
Meredith dévale les marches du porche et traverse l'allée d'un pas vif. Je siffle pour appeler Puck et m'empresse de la rattraper, mon fidèle compagnon sur les talons.
« Meredith, je ne voudrais pas causer de soucis en restant ici... »
Meredith me jette un coup d'œil mais continue d'avancer rapidement.
« Ne t'en fais pas. Maintenant que tu es là, tu dois rester. Il faut bien que ces messieurs apprennent qu'ils n'ont pas toujours raison, surtout celui-là », dit-elle. Je ne peux m'empêcher de sourire.
« J'adore mon fils, mais qu'est-ce qu'il peut être têtu. »
Je ris en repensant à leur prise de bec sur le perron.
Plusieurs bâtiments parsèment la propriété et nous nous dirigeons vers le plus beau (hormis les maisons).
Je jette un œil en arrière vers la maison d'hôtes où Lance Teller vient de rentrer en claquant la porte.
La grange se trouve à environ 150 mètres. Elle est d'un rouge éclatant avec des bordures blanches et de grandes fenêtres donnant sur les champs.
Meredith continue de grimper un escalier en bois sur la gauche. En haut, elle déverrouille la porte d'une pièce étonnamment agréable.
Je contemple l'appartement avec émerveillement.
Comme tout le reste au domaine Teller, l'appartement est bien plus charmant que ce que Meredith avait laissé entendre. Il est petit, mais je n'ai pas besoin de beaucoup d'espace.
De grandes fenêtres offrent une vue sur la partie basse de la ferme, y compris les écuries où des gens montent à cheval et s'occupent des animaux.
Le soleil de fin d'après-midi baigne le grand lit de sa lumière dorée et il y a un petit canapé et un bureau sur la droite qui forment un coin salon.
Une kitchenette se trouve dans le coin droit et une porte de salle de bain est ouverte juste à côté. C'est un parfait petit studio pour Puck et moi.
« Tu commenceras le travail demain à 7 h. Tu travailleras certains week-ends, mais Lance te préviendra le vendredi si nécessaire.
« Nous recevons des livraisons tous les jeudis donc tout le monde met les bouchées doubles le mercredi car les camions arrivent aux aurores.
« Tu seras payée par chèque toutes les deux semaines. Le salaire est de 500 € par semaine, on déduira le loyer au début de chaque mois », dit-elle rapidement. « Des questions ? »
« Non madame », je réponds en regardant autour de moi. « Vous êtes sûre que ça ne pose pas de problème que Puck et moi restions ici, Meredith ? Je ne voudrais pas causer d'ennuis. »
« Ne t'en fais pas. Tu t'y feras vite et tu te sentiras comme chez toi, crois-moi. Pourquoi ne viendrais-tu pas dîner à la maison ?
« Il y aura de quoi nourrir un régiment et ça t'aidera à faire connaissance avec les autres », dit-elle en s'affairant à arranger les coussins et vérifier les placards.
« Oh, non merci. Une autre fois peut-être. »
« Que vas-tu manger alors ? » Elle se tourne vers moi, les poings sur les hanches. Je ne sais pas quoi répondre.
« C'est bien ce que je pensais. Il est 15 h maintenant, je te verrai à 17 h pour que tu m'aides à éplucher les patates », dit-elle.
Puis Meredith me donne les clés et quitte la pièce aussi vite qu'elle est arrivée.
Après avoir regardé Meredith retourner à la maison en parlant à quelques personnes en chemin, je monte et conduis mon camion jusqu'à la grange.
Il y a plusieurs places de parking le long du bâtiment et je pense que c'est bon de garer mon vieux tacot là. Je récupère mon sac poussiéreux à l'arrière du véhicule.
J'envisage de réparer la courroie de distribution mais décide que je devrais plutôt laver quelques fringues tant que je le peux. On dirait que je vais avoir du pain sur la planche pendant la journée.
Je suis habituée au travail dur. Depuis un an, je sillonne la France, enchaînant les petits boulots par-ci par-là puis campant dans des coins perdus aussi longtemps que mon porte-monnaie me le permettait.
Mes proches disent que je devrais arrêter de fuir ma tristesse, mais je sais que ce n'est pas une question d'évasion.
La douleur me suit partout où je vais, mais elle semble plus facile à supporter quand je suis assise au bord d'un lac lointain ou au sommet d'une montagne enneigée.
Pendant que je lave mes vêtements dans la grande baignoire, j'entends un coup bref et fort à la porte. Puck émet un grognement sourd.
Je regarde l'horloge et vois qu'il reste encore 20 minutes avant que Meredith ne m'attende à la maison, donc je sais que je ne suis pas en retard.
