Après le départ d'Ashla, mes suivantes sont revenues. Elles m'ont aidée à me débarrasser de ma tenue bleu clair de prêtresse et à prendre un bain. Pendant que les deux femmes plus âgées me lavaient, je ne pouvais m'empêcher de jeter des coups d'œil à mes anciens vêtements. Je me demandais si je prenais la bonne décision en partant avant de prononcer mes vœux.
« Il faut nous dépêcher, Votre Altesse », dit Martha. Ses joues rondes étaient toutes roses tandis qu'elle frottait énergiquement ma peau. Elle s'occupait de moi depuis mon enfance, et ses cheveux autrefois roux étaient maintenant parsemés de gris.
Darshelle, mon autre suivante à la peau foncée et aux cheveux noirs courts et bouclés, hochait vigoureusement la tête. « La princesse doit partir sans tarder », ajouta-t-elle.
Elles m'ont fait enfiler une des robes moulantes de Cressida. Le temps manquait pour l'ajuster. Faute de mieux, Père avait choisi une de ses robes blanches qui ressemblait à une robe de mariée. De toute façon, ce n'était pas un vrai mariage.
La robe était d'une douceur exquise, créée par des couturières magiciennes. Quand je bougeais, le tissu transparent scintillait comme des perles. Mais je n'aimais guère sa coupe serrée qui mettait en valeur ma poitrine généreuse.
Martha releva mes cheveux blond clair en laissant quelques mèches retomber dans mon dos. J'étais prête à partir.
Je me tournai vers la porte, et un homme que je ne connaissais pas entra. Mon frère et mon père l'accompagnaient, l'air abattu comme s'ils ne devaient plus jamais me revoir.
Mon estomac se noua davantage, et je sentis un frisson me parcourir. J'essayai de faire bonne figure pour eux.
« Voici Besian », annonça Rhidian.
« Il va te faire des marques nuptiales spéciales », expliqua Père en indiquant à Besian où s'installer.
« Ah », fut tout ce que je pus dire.
Dans notre royaume de magiciens, il était courant de porter des marques magiques pour les événements importants. Je m'assis dans le salon principal de mes appartements, peinant à respirer dans la robe de Cressida, tandis que tous observaient Besian travailler.
Ses doigts s'illuminèrent d'une lueur bleue, et il toucha mes mains et mes poignets. La lumière magique pénétra ma peau et brilla comme de l'encre scintillante. J'appréciai le motif sur ma peau. On aurait dit de la dentelle. Il toucha ensuite mon visage.
« Êtes-vous prêtre ? » lui demandai-je.
« Non, Votre Altesse. Je suis Abjurateur », répondit rapidement Besian. Il continua à tracer les marques sur ma peau.
Les Abjurateurs créent des sorts de protection. Je fus saisie de peur en réalisant que ces marques n'étaient pas seulement nuptiales. C'étaient des sorts de protection appliqués directement sur ma peau.
Cette prise de conscience me donna le tournis. Sans le dire, l'empereur s'inquiétait pour ma sécurité. Tout se mit à tourner autour de moi, et les visages dans la pièce devinrent flous. Ma vision s'assombrit malgré le soleil matinal qui brillait à travers les grandes fenêtres derrière moi.
Je repris finalement mes esprits. « Eh bien, votre travail est très joli. »
Il leva les yeux et esquissa un sourire. « Merci, princesse. »
Besian traça une ligne brillante bleue le long de ma lèvre inférieure et de mon menton. Il dessina d'autres lignes sur mes sourcils, le long de mes tempes et sur mes joues.
Quand je me regardai dans le miroir, je crus presque que c'était vraiment le jour de mon mariage. Mais la douleur dans mon cœur et mon estomac me rappela que ce n'était pas vrai. Ce n'était qu'une mascarade pour aider le royaume de mon père jusqu'à ce qu'ils retrouvent la vraie princesse.
À l'extérieur du palais, un carrosse ordinaire m'attendait. En raison de la guerre qui faisait rage dans le sud, il était plus sage de voyager comme le commun des mortels. Nous devions rester discrets et ne pas attirer l'attention.
Mes suivantes pleurèrent en me faisant leurs adieux. À ce moment-là, j'étais comme déconnectée. Mon corps bougeait et je parlais, mais je ne me sentais plus moi-même.
« Tu es magnifique, ma sœur. Merci infiniment de faire cela. » Rhidian m'étreignit plus fort que jamais.
Je lui tapotai le dos machinalement, sans vraiment ressentir son étreinte. Dans mon esprit, j'étais ailleurs, dans un endroit sans guerre, sans princesse disparue, et où je ne prenais pas sa place.
« Faire cela ? Ce n'est que pour un court moment. Je serai bientôt de retour pour prononcer mes vœux, mon frère. »
« Oui, tu le seras, ma sœur. » Ses yeux brillaient de larmes contenues.
Père portait une haute couronne pointue qui étincelait dans la lumière du matin. Les joyaux magiques qui l'ornaient scintillaient. Sa cape rouge ondula lorsqu'il tendit les bras vers moi.
Lui qui n'était pas du genre à étreindre, il me serra très fort contre lui. Son cœur battait la chamade, et sa respiration était rapide mais silencieuse.
« Tu fais une mariée ravissante, Selene. Je suis désolé que tu n'aies pas le grand mariage que la plupart des princesses désirent », dit Père.
« Ce n'est rien, Père. Je serai heureuse de devenir prêtresse à mon retour. »
Il releva mon visage vers la lumière. « Tu ressembles beaucoup à ta mère. J'espère que son esprit veillera sur toi pendant ton voyage, princesse. »
« Merci, Votre Majesté. » Je m'inclinai légèrement lorsqu'il me relâcha.
Je sentais que j'aurais dû être plus attentive. Épuisée par une nuit de prières et l'annonce de nouvelles bouleversantes, j'avais du mal à réfléchir clairement. Je savais que mon frère et mon père agissaient étrangement, mais je m'en souciais peu tant je me sentais vide à l'intérieur.
Dans l'air froid qui annonçait l'hiver, on me revêtit d'une cape dorée et rouge aux couleurs de notre royaume. Je montai dans le carrosse qui m'attendait et fis un petit signe de la main à ma famille à travers la fenêtre. Père et Rhidian restèrent dehors tandis que le carrosse et quelques chevaliers magiciens m'emmenaient au-delà des portes du palais.
Je regardai par la fenêtre du carrosse le seul foyer que j'avais jamais connu. Lorsque je ne pus plus voir le palais et la grande cité, mon malaise s'intensifia.
