Lacey Martez Byrd
SEBASTIAN
J'aurais voulu convaincre Ada d'ajouter sa demande de changement de nom à son dossier de divorce, mais ça ne s'est pas passé comme ça.
Elle voulait juste que tout soit fait le plus rapidement possible, donc c’est exactement ce que j’ai fait. J'ai contourné tous les détails - comme son nom de famille - afin d'accélérer le processus.
Ce qui expliquait pourquoi j’étais encore dans mon bureau à une heure aussi tardive un vendredi soir.
« J’y vais, M. Scott. Je retrouve des amis pour boire un verre un peu plus tard. Vous devriez venir », dit Macy en passant la tête dans mon bureau.
« Je ne ferais que vous gêner », répondis-je.
« C’est une blague ? Toutes mes amies sont amoureuses de vous. » Elle rit.
« Raison de plus pour que je reste à la maison. »
« D'accord, papi », répondit-elle en secouant la tête.
Je restais seul dans mon bureau pendant presque deux heures pour terminer le travail de la semaine. Lorsque je décidai enfin d’arrêter, il était déjà presque 20 heures.
Alors que je conduisais dans la rue de mon bureau et que je m’apprêtais à tourner, quelque chose attira mon attention.
Ou plutôt, quelqu'un.
« C'est quoi ce bordel ? » murmurai-je pour moi-même en baissant ma fenêtre.
« Ada ? » criai-je par l’ouverture.
Elle se retourna vers moi, manquant de tomber à la renverse. Elle se pencha un peu et plissa les yeux.
« Oh, Sebastian ! » Ses yeux s’écarquillèrent.
Oh mon Dieu, elle est bourrée.
« Vous rentrez à pied ? »
S'il te plaît dis non, s'il te plaît dis non, s'il te plaît dis non.
« Ouais. J’ai plus de batterie, je peux pas appeler d’Uber. »
Elle haussa les épaules et son sac à main glissa de son épaule. Heureusement, elle réussit à le rattraper avant qu'il ne tombe dans une flaque d'eau.
« Montez », dis-je en me penchant pour ouvrir la porte.
Après quelques secondes d’hésitation, elle finit par ouvrir la portière et se glissa à l’intérieur.
« Tenez, tapez votre adresse dans mon portable. » Elle prit le portable que je lui tendais et l’approcha de son visage comme si elle n’y voyait pas bien.
« C'est pas loin, vraiment. J'aurais pu marcher », reprit-elle en me rendant mon téléphone.
Je ne répondis pas à cette remarque.
Parce que c'était complètement insensé.
« Vous avez trouvé un logement dans le coin ? »
Je savais qu'elle avait eu une maison avec son ex, mais c’est lui qui l’avait maintenant.
Elle secoua la tête. « J’ai emménagé avec ma meilleure amie, Jess. Après... tout ce qui s’est passé. » Elle eut un hoquet.
« Et vous travaillez à Bolthouse Publishing, c’est ça ? C'est pratique niveau trajet. »
Elle se contenta de hocher la tête.
Je m’arrêtai ensuite devant son immeuble et je sortis pour lui ouvrir la porte. Son pied se prit alors dans le trottoir et elle trébucha. Je la retins et elle éclata de rire.
Un rire hystérique qui se transforma rapidement en pleurs hystériques.
Oh là là.
Je lui tapotai le dos alors qu’elle s’essuyait le visage en se tenant droite, essayant au moins d'avoir l'air sobre.
« Laissez-moi vous raccompagner. Je m'assurerais que vous ne tombiez pas à nouveau », plaisantai-je.
« Avec plaisir. » Elle fronça le nez.
« Sympa comme endroit », dis-je une fois en sécurité à l'intérieur du bâtiment.
Elle se contenta de hocher la tête une nouvelle fois.
« Je peux me débrouiller toute seule maintenant, Sebastian. C’est juste quelques minutes d’ascenseur. »
« Vous n’avez pas vu tous ces accidents bizarres avec des ascenseurs ? Je suis désolé, mais je vais devoir m'assurer que vous ne finissiez pas dans les faits divers de demain. »
Qu’est-ce que j’en savais au fond ? Rien du tout. Je savais juste que pour être en paix avec ma conscience, je devais la raccompagner jusqu’à sa porte.
Enfin, celle de son amie. C’était pareil.
Elle rit, et je fus presque sûr que c'était sincère, ce qui sembla d’ailleurs la prendre au dépourvu.
Nous marchâmes en silence jusqu'aux ascenseurs, et je fus un peu surpris de la voir appuyer sur le bouton du dernier étage. Et ça devait se voir sur mon visage.
« C'est une créatrice de mode. C’est le métier de Jess. C'est comme ça que nous nous sommes rencontrées, d’ailleurs. Nous faisions un article sur elle pour le magazine et Brady nous a présentées. Vous connaissez Brady, non ?
« Ah, évidemment que vous le connaissez. C'est lui qui m'a arrangé le rendez-vous avec vous… Enfin… euh, ce n’est pas ce que je veux dire... Vous avez compris. Je crois que je ferais mieux de me taire maintenant. » Elle soupira en se massant le front alors que les portes de l'ascenseur s'ouvraient.
