Gramps avait passé une bonne nuit, ce qui m'avait permis de grappiller environ quatre heures de sommeil.
J'étais encore dans mes fringues de la veille. Craig était rentré tard. Un gros pépin à l'hôpital l'avait retenu auprès d'un patient dans un état critique. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Après tout, je ne lui versais que la moitié du salaire habituel d'un infirmier.
Mais voilà que j'étais à la bourre pour une réunion cruciale. Je devais convaincre les pontes de la salle de concert de mettre la main à la poche pour développer le programme Wishlist. Mon idée était de réserver des blocs de places pour les élèves des écoles du coin.
Cela dit, les gens ne sont pas du genre à faire des cadeaux. Offrir un billet qui aurait fini à la poubelle de temps en temps, passe encore, mais là, c'était une tout autre histoire.
Mon entrée a fait sensation, débarquant sur le tard à la réunion du conseil, mais pas vraiment comme je l'avais imaginé. J'ai néanmoins réussi à capter l'attention de tout le monde.
En me précipitant dans la salle, mon sac s'est accroché à la poignée de la porte, répandant son contenu partout. Me voilà à quatre pattes, essayant de rassembler mes affaires.
J'ai levé les yeux et je l'ai aperçu — l'homme de la loge VIP, me toisant d'un air réprobateur. J'ai su que j'étais mal partie avant même d'avoir ouvert la bouche.
Amelia Donavan. Son nom figurait sur la liste du conseil, mais elle n'était pas dans la salle avec les quelques personnes assises sur des chaises pliantes devant la longue table réservée aux membres du conseil comme moi.
J'ai été déçu quand la réunion s'est terminée sans qu'elle ne se montre. Mais soudain, la porte s'est ouverte et elle a failli trébucher en entrant.
Ce n'était pas aussi maladroit que ça en a l'air. Elle se déplaçait avec grâce, et j'ai apprécié la voir à genoux, ses boucles tombant sur son visage empourpré.
Le contenu de son sac s'était répandu par terre, exposé aux yeux de tous. Il y avait des papiers en vrac, une sucette, un baume à lèvres, des tampons et un crayon.
Elle a levé les yeux et a vu tous les membres du conseil avant de croiser mon regard. Elle m'a adressé un sourire franc et charmant. J'ai pris un air sérieux pour m'empêcher de rire, et elle a fait de même.
Elle a baissé les yeux et a vite remis ses affaires dans son sac, laissant de côté les papiers et le crayon, puis s'est assise sur une chaise en métal.
Je l'ai observée ramener sa chevelure épaisse en arrière pour faire un chignon, utilisant le crayon pour le maintenir. Mais quelques mèches s'échappaient déjà, comme si elles voulaient caresser son visage.
Il y avait quelque chose de très intime dans sa façon d'arranger ses cheveux, quelque chose de très naturel et d'excitant.
La réunion touchait déjà à sa fin avant qu'elle ne réalise qu'elle était arrivée trop tard.
« Non ! » s'est-elle exclamée en se levant, sans remarquer qu'elle avait de nouveau renversé son sac. « S'il vous plaît, je suis désolée d'être en retard. Mais ça ne prendra qu'une minute. J'ai déjà envoyé le plan pour développer la Wishlist... »
« Nous avons déjà pris notre décision, Mademoiselle Donovan », a déclaré Byron, le président du conseil, en rangeant ses papiers dans sa mallette.
« Mais écoutez-moi, s'il vous plaît ! Vous ne faites pas que du bien, vous vous aidez vous-mêmes. Vous créez de futurs fans et soutiens. »
Byron était presque à la porte quand il s'est retourné vers moi. « Brad, tu nous as aidés avec ça, tu veux t'en occuper ? » a-t-il demandé. Mais ça ressemblait plus à un ordre qu'à une question.
J'étais maintenant seul avec Amelia. Elle s'est approchée de moi et m'a regardé. Ses mains étaient serrées et elle semblait au bord des larmes.
« C'est parce que je vous ai bousculé et que j'ai bavé sur vous ? »
Je n'ai pas pu m'empêcher d'esquisser un sourire.
« Tous les utilisateurs de la Wishlist ne sont pas comme moi. »
« Je l'espère bien », ai-je dit. C'est ce qui la rendait unique. « Écoutez, Mademoiselle Donovan, vous ne comprenez pas », ai-je commencé.
« Oh, je comprends très bien. Les gens comme vous ont les meilleures places, pas seulement ici, mais dans la vie, et vous essayez de nous tenir à l'écart. » Elle s'est encore rapprochée.
« La musique est pour tout le monde. C'est juste un genre que vous essayez de contrôler. Et il va mourir si vous n'y apportez pas une nouvelle énergie. Vous avez besoin de tout le monde dans ces sièges, pas seulement de riches ennuyeux. »
« Avez-vous fini ? » ai-je demandé.
« Non. Vous allez au moins avoir la décence de m'écouter. »
« Je n'ai pas besoin de vous écouter. Voyez-vous, le conseil a décidé de financer votre projet. »
Sa bouche s'est ouverte en grand. J'ai observé chaque émotion se refléter sur son joli visage. « Pourquoi ne me l'avez-vous pas dit ? »
Parce que je suis un peu taquin. Et je voulais la voir contrariée. Et passionnée.
J'ai haussé les épaules. « Quand nous en avons discuté, je leur ai rapporté ce que vous m'aviez dit hier soir. Ce n'était pas difficile, tout le monde était d'accord, sauf sur le montant à accorder. »
« Attendez, vous voulez dire qu'ils n'ont pas accordé tout l'argent que j'avais demandé dans le plan ? » a-t-elle demandé, sa voix tremblant légèrement.
Elle semblait si vulnérable. J'avais envie de toucher son visage et de la réconforter, mais j'aimais la voir si ouverte et sans défense. C'était excitant de jouer avec elle. J'avais envie de rire. Au lieu de cela, je l'ai regardée sérieusement.
« Non », ai-je dit. « Ils ne l'ont pas fait. »
Je n'avais jamais mis les pieds dans un parc d'attractions. Il existe des façons moins onéreuses et plus sûres de se divertir. Pourtant, cet homme me donnait l'impression d'être sur un grand huit à sensations fortes.
« Combien ont-ils offert pour la liste de souhaits ? » ai-je demandé, m'attendant au pire.
« Le double de ce que vous aviez demandé. »
« Arrêtez de vous moquer de moi. Vous plaisantez, n'est-ce pas ? »
« Pas le moins du monde. »
Je l'ai dévisagé. Son expression était sérieuse mais semblait empreinte de sincérité.
« Je ne sais comment vous exprimer ma gratitude », ai-je dit lorsque j'ai enfin retrouvé l'usage de la parole.
Ses yeux se sont plissés, et simultanément, ses pupilles se sont dilatées. Je ne saurais l'expliquer clairement, mais j'ai eu comme une révélation à cet instant. J'ai compris qu'il avait une idée très précise de la façon dont je pourrais lui témoigner ma reconnaissance.
