Il avait pensé qu'elle connaissait toute l'histoire, ou du moins assez pour comprendre pourquoi il travaillait maintenant comme mécanicien.
« D'accord, c'est vrai. Je vais te raconter mon histoire, et ensuite tu pourras me dire ce qui t'est arrivé », proposa Chase.
« Marché conclu », dit Samantha, l'air plus détendue.
« Je peux m'asseoir quand même ? Je n'ai pas envie de te raconter ma vie debout dans ton... c'est un couloir ou on est dans la cuisine ? » plaisanta Chase, essayant de détendre l'atmosphère.
Pourquoi Stephen ne lui avait-il rien dit à propos de Sam ? Et pourquoi n'avait-il rien dit à Sam sur sa propre situation ?
« Oui », dit-elle, lui lançant un regard perçant. Samantha recula et désigna le canapé.
Chase la suivit et s'assit à une extrémité du vieux canapé tandis qu'elle s'installait à l'autre bout.
« Je suppose que je peux sauter la partie « parents décédés ». Tu es au courant », commença Chase, évoquant le décès de ses parents il y a quelque temps. Sa famille était autrefois riche comme celle de Samantha, menant une vie luxueuse.
« Ouais », dit-elle très doucement.
« Donc, je suis resté à la maison. Mon oncle et ma tante ont obtenu ma garde... Mais en réalité, ils étaient ici, et moi j'étais là-bas - comme si mes parents n'étaient jamais partis. »
Il était assez âgé pour se souvenir de ses parents mais suffisamment jeune pour surmonter leur perte. Cependant, il n'avait pas passé beaucoup de temps avec eux. Ils étaient toujours à des événements, l'envoyant en pensionnat et engageant des nounous.
Ce n'est pas qu'ils ne s'aimaient pas, mais c'était un amour différent. Sa mère avait toujours été riche, mais son père était né pauvre et avait eu la chance de l'épouser.
Pendant ce temps, son oncle était resté ici, dans le quartier pauvre.
Mais ils ne se parlaient pas - ils restaient éloignés.
« J'avais presque fini mes études quand... ma tante a appelé. Elle m'a dit que mon oncle était malade... » Il détourna le regard, ne voulant pas croiser ses yeux. Il détestait cette partie de l'histoire - elle le faisait se sentir comme une mauvaise personne.
Il ne prenait jamais de leurs nouvelles. Chase pensait qu'ils étaient heureux de ne pas avoir à s'occuper de lui. Il restait à l'écart, et un simple coup de fil de temps en temps pour dire qu'il était en vie semblait suffisant. Il avait tort.
Chase avait du mal à avaler sa salive. « Écoute, je... Quand mes parents sont morts, ils n'ont pas laissé autant d'argent que je le pensais... » Il se frotta nerveusement le cou, détournant le regard.
Il se sentait complètement idiot. Peu importe à quel point il travaillait dur, il ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable.
Chase ne pouvait pas regarder Sam - il avait peur de ce qu'il pourrait voir dans ses yeux.
« Mon oncle et ma tante... ils ne voulaient pas que je sache. Ils ont travaillé très dur pour moi... pour que je continue à vivre comme si j'étais riche. »
Son mode de vie stupide et égoïste. Sortir boire, dépenser trop d'argent, sécher les cours, emmener des filles à des rendez-vous coûteux. Il suivait le rythme de Stephen et ses amis, sans savoir qu'ils payaient tout.
« Mon oncle est tombé gravement malade », dit-il, la voix tremblante. « Quand je l'ai appris... je suis revenu ici. J'ai arrêté mes études et... j'ai travaillé dans son garage jusqu'à ce que je puisse le reprendre... et je fais ça depuis. »
Il y avait beaucoup plus dans cette histoire. La honte qu'il ressentait. Les larmes qu'il avait versées. Chase pensait que sa vie était d'une certaine façon, mais quand il a découvert la vérité... il a réalisé combien de temps il avait gaspillé et à quel point il avait été égoïste.
Et maintenant... maintenant... Samantha restait silencieuse.
Elle le regardait, la bouche légèrement entrouverte, osant à peine croiser son regard. Il ne voulait pas le voir - la pitié. Chase ne méritait pas la pitié.
Ils avaient travaillé si dur, sacrifiant tout pour qu'il continue à vivre une vie dont il savait maintenant qu'il n'en avait pas besoin. Ce n'était pas juste.
