
Adopte un Loup
Sana Mattei revient dans son village natal après des années d'absence, cherchant à renouer avec la tranquillité de son enfance. Entre la réouverture de son atelier de couture et les retrouvailles avec des visages familiers, son quotidien est bouleversé par une présence mystérieuse en lisière de forêt, éveillant curiosité et crainte. Ce retour aux sources, teinté de nostalgie et d'aventures inattendues, l'entraîne dans une quête personnelle où le passé et le présent se mêlent, révélant des secrets longtemps enfouis sous la quiétude du village.
Enfin de retour
Sana
Rien n’a changé ici… c’est fou. C’est fou mais c’est génial, parce que c’est exactement ce que je voulais.
Retrouver ce sentiment de quiétude que je n’ai connu qu’ici. Le village est le même que quand je l’ai quitté, il y a quinze ans.
Je traverse les petites ruelles avec ma petite voiture rouge. J’observe les petites bâtisses familières en pierre beiges. J’ai l’impression d’être en vacances, alors que je m’installe aujourd’hui dans ma nouvelle vie.
Les gens sont beaux, souriants et tranquilles. Certains me saluent poliment sans même savoir qui je suis, juste par gentillesse… Ils ne savent pas que ce simple geste et ce sourire illuminent ma journée déjà délicieuse.
Ça fait des mois que j’attends ça… Des années, même, si je réfléchis bien. Mon cœur n’a jamais quitté cet endroit.
J’ai grandi ici, c’était tout mon monde. J’étais heureuse et insouciante, c’était la belle vie. Et puis, mes parents ont décidé de se séparer.
Alors, à 13 ans, le cœur déjà meurtri par la séparation des deux êtres que j’aime le plus au monde, on m’a achevé en m’apprenant que je devrais quitter ces lieux, qui sont pour moi les plus plaisants du globe.
Mes parents ne pouvaient malheureusement pas envisager de rester ici. Mon père est retourné dans sa Corse natale, et j’ai suivi ma mère jusqu’à Paris.
Je vais passer des vacances chez mon père deux fois par an depuis, en hiver et en été. C’est peu, mais c’était difficile de faire autrement. J’aime beaucoup y aller, mon père a une grande famille, contrairement à ma mère qui a perdu ses parents quand elle était ado.
Elle a dû se débrouiller seule très vite. Ma mère a toujours été ambitieuse, elle se sentait un peu isolée ici. Alors lorsqu’on est arrivées à Paris, elle a acheté un petit local pour ouvrir sa boutique de vêtements.
Elle proposait du prêt à porter, mais aussi du sur-mesure. C’est une excellente couturière. On allait tous les ans passer un week-end à Istanbul pour sélectionner des tissus, puis elle les travaillait dans son atelier, dans l’arrière-boutique.
De mon côté, j’ai fait des études afin de savoir gérer un business. Je voulais développer la petite entreprise de ma mère. Depuis mes 6 ans, je sais parfaitement utiliser une machine à coudre.
Alors, j’ai rapidement aidé ma mère à l’atelier. Elle ne me demandait rien, c’était simplement par plaisir. Nous vivions dans un petit appartement de banlieue, ce n’était pas le top, mais ce n’était pas la déprime non plus.
Nous passions le plus clair de notre temps à la boutique. À 23 ans, j’ai commencé à prendre les rênes de la gestion de l’entreprise et on a acheté un local plus grand.
J’ai engagé du personnel, et choisi d’autres fournisseurs de qualité pour le prêt à porter. Nous importons toujours nos tissus de Turquie pour les créations.
Notre clientèle n’est pas vraiment dans la tranche d’âge ado/jeune adulte. C’est plutôt du classique de bonne qualité. Nous créons des tailleurs sur-mesure, des robes de cocktails, ainsi que des vêtements uniques sur commande.
Nous avons maintenant trois boutiques qu’on fait gérer par des personnes de confiance, et ma mère supervise un grand atelier avec son amie styliste. Elle vit dans un appartement un peu plus confortable à côté de son atelier.