J'ouvre la porte avec les mains savonneuses et mouillées et vois Lance, fraîchement rasé et douché. Il commence à parler, mais je vois son regard descendre sur ma poitrine.
Avant que je ne puisse m'en empêcher, je baisse les yeux et vois que mon t-shirt est mouillé à cause de la lessive. Il rit, ce qui me fait rougir, et je croise les bras sur ma poitrine en le regardant avec colère.
« Allons-y », dit Lance.
« Euh, où ça ? »
« Je dois m'assurer que ton chien n'essaiera pas de croquer mes bêtes. »
Je lève les yeux au ciel. « Quel est ton problème avec mon chien ? » je demande.
« Écoute, Jen... »
« C'est Wren. »
« D'accord. Wren, j'ai juste besoin de m'assurer qu'il ne fera de mal à rien ici. S'il est aussi bien dressé que tu le dis, ça ne devrait pas poser de problème, non ? »
Je le regarde un moment. S'il n'était pas si agaçant, je serais plus mal à l'aise en sa présence. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi... beau en chair et en os.
« D'accord », j'accepte. « Laisse-moi... me rafraîchir rapidement. »
« Ok. »
Lance entre dans le studio et s'assoit sur le canapé à côté du lit. Je le regarde, choquée.
« Quoi ? Tu veux que j'attende dehors ? » Il s'adosse au canapé et relève légèrement son chapeau de cowboy en me faisant un petit sourire en coin. Ça me fait un peu d'effet mais ça m'agace aussi beaucoup.
« Argh, tu es vraiment une personne agaçante », je dis en attrapant mon sac à moitié vide pour aller dans la salle de bain.
J'enlève mon t-shirt mouillé et enfile un haut propre à manches longues et col en V. Je mets du déodorant puis peigne mes cheveux courts et ondulés avec mes doigts. J'ai l'air... d'avoir roulé ma bosse.
« Tu fais ta lessive ici ? Tu sais qu'on a des machines à laver et des sèche-linge, hein ? »
« Je préfère le faire comme ça », je réponds. J'enfile une veste en jean et siffle pour appeler Puck, qui était allongé sur le tapis de la salle de bain.
Lance nous emmène en bas dans un champ près de la grange où je vois plusieurs moutons et chèvres en train de brouter. Le soleil est plus bas maintenant et il commence à faire plus frais.
« Il sait garder ? » demande Lance.
« Oui », je réponds.
« Il s'arrête quand tu lui dis ? »
« Oui. »
« Montre-moi. »
Je soupire et enjambe la barrière métallique pour entrer dans le champ. Je siffle brièvement et Puck me suit d'un bond rapide par-dessus la barrière. Il me regarde, prêt à travailler.
Je me penche.
« Puck... rassemble ! »
Puck court rapidement vers les moutons et les encercle, aboyant doucement pour les guider en un grand cercle.
J'en vois quelques-uns sur le côté qui ne suivent pas.
« Regarde derrière ! »
Puck regarde autour et voit les deux retardataires. Il les encercle facilement et les ramène avec le reste du groupe.
« Éloigne-toi ! »
Puck s'assoit et surveille le groupe tout en attendant patiemment le prochain ordre.
« Avance, ici ! »
Soudain, il se dirige vers les animaux et les sépare, divisant rapidement le groupe en deux plus petits groupes.
« Bon garçon, ça ira ! »
Puck revient en courant à travers le champ vers moi. Je regarde Lance avec un sourire fier sur le visage.
Il soupire en me regardant et croise les bras sur son large torse.
« Où a-t-il appris tout ça ? »
Je gratte l'oreille de Puck. « On a travaillé dans une autre ferme l'année dernière dans le Cantal », je dis.
Je vois les sourcils de Lance se lever de surprise alors qu'il continue de me fixer. Je sens mon visage chauffer et j'attends qu'il dise quelque chose, mais il reste silencieux en me regardant.
« Euh, j'ai dit que j'irais aider ta mère, alors je ferais mieux d'y aller », je dis.
Lance se contente de hocher la tête et nous commençons à marcher vers la maison côte à côte, Puck me suivant.
« Alors, euh, tu as grandi ici ? »
Lance me jette un coup d'œil rapide puis s'éclaircit la gorge.
« Oui », c'est tout ce qu'il dit.
« Cool. Ta mère a dit que tu prenais une pause ? »
Je vois sa mâchoire se crisper à nouveau.
Je hoche simplement la tête. Je ne sais pas quoi dire d'autre, alors nous marchons en silence le reste du chemin.