« Comment vous sentez-vous ? » ai-je demandé à l'homme en face de moi.
La veille, il était entré dans ma boutique l'air mal en point et affaibli. J'avais remarqué du sang sur ses mains et sa chemise, mais je l'avais quand même aidé. L'écusson sur ses vêtements aurait dû me faire fuir, mais ce n'est pas dans ma nature.
J'avais déjà vu les Highway Jokers en ville. C'étaient de sacrés numéros, et la plupart des gens ici savaient qu'il valait mieux les éviter. Je n'aurais jamais cru que Daniel Moss en ferait partie.
Pendant que je le soignais en attendant ses amis, je ne pouvais m'empêcher de dévisager son visage. Il avait beaucoup changé. Ce n'était plus un gamin à l'air benêt ; c'était devenu un homme tatoué et barbu. Maintenant qu'il était debout, je réalisais qu'il me dépassait largement.
J'étais soulagée de le voir en meilleure forme. La barbe et le blouson de cuir lui allaient comme un gant. Il avait l'air dangereux, mais ses yeux restaient doux. Un frisson me parcourut quand il prit la parole.
« Je me sens patraque, mais ça ira. » Il esquissa un sourire. « Tu as vu quelque chose ? » demanda Daniel.
J'ai glissé mes mains dans les poches arrière de mon jean, essayant d'ignorer le nœud dans mon estomac. « Non, je n'étais pas là... mais j'avais une vidéo. »
« Avais ? » Il haussa un sourcil et l'homme appelé Redback vint se placer à ses côtés.
« J'ai remis l'enregistrement de surveillance à la police quand ils sont passés tout à l'heure », expliquai-je.
Les hommes échangèrent un regard.
« Tu te souviens de quelque chose dans cette vidéo qui pourrait identifier les agresseurs ? » me demanda Daniel.
« Non. J'ai juste vu des types tout en noir avec des cagoules. Je suis sûre que la police va enquêter », leur assurai-je.
« La police ne fera rien », lâcha Daniel avec colère, me faisant sursauter. Il grogna et passa sa main dans ses cheveux avant d'ajouter : « Désolé. »
Un téléphone sonna, et Daniel sortit le sien de sa poche avant de s'éloigner pour répondre. Après quelques instants, il se retourna et me regarda.
« Compris. » Dit-il avant de raccrocher.
« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda Redback à Daniel.
« 8Ball a dit que quelqu'un s'est introduit chez Lolita. »
Mes yeux s'écarquillèrent. « Quoi ! Comment ? »
Mon cœur s'emballa et ma respiration s'accéléra. Je sortis mon téléphone, mais avant que je puisse appeler à l'aide, Daniel me l'arracha des mains.
« Qu'est-ce que tu fais ? Si quelqu'un est entré chez moi, je dois prévenir la police. »
« La police ne bougera pas le petit doigt, ma belle. Nous, si », dit-il avant de glisser mon téléphone dans sa poche. Il se tourna vers Redback. « Je l'emmène au club-house. »
« Une minute, j'ai mon mot à dire, non ? » Même s'il était séduisant, c'était ma vie que Daniel chamboulait. Ils me dévisagèrent tous les deux.
« Non », trancha Daniel.
« Je ne viens pas avec vous. Je vais voir la police. » Je saisis mon sac sur le comptoir et sortis. J'avais à peine fait cinq pas hors de mon café que Daniel se matérialisa devant moi. Il me lança un regard qui ne souffrait aucune discussion.
Mais je n'étais pas du genre à baisser les bras.
« Pousse-toi », dis-je.
« Tu es en danger maintenant, ma belle. Le seul endroit où tu vas, c'est le club-house. »
Je restai plantée là, les bras croisés. Mais avant que je puisse répliquer, Daniel haussa les épaules avant de faire un pas vers moi et de me balancer sur son épaule.
Je poussai un cri quand il me souleva et mon visage vira au cramoisi.
« Qu'est-ce que tu crois faire ? » Je martelai son dos, essayant de le faire me reposer.
Il gémit de douleur.
« Je suis blessé, ma belle », me prévint-il, passant devant ma boutique et se dirigeant vers un pick-up. Il me déposa sur le siège passager avant de claquer la portière. Je le fusillai du regard pendant qu'il échangeait quelques mots avec Redback, avant qu'il ne monte côté conducteur.
Pendant tout le trajet, personne ne pipa mot. J'étais trop en rogne pour dire quoi que ce soit, ce qui tombait bien parce que je ne savais pas quoi dire. Dès que le pick-up s'immobilisa devant ce que je devinais être le club-house, je bondis dehors et claquai la portière. Je passai devant Daniel sans même lui accorder un regard. J'ouvris brusquement les portes du club-house et entrai.
Le club-house empestait le bar et était rempli de bric-à-brac de motards. Il y avait une table de billard dans un coin à côté d'un juke-box, mais ce qui me surprit fut la barre de pole dance dans l'autre coin de la pièce.