« Q-qu'est-ce que ton frère a dit ? Où a-t-il dit que j'étais parti ? » N'importe quoi pour changer de sujet.
Il pensait que les frère et sœur étaient proches, mais il avait tort. Ou peut-être que Chase n'avait tout simplement pas d'importance pour Stephen.
Stephen était la seule personne de son ancienne vie avec qui il parlait encore, même maintenant. Ils ne se parlaient pas autant, et c'était difficile de se voir parce qu'ils vivaient loin l'un de l'autre, mais ils communiquaient toujours...
« Je suis désolée, Chase... Je ne savais pas... Je n'arrive même pas à imaginer... » Elle se mordit la lèvre. « Il... il n'a rien dit. »
Sam n'avait pas demandé. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Ils ne se connaissaient que parce qu'ils y étaient obligés. Ils n'étaient pas amis.
Leurs vies avaient pris des chemins différents. Ils n'étaient pas au même stade de la vie à cause de leur différence d'âge. Exactement. Le voilà, essayant d'être... fraternel, il était... il s'inquiétait mais...
Chase avait pensé qu'il était plus important qu'il ne l'était réellement.
« C'est logique. » Personne ne se souciait de lui une fois l'argent disparu. « C'est mon histoire triste. Quelle est la tienne ? »
Sam frotta ses mains sur son jean, la tête toujours baissée. Maintenant, cependant, elle le regardait sous ses cils.
« Je crois que j'ai besoin d'un verre avant ça », dit-elle en se levant rapidement. Elle s'éloigna de lui, puis s'arrêta soudainement et tourna la tête, regardant par-dessus son épaule. « Ne t'inquiète pas, j'ai l'âge légal pour boire maintenant. Au cas où tu voudrais ajouter ça à la liste des choses pour lesquelles me punir. »
La punir.
Il essaya de ne pas déglutir. Non.
« Désolé, je suppose que les petites sœurs semblent toujours petites pour moi. » Ouais, bon rappel.
Le sourire sur son visage disparut pendant une seconde, mais ensuite, c'était comme si rien ne s'était passé. Elle lui tira la langue et continua à marcher, se dirigeant vers la cuisine d'un pas assuré.
Il la regarda se pencher derrière le comptoir, pour réapparaître quelques secondes plus tard, tenant une bouteille de vin et arborant un grand sourire. « Merci, vin pas cher », dit-elle doucement.
Elle se rassit sur le canapé, ouvrant la bouteille. Très classe. Chase faillit dire quelque chose de méchant. Presque. Jusqu'à ce qu'il la voie boire directement à la bouteille, et il ne put s'empêcher de lever un sourcil.
« Oh ? » dit-elle, éloignant la bouteille, avec du vin sur le menton. « Tu en voulais aussi ? »
« Je conduis. »
« Bien sûr, parce que Chase Bennett n'a jamais essayé de boire et conduire avant. »
Aïe. Bien vu.
Il frappa dramatiquement sa poitrine, comme s'il était blessé. « Ce Chase est beaucoup plus responsable. »
« Et Chase parle souvent de lui-même comme ça ? »
« Ça dépend de son humeur. »
Elle rit doucement et secoua la tête. « Je ne me souviens pas que tu étais comme ça », dit-elle, le regardant tout en buvant à nouveau à la bouteille.
« Et je ne me souviens pas que tu ne pouvais pas te permettre un verre ou une tasse. »
Ses lèvres se tordirent. « C'est juste plus facile », expliqua-t-elle, tenant fermement le goulot de la bouteille.
« Alors, vais-je entendre une histoire triste, ou suis-je le seul malin ici ? »
Elle hocha la tête. « Je suppose que Stephen ne t'a rien dit sur moi non plus ? » demanda Sam, regardant droit devant elle.
Il secoua la tête. « Je pensais que tu étais rentrée chez toi. » Chase soupira, s'enfonçant dans le canapé. « Pour être honnête... Je n'ai pas demandé. » C'était un peu grossier à dire, mais il ne pouvait pas laisser Stephen porter tout le blâme. Chase n'avait pas demandé de nouvelles de Sam... pourquoi l'aurait-il fait ?
