Rhidian a tenté de me faire changer d'avis pendant le dîner. Je voyais bien qu'il était épuisé par les combats. Il avait perdu beaucoup de gens qui lui étaient chers.
« Sélène, je t'en conjure, réfléchis encore. Avec Cressida disparue, tu es ma seule sœur », me dit-il.
« Ne t'inquiète pas pour moi, ça ira. Je sais ce que je fais. »
Il s'est emporté et m'a traitée de tête de mule et d'idiote jusqu'à ce qu'Eskel emmène le prince hors de la pièce.
Même si j'avais la frousse et me sentais faible, je croyais que les dieux étaient de mon côté. En attendant de retrouver Cressida, je ferais le nécessaire pour sauver notre pays.
Après le départ du conseil de la salle de guerre, j'ai demandé à Père ce qu'ils savaient sur Cressida. Lui et Rhidian n'avaient aucune information sur sa disparition. Ils ignoraient si on l'avait enlevée ou si elle était partie de son plein gré. Et s'ils en savaient plus, ils ne m'en disaient rien. À part le conseiller qui a dit que je n'étais pas assez jolie pour me faire passer pour ma sœur, aucun des autres ne s'est opposé à leur empereur.
Cressida avait-elle eu vent des rumeurs sur le fait que notre père voulait la marier ? S'était-elle enfuie ? Je ne pouvais m'empêcher de me poser la question, repensant à sa dernière étreinte. Sentir à quel point elle semblait fragile me confortait dans l'idée que je devais faire tout mon possible pour sauver notre pays, même si je commençais à douter de moi.
C'était ma dernière nuit au palais. J'ai regardé autour de ma chambre, essayant de tout graver dans ma mémoire pour emporter ces souvenirs avec moi.
Au coucher du soleil, quelqu'un frappa à la porte. L'impératrice Arima, les yeux embués de larmes, se précipita pour m'étreindre. Elle n'était pas ma mère, mais depuis la mort de celle-ci, elle m'avait traitée presque aussi bien que ses propres enfants. Elle savait qu'elle ne pouvait rien contre les désirs du roi, et ne m'avait jamais reproché l'attirance de mon père pour ma mère.
« Sélène, merci infiniment pour ce que tu fais pour la couronne, la famille et notre pays », dit-elle d'une voix tremblante.
« Je ne fais que ce que n'importe qui ferait », répondis-je.
« Tu es si courageuse. Je sais que tout ira bien. N'oublie jamais d'où tu viens », ajouta-t-elle.
« Je n'oublierai pas. Et Madame, je suis sûre qu'ils retrouveront Cressida. Elle sera de retour saine et sauve avant que le Black Adder n'atteigne la capitale. »
Je devais y croire, sinon je perdrais tout mon courage.
Ashla est venue du temple pour prier avec moi. Nous avons prié toute la nuit pour que ma sœur soit retrouvée et que mon voyage se passe bien. Ashla était grande prêtresse et une amie de ma mère du temps où elle était oracle. Je lui faisais confiance comme à un mentor. Ses paroles et le calme de sa voix m'insufflaient du courage.
« Souviens-toi, mon enfant, tu ne vas pas réellement épouser le roi. Tu vas simplement te faire passer pour ta sœur », dit-elle. « Ne le laisse pas te toucher, sinon tu ne pourras plus devenir prêtresse une fois la guerre terminée et ton retour au temple. » Les prêtres et prêtresses ne doivent pas avoir de relations sexuelles et doivent réserver leur amour uniquement aux dieux.
Je rougis en imaginant ce qu'elle disait. Même si je ne savais pas à quoi ressemblait le roi de Sharkan, on disait qu'il était très séduisant. Même en tant que jeune femme vierge, j'en savais assez sur les désirs du corps, grâce à Cressida. Il était facile d'imaginer un beau roi me soulevant pour faire l'amour avec moi.
À Valeruhn, il était normal d'avoir des désirs sexuels, mais en tant que future servante des dieux, mon corps n'était pas fait pour être touché par un amant. Agenouillée près d'Ashla à réciter des prières jusqu'à l'aube, mes doigts effleurèrent mes lèvres, me demandant ce que ça ferait d'échanger un baiser passionné.
À part un baiser maladroit avec le fils du cuisinier du palais dix ans plus tôt, personne ne m'avait touchée. Je ne connaissais le sexe qu'à travers les histoires de mes frères et sœurs et des livres secrets sur les amants. Ces rêves resteraient à jamais des fantasmes. Je ne pouvais pas risquer mon avenir au temple. J'avais promis d'achever ce que ma mère avait commencé avant de tomber enceinte de moi.
Ma mère était née avec le don de voir l'avenir. Elle était Grande Prêtresse quand mon père remarqua sa beauté et la convainquit de coucher avec lui. Quand il devint évident qu'elle était enceinte, elle dut quitter le temple. Mère fut assez heureuse comme maîtresse de l'empereur jusqu'à ce qu'elle tombe malade et meure, mais je savais que son cœur avait toujours appartenu aux dieux.
Je voulais terminer le travail au temple qui lui avait été arraché. Toute ma vie, cela m'avait semblé être la seule chose que je pouvais faire pour compenser ce qu'elle avait perdu. Puisque je ne pouvais pas faire de magie, c'était mon destin.
Alors que faisais-je maintenant ? Partir pour le royaume de l'ouest pendant qu'ils cherchaient ma sœur serait la chose la plus folle et effrayante que j'aie jamais faite de ma vie. Ce n'était pas moi qui étais censée épouser le roi, mais cela faisait quand même battre mon cœur plus vite et me nouait l'estomac.
On avait ordonné à mes servantes d'emballer les plus belles robes de ma sœur pour le voyage, mais elles ne m'allaient pas bien. Ma demi-sœur était grande et mince, alors que j'étais petite avec une poitrine et des hanches généreuses. Ses robes comprimaient ma poitrine et faisaient ressortir mes seins comme s'ils allaient déborder du tissu fin.
J'essayais de ne pas m'inquiéter pour Cressida. Elle était forte et intelligente. Mais je priais pour qu'elle revienne bientôt et espérais que les dieux la gardaient en sécurité.
Je ne pouvais m'empêcher de penser qu'elle avait peut-être eu vent de son mariage avec le souverain de Sharkan et s'était enfuie. Peut-être avec quelqu'un qu'elle aimait ? Cette pensée me fit sourire. Plus j'y réfléchissais, plus il me semblait évident qu'elle savait quelque chose, ou qu'elle préparait quelque chose.
Assister au conseil de guerre et entendre l'empereur et Rhidian parler m'avait fait réaliser à quel point cette guerre était dangereuse. Et elle se rapprochait chaque jour. Mais les combats étaient encore au sud, assez loin pour que nous soyons encore en sécurité au palais. Je ne pouvais pas croire que quelqu'un l'ait soudainement enlevée sans prévenir.
Au matin, quand le soleil se leva, Ashla partit.
« Sois prudente, Sélène », dit-elle. « Je prierai pour toi pendant ton absence, et j'espère que tu reviendras saine et sauve. »
« Merci », répondis-je. Au lieu de m'apaiser, ses paroles m'inquiétèrent. Dans quoi m'étais-je embarquée ?