« Lita ? »
Je me tournai vers la personne qui m'appelait par mon surnom. Mon demi-frère s'avança vers moi, suivi d'autres hommes que je connaissais à peine.
« Ça va ? » s'enquit John.
J'acquiesçai et le serrai dans mes bras.
« Ça va... Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe ? » demandai-je en balayant le club du regard.
« Allons dans la salle de réunion pour en parler. » Daniel était si proche derrière moi que je sursautai en l'entendant parler. Sa main effleura doucement le bas de mon dos, me guidant vers des portes où nous nous arrêtâmes. « Ton sac reste ici », dit-il.
Je le toisai avec colère.
« Plus vite tu le feras, plus vite tu auras des réponses. » Il cessa de me toucher, et je n'aimais pas que ça me manque.
Je soupirai et enlevai mon sac, le posant sur la table à côté de moi.
« S'il manque quoi que ce soit dedans, je te ferai la peau », dis-je en le pointant du doigt avant d'entrer dans la salle de réunion.
Daniel esquissa un sourire et glissa mon téléphone dans mon sac.
Je m'attendais à voir des bancs d'église et un autel, mais nous entrâmes dans une pièce qui ressemblait à une salle de conseil d'administration. Quelqu'un était déjà assis en bout de la grande table au centre de la pièce. L'écusson des Highway Jokers était gravé au milieu de la table. Je m'assis sur le siège libre à côté de John tandis que Daniel s'installait à l'autre extrémité.
« Merci d'être venue ici », dit le type en bout de table. C'était le même que j'avais rencontré la veille quand j'avais appelé au sujet de Daniel. Le chef des Highway Jokers, Thrasher. Il avait l'air très dur quand je l'avais croisé la première fois. J'imagine qu'il faut l'être quand on dirige un club de mauvais garçons.
« Je n'ai pas vraiment eu le choix », marmonnai-je en lançant un regard noir à Daniel. « J'allais au commissariat... » Je reportai mon attention sur Thrasher.
Il grogna avant de se caler dans son fauteuil. « Le truc, c'est qu'on sait exactement qui a tiré sur ta boutique et s'est introduit chez toi. » Il leva la main quand j'allais parler. « J'ai juste besoin de quelques infos de ta part pour comprendre pourquoi. »
« Je ne vois pas ce que je peux vous dire. » Je m'adossai à ma chaise.
« Quand tu as aidé Stone, tu as vu quelque chose ou quelqu'un d'autre de louche ? »
Je réfléchis un moment. « Non, j'avais des trucs à faire ce matin-là donc une de mes employées a ouvert la boutique. Je venais d'arriver cinq minutes avant de le voir débarquer dans mon café », dis-je en désignant Daniel d'un signe de tête.
« Tu as une vidéo de ce matin-là ? » demanda Thrasher.
« Elle l'a filée à la police », intervint Daniel.
Thrasher soupira et se frotta le visage.
« 8ball, pirate le système informatique du café », ordonna Thrasher.
Je fronçai les sourcils. J'allais protester, mais John tendit la main pour m'arrêter.
Thrasher le remarqua.
« Besoin de dire autre chose ? » Il haussa un sourcil.
« Ouais, c'est quoi ce bordel ? C'est mon business que vous foutez en l'air. J'ai sauvé un de vos gars, qui est toujours un sacré connard et n'a pas changé d'un poil, mais pirater la sécurité de ma boutique, c'est pas cool. »
« Lolita », me prévint mon demi-frère, mais je l'ignorai.
« Tu es en danger maintenant. » Thrasher se pencha en avant. « Nos ennemis voudront s'en prendre à toi. » Il me toisa de haut en bas avant de se rasseoir. Il prit une cigarette dans son paquet et l'alluma avant de reprendre la parole. « Parce que tu as sauvé un de mes hommes, on t'aide, ce qui veut dire que tes affaires deviennent mes affaires. »
« Je n'ai pas mon mot à dire ? » demandai-je en regardant autour de la pièce les quelques hommes assis sur les chaises.
« Si tu veux te retrouver les pieds devant demain matin, pas de souci. » Il haussa les épaules comme si ça lui était égal. « Mais à cause de ce qui s'est passé hier, tu es sous notre protection. »
« Ce qui veut dire ? » Je croisai les bras.
« Tu vas rester ici jusqu'à ce qu'on ait réglé le problème, et partout où tu iras, un de mes hommes te collera aux basques. »
« J'ai une entreprise à gérer, je ne peux pas rester ici », dis-je avec colère au chef des Highway Jokers.
« Alors quelqu'un sera là pour veiller sur toi. »
Ça ne servait à rien de discuter avec ce type. Il savait comment mener sa barque, mais j'étais une sacrée tête de mule.
« Saw et Mage vont t'emmener chez toi pour prendre des fringues pour quelques jours et tout ce qui est important », dit Thrasher avant de se lever et de quitter la pièce.
C'était du grand n'importe quoi.