« D'accord. » Elle rentra ses joues avant d'expirer. « Eh bien, j'ai découvert que mon cher père avait des projets pour moi. »
« Des projets ? »
Elle but encore à la bouteille avant de la reposer brusquement sur ses jambes. « Ouais. Un fils est quelqu'un pour reprendre l'entreprise. Tu sais ce qu'est une fille ? » Mais elle n'attendit pas qu'il réponde. « C'est un moyen d'obtenir du pouvoir. Tu veux savoir comment ? » Encore une fois, elle ne le laissa pas parler. « En la mariant à qui peut être utile. Échange ta fille, obtiens deux vaches ! »
Elle ne pouvait pas vouloir dire... elle ne disait pas...
Mais il se souvenait.
Avant que Chase ne parte, combien de mères étaient venues vers lui, poussant leurs filles vers lui ? Mais il avait toujours pensé qu'elles le faisaient parce qu'elles le voulaient. Que les filles étaient intéressées.
Mais penser que certaines d'entre elles l'avaient fait parce que leur famille leur avait dit de le faire... ça le rendait malade.
« Bienvenue dans le monde d'une femme », dit-elle, levant sa bouteille.
« Donc, ton père... » il s'éclaircit la gorge, « il voulait que tu épouses quelqu'un ? »
« Ce n'était pas que ça », dit-elle, baissant les yeux sur ses genoux. « Il ne... il s'en fichait, Chase. »
Il la regarda faire une pause, sa lèvre inférieure tremblant légèrement, comme si elle essayait de ne pas pleurer. Mais il n'y avait que de la colère dans ses yeux. « Je pensais qu'un des garçons m'aimait bien », commença-t-elle, avant de se mordre la lèvre.
Oh non. Il avait déjà vu ce regard auparavant. Il l'avait provoqué par le passé. Il ne l'avait pas fait exprès - mais il y avait eu quelques années où il était un parfait idiot, pensant que ses actions n'avaient pas de conséquences.
Puis elles avaient exactement ce regard quand elles découvraient qu'il était un connard.
Ouais.
Mais ça ne l'avait jamais frappé comme ça avant.
Maintenant, il sentait une boule dans sa gorge. Merde.
« Mais... il s'est avéré que c'était un salaud. » Elle rit un peu. « Tu aurais dû entendre les histoires. Tu as devant toi la star du porno des Hastings, en personne. Je veux dire, mon père m'a dit de passer à autre chose », dit-elle, tournant enfin la tête pour le regarder.
Elle souriait, mais il n'y avait aucune joie dedans.
Penser que quelqu'un lui avait fait ça... Ça le mettait en colère. Il voulait trouver le type et lui faire très mal.
« Sam... Je suis désolé. »
Elle rit un peu, les larmes aux yeux. « Ouais, donc... je suis partie. Je suis partie, et je ne voulais rien de lui. Sinon, il m'aurait possédée. Et je voulais m'appartenir. Voilà. Je vis dans un mauvais appartement, j'ai une mauvaise voiture, et j'ai un mauvais boulot. C'est comme ça que ma vie a fini ainsi, Chase. »
Il n'aurait pas dû demander. « Sam... »
Elle laissa sa bouteille reposer sur sa jambe. Levant la main, elle l'arrêta de parler, et il se tut. « J-j'ai fait mes choix, Chase. Tu as fait les tiens. On a eu de mauvaises situations, et on a fait ce qu'on a pu. Je... je n'ai pas à expliquer pourquoi je fais ce que je fais. C'est ma vie. »
Elle voulait pleurer, mais elle ne le ferait pas devant lui. Il agissait comme s'il savait beaucoup de choses sur elle et comme si elle ne pouvait pas prendre soin d'elle-même, comme s'il avait le droit de dire quoi que ce soit à ce sujet.
Il s'avérait qu'elle ne le connaissait pas, et qu'il ne la connaissait pas.
« Tu as raison. Je suis désolé. »
« Il se fait tard », dit-elle, la voix tremblante.
Chase voulait en dire plus, voulait rester, mais - il respecterait ses souhaits. Il devait se rappeler qu'elle connaissait un Chase d'une vie différente, et qu'il connaissait une Sam différente.
Il s'était trouvé dans une situation similaire, et il serait prévenant.
« Je t'appellerai quand ta voiture sera prête ? »
« Ouais, merci. »
Peut-être que Chase avait tort. Il pensait s'être débarrassé de toutes les parties de son ancienne vie, mais il se trompait. Il avait encore du travail à faire.
Elle n'était pas sa responsabilité.
Sam était une femme adulte.
