
Je me réveille dans une chambre blanche. Des machines émettent des bips autour de moi. Je tourne la tête et aperçois mon père assis sur une chaise en plastique, la tête entre les mains.
« Papa ? » Ma voix est rauque et ma gorge me fait atrocement mal. Il lève les yeux et je constate qu'ils sont rougis.
« On a bien cru te perdre aussi... », dit-il doucement.
« Ta mère... ta mère est partie te chercher en voiture... » Il déglutit. « On pensait que tu avais fugué... »
Une larme coule sur son visage. Il l'essuie et se lève. Il s'approche de la fenêtre et me tourne le dos.
« De l'héroïne ? Rosa-Lee ! Tommy nous a dit que tu buvais comme un trou, mais de la drogue ? » Sa voix est empreinte de chagrin.
J'ai envie de me lever et de me blottir dans ses bras, de sentir l'étreinte de mon père. Puis je réalise que j'ai mal partout, comme si on m'avait rouée de coups.
« Ta mère et moi avons décidé de t'envoyer dans un endroit pour les gens... comme toi. »
« Qu'est-ce que tu veux dire, comme moi ? » Ma gorge me brûle vraiment.
« Les jeunes qui traversent une passe difficile. Ils t'aideront à décrocher et à surmonter la perte de Dy... »
« Ne prononce pas son nom », je le coupe net. Les épaules de mon père s'affaissent.
« Ma chérie, ça fait un an et tu ne peux toujours pas entendre son nom. » Il s'approche et s'assoit sur le lit à côté de moi, prenant ma main dans la sienne.
Quand j'étais gamine, j'avais toujours remarqué à quel point ses mains étaient plus grandes que les miennes. Même maintenant, sa main englobe complètement la mienne. Je fixe nos mains jointes, évitant son regard.
« Ce n'est pas bon, et ça ne nous aide pas à faire notre deuil quand on ne peut pas parler de lui devant toi. » J'essaie de retenir mes larmes et hoche légèrement la tête pour montrer que j'ai compris.
« Les gens de Rainbow House vont bientôt arriver pour te chercher. Ils nous ont dit qu'il vaut mieux te laisser passer la phase difficile du sevrage avant qu'on vienne te voir. »
Je me mets à sangloter et je m'accroche à mon père comme à une bouée de sauvetage.
« Chut. Ça va aller ma petite fille, tout ira bien. » Il me berce doucement et caresse mes cheveux.
Je suis assise, tremblante et nauséeuse, sur une chaise inconfortable au possible, regardant l'infirmière changer mes draps souillés. Encore une fois.
C'est tellement humiliant de devoir appeler quelqu'un que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam pour m'aider quand j'ai sali le lit, me laver et changer mes vêtements.
Bien sûr, ils s'y attendent, le matelas a une protection en plastique facile à nettoyer.
« C'est fait, ma belle. » L'infirmière, Katie, m'adresse un sourire bienveillant. Je retourne lentement dans le lit et me glisse sous les draps propres. Je suis surprise de constater que mon pyjama propre est déjà trempé de sueur.
Quand ce n'est pas la diarrhée, c'est la transpiration, ce qui fait que mes draps doivent être changés au moins une fois par jour. Je me sens vraiment sale.
« Je vais t'apporter plus d'eau et un médicament pour ton estomac. »
« C-combien de t-temps encore... » j'essaie de demander. Elle sourit à nouveau, ramassant le seau d'eau brunâtre.
« Combien de temps tu te sentiras comme ça, ma belle ? Eh bien, ça dépend de la quantité et de la fréquence de ta consommation, mais je pense que dans quelques jours tu te sentiras un peu mieux. »
Elle éteint la lumière principale, ne laissant que la douce lumière jaune de la lampe de chevet. « Essaie de dormir un peu maintenant, d'accord ? »
La porte se referme derrière elle. Je reste allongée dans la pénombre, tremblante, essayant de trouver le sommeil. Mais ce n'est pas de la tarte.
J'ai l'impression que quelqu'un essaie de me plier en deux tout en me frappant l'estomac. Mes jambes bougent toutes seules, s'emmêlant dans les draps.
Juste au moment où je commence à m'endormir, une nouvelle vague de douleur me réveille.
Les bruits alentour n'aident pas non plus. J'entends des gémissements presque en permanence, ponctués de cris et de coups violents.
Ça fait presque deux semaines que je suis à Rainbow House. Mon corps revient presque à la normale. Ma peau me démange et j'ai encore du mal à garder la nourriture, mais je n'ai plus de fièvre et j'ai arrêté d'avoir des accidents. C'est déjà ça.
Mon médecin ici, le Dr Greene, a décidé que j'avais besoin de séances de thérapie avec mes parents. À partir d'aujourd'hui.
Je suis assise à une extrémité d'un canapé violet foncé, les genoux remontés sous le menton, mon pull tiré par-dessus. Ma mère est assise à côté de moi, essayant de me tenir la main tout en retenant ses larmes, pendant que le Dr Greene leur explique comment va se dérouler mon traitement.
Je me mords l'intérieur des joues et enroule un fil de mon pull autour de mon doigt, regardant celui-ci devenir lentement rouge.
Je lève les yeux vers mon père, assis silencieusement de l'autre côté de la pièce. Il semble avoir pris dix ans en l'espace de quelques mois.
Je me sens terriblement coupable de la peine et de l'inquiétude supplémentaires que je lui ai causées.
Le Dr Greene ouvre son carnet et nous demande d'exprimer ouvertement ce que nous ressentons en ce moment.
Mes parents passent le reste de l'heure à dire à quel point ils sont heureux que je reçoive enfin de l'aide, et combien je leur manque à la maison.
Je reste assise en silence, fixant mon doigt autour duquel le fil est serré, le regardant lentement virer au violet. Je remarque à peine ma mère qui m'embrasse sur la tempe et mon père qui ébouriffe mes cheveux.
Le Dr Greene s'éclaircit la gorge, ce qui attire mon attention.
« Eh bien, pour trois personnes qui font face à la perte de quelqu'un qu'elles disent avoir aimé, vous faites un excellent travail pour ne pas en parler. » Je lui lance un regard noir et il hausse un sourcil.
« Enfin ! Un semblant d'émotion de ta part. » Il esquisse un sourire et j'ai envie de lui tirer la langue.
« Si tu as appris à gérer tes émotions avec ces deux-là, je comprends pourquoi tu t'es tournée vers la drogue », dit le Dr Greene en désignant mes parents.
« Ça ne ressemble pas à ce qu'un thérapeute devrait dire », je rétorque.
« Peut-être que je pense que tu as plus besoin d'un ami que d'un thérapeute en ce moment. » Il se cale dans son grand fauteuil en cuir qui émet un léger grincement.
« Je crois que tu n'as pas eu l'impression d'avoir un ami à qui parler depuis la mort de Dylan. »
Je n'arrive plus à respirer. La douleur dans ma poitrine menace de me déchirer en deux.
Je pose mes pieds au sol et me penche en avant, pressant ma poitrine aussi fort que possible contre mes jambes. Je vois des points lumineux devant mes yeux.
« Respire, Rosa. » Une grande main chaude me frotte le dos de haut en bas. « Tu fais une crise de panique. Inspire profondément par le nez et expire par la bouche. »
J'ai l'impression de flotter, emportée par les ténèbres.