Elle est heureuse, elle a réussi à réaliser son rêve. Je suis contente d’avoir pu y contribuer, mais j’ai toujours eu envie de partir.
Aujourd’hui, le business tourne bien, alors je prends mon propre envol. Je gère toujours l’entreprise de loin, et je me rendrais à Paris en train régulièrement.
Mais je vais maintenant pouvoir adopter ma petite vie tranquille, et profiter de ce calme après ces années de dur labeur. J’ai avec moi ma machine à coudre avec dans l’idée de proposer des créations sur-mesure ici, on verra s’il y’a de la demande.
Je n’arrive pas à ne pas sourire, même quand il n’y a rien ni personne à qui sourire. C’est simplement le fait d’être enfin là, et de savoir que je reviens pour de bon.
J’ai acheté un petit pavillon parfaitement placé, non loin du centre ancien de la petite ville à taille humaine, mais juste en bordure de forêt dans laquelle je compte bien passer du temps à profiter de l’odeur des bois au petit matin avec de longues promenades ou mes footing bihebdomadaires.
Cette forêt que j’ai déjà tant foulé avec mes amis, à l'époque... est idéale. Elle est dégagée, il y a de petits sentiers, on ne s’y sent pas isolé. On s’y repère facilement.
Ce retour aux sources va me faire un bien fou, je le sais. La grande vie en métropole n’est pas pour moi. J’ai essayé, ça oui.
Et même si je ne m’y sentais pas à ma place, j’ai su y tirer des avantages dont je profite aujourd’hui. J’ai pu acheter un logement ici sans trop de problème, j’avais déjà un capital de départ important.
La négociation du prêt à la banque n’était qu’une formalité, avec un apport aussi conséquent. Je voulais pouvoir vivre ici de manière sereine avec de petites mensualités, ce qui me permet de profiter, de me détendre, et de ne plus me tuer au boulot comme une bête de somme.
Ces années de stress, d’insomnies et de tension nerveuse sont derrière moi. Aujourd’hui est ma récompense.
Je continue à saluer les passants, j’ai envie d’être amie avec tout le monde… J’espère retrouver des personnes que j’ai connu. Le couple qui tenait la boulangerie, le monsieur qui gérait l’épicerie, les musiciens qui viennent jouer sur la place du marché le dimanche.
L’accordéoniste avec sa casquette de marin et la belle dame qui chantait avec lui. Les frères avec leurs guitares et leurs anciens chants de pirates. Et la violoniste qui nous emporte dans ses complaintes.
Le dimanche on était dehors presque toute la journée pour profiter de la vie festive et joyeuse qui règne ici. Il y avait le marché le matin, puis on mangeait en terrasse le midi, chez Rosa, le meilleur restau du coin.
Pourvu qu’il soit encore là … Et l’après-midi, on profitait de l’ambiance en riant et discutant avec tout le monde. Les adultes sirotaient leur café en jouant aux cartes, pendant que les enfants jouaient et dansaient sur la musique rythmée et joviale de la guitare ou l’accordéon.
C’était tellement plus agréable qu’à la maison… Mes parents avaient du mal à se supporter, les dernières années. Alors on était tout le temps avec du monde, on sortait beaucoup ou on invitait tous les weekends.
Comme on est dans le sud, il fait beau très souvent. Alors les grands barbecues à la maison, c’était très courant. Mes parents recevaient leurs couples d’amis, dont les parents de Mélie, mon amie d’enfance.
La meilleure du monde. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Je n’ai jamais pu reprendre contact avec elle.
Quand je suis partie, les téléphones mobiles étaient encore difficilement accessibles, peu pratiques, et j’étais trop jeune pour avoir ça. Nous sommes partis tellement vite, je n’ai pas eu le temps de vraiment organiser mon départ.
J’ai seulement gardé le numéro de téléphone fixe de ses parents, et son adresse. On a pu échanger quelques lettres et des coups de fil de temps en temps. C’était très régulier au début, et puis, comme souvent, ça s’est raréfié avec le temps.
J’ai eu envie d’appeler ses parents à plusieurs reprises depuis que j’ai pris la décision de revenir. Mais je me suis ravisé à chaque fois en me disant que ce serait encore mieux si je venais les saluer en personne, en espérant qu’ils habitent toujours la même maison.
Mon téléphone sonne, je décroche à l’aide de l’écran de la voiture.
« Salut maman ! »
« Coucou chérie ! Alors, tu es arrivée ? »
« Presque ! Je suis au village, en tout cas. Je roule au pas. »
« C’est comme avant ? »
« Pour l’instant, j’ai bien l’impression ! Maman, il y a vraiment cette même ambiance qu’auparavant, je le sens. »
« Ah, je l’espère. Qu’au moins, ce coup de folie te rende heureuse. »
« Arrête d’appeler ça un coup de folie. Je veux revenir ici depuis toujours. »
« C’est vrai… Mais bon, tu aurais pu louer un petit appartement, c’est plus facile à quitter au cas où finalement, tu décides de repartir. À 28 ans, vouloir déjà une petite vie de retraitée, c’est surprenant.
Une fois la nostalgie passée, tu peux t’ennuyer, trésor. Et puis tu as acheté sans avoir vu la maison, vraiment… désolée mais pour moi c’est bien un coup de folie. »
« J’ai fait une visite vidéo, c’était suffisant. Je n’aurai pas du tout envie de repartir, je le sais. J’adore cet endroit. J’en ai assez de la ville, on en a déjà parlé. Vivre dans le béton, les uns sur les autres, dans le bruit de la circulation et la course au profit, ce n’est pas pour moi. Je pense que j’ai donné suffisamment d’années à cette vie de stress dans la jungle urbaine. Je vais être comme un coq en pâte, ici. »
« Si tu le dis, ma puce. En tout cas ils vont sûrement te reconnaître, et ils seront contents de te revoir, je pense que tu seras bien accueillie. »
« Me reconnaître, je ne sais pas, mais les gens semblent tellement paisibles ici, que je suis sûre de créer des liens rapidement. »
« Une petite blonde aux yeux marrons, ce n’est pas si courant. Ils vont te reconnaître, c’est sûr. »
« On verra. Ça y est, je suis arrivée. Oh, c’est aussi charmant que sur les photos… Ma petite maison est adorable, presque aussi adorable que celles des nains de blanche neige. Plus qu’à recruter les animaux environnants. Maman, je vais te laisser, j’aimerai préparer l’arrivée du camion de déménagement. »
« Ok, mon cœur. Installe-toi bien, je viens te voir dans deux ou trois semaines. »
« Quand tu veux. Je t’embrasse, à bientôt. »
« Au revoir, ma chérie. À très vite. »
Je sors de ma voiture que j’ai garée dans l’allée, pour contempler ma nouvelle petite demeure. Elle est ancienne et nouvelle à la fois.
Tout a été refait de fond en comble, mais on garde le charme de l’ancien. La façade en pierres irrégulières beiges et le toit marron. Les volets en bois sont vernis et peints en blancs, il va falloir les nettoyer ou les repeindre souvent.
Mais c’est très mignon. Il y a un petit jardin fleuri devant, et un grand jardin derrière avec une terrasse pour manger dehors. Je pourrais prendre mon petit déjeuner à la fraîche, face à la forêt le matin…
J’ai rêvé de ce genre de petits moments qui ont l’air si simple comme ça, mais qui sont tellement précieux à mes yeux. Allez, au boulot.
Un déménagement toute seule, ça risque d’être épuisant. Mais, les déménageurs vont tout de même m’installer les meubles lourds, et pour le reste, j’ai le temps. Je n'ai pas à retourner en ville avant un mois.










