Elle tâtonna avec ses clefs pour trouver la serrure, les laissant tomber deux fois avant que je finisse par lui proposer mon aide.
Je lui ouvris la porte, mais je ne dépassai pas le seuil.
« Vous voulez entrer ? Je peux faire du café. »
Je n'aurais vraiment pas dû, mais mes pieds bougèrent tout seuls.
Elle s'assit sur le canapé et retira ses chaussures.
« Vous voulez des enfants ? » lâcha-t-elle.
Quoi ?
« Oui, un jour. »
« Ouais, moi aussi. Un jour. » Sa voix se brisa sur le dernier mot, et j’eus l’impression que son mariage raté n’était pas la seule chose qui l’avait poussée à boire ce soir.
C'était plus profond, et ça me fit réagir étrangement. Ça me donnait envie de prendre soin d'elle, ce qui était insensé. Je ne la connaissais même pas.
« Vous savez ce que c’est, la meilleure chose à manger quand on est ivre ? » demandai-je, n’en revenant pas de ce que je m’apprêtais à faire pour une femme que je connaissais à peine.
« Hum… de la pizza ? »
« Pas loin, mais c’est la deuxième place. Le numéro un, c’est les grilled cheese », répondis-je.
Elle se redressa.
« Oh mon dieu. Je n'en ai pas mangé depuis des lustres. Je me demande si on peut en commander sur Uber... » Elle sortit son téléphone de son sac.
« Ou je pourrais vous en faire un », suggérai-je.
Elle posa son regard sur moi, les yeux plissés.
« Pourquoi vous me feriez un grilled cheese ? »
C’est vrai, pourquoi je lui en ferais un ?
« Je pense qu’un repas réconfortant vous ferait du bien en ce moment. »
Je dépassais les bornes et je le savais.
« D’accord. » Elle eut un nouveau hoquet en se recroquevillant sur le canapé.
Je me dirigeai vers la cuisine et commençai à chercher ce dont j'avais besoin.
« Jess fait toujours les courses, vous devriez trouver tout ce dont vous avez besoin. »
Elle ne plaisantait pas. Je n'avais jamais vu autant de provisions au même endroit. Je crois que je n’étais pas le seul à essayer de réconforter cette femme avec de la nourriture.
« Elle dit que je ne mange pas assez, je crois qu'elle a acheté tout le rayon produits laitiers », plaisanta Ada en entrant dans la cuisine.
« On dirait bien », acquiesçai-je.
« Et où est le beurre ? » demanda-t-elle en inspectant mes ingrédients.
« Pas besoin. C'est à ça que sert la mayonnaise. »
Elle fit une grimace de dégoût.
« Beurk. Vous allez mettre de la mayonnaise sur un grilled cheese ? »
« Oui. Et ce sera le meilleur grilled cheese de votre vie. »
Surtout grâce aux quatre variétés de fromage différents que j'ai trouvés dans le frigo.
« Si vous le dites. » Lâcha-elle en retournant dans le salon.
Pourquoi tout ça me paraissait si normal ?
Être avec elle me paraissait naturel. Ça n'avait aucun sens. Je ne connaissais rien d’elle, en dehors des détails de sa vie en lien avec son divorce, et ce n'était pas grand-chose.
Tout ce que je faisais était toujours basé sur la logique. J'essayais de ne pas donner mon énergie aux choses qui n’étaient pas parfaitement logiques.
Et plus j'y pensais, plus je réalisais qu'Ada Spencer n’avait rien de logique.
Ça me rappela soudain quelque chose.
Je posai alors son grilled cheese prêt sur une assiette et m’avançai vers le salon.
« J'ai déposé la demande pour votre changement de nom aujourd'hui. »
Elle dormait profondément, allongée sur le ventre dans le canapé.
« Ada », chuchotai-je, mais elle ne bougea pas.
Je fais quoi maintenant ?
Je ne pouvais pas la laisser allongée comme ça sur le canapé, et si elle vomissait dans son sommeil ?
C'était une mauvaise idée.
La limite devenait floue, et je n’aimais pas les limites floues.
Je devais la mettre sur le côté et partir. C'était ma seule option.
Je glissai ma main sous sa cage thoracique et la retournai sans trop d'effort.
Sa colocataire disait qu'elle ne mangeait pas assez, et j'avais entendu son abruti d'ex-mari lui demander si elle mangeait correctement quand il lui avait parlé devant le tribunal.
C’était une question débile sur le moment, mais maintenant je la trouvais plutôt pertinente.
Mon regard oscilla entre le grilled cheese et elle, avant de décider d'essayer de la réveiller une dernière fois.
« Ada. » Je tapotai son épaule.
« Humm », souffla-t-elle.
« Vous devez manger. Vous vous souvenez, le meilleur repas quand on a trop bu ? »
Elle secoua la tête. « Nan. »
Elle fit la moue avec sa lèvre inférieure, comme une enfant et je trouvai ça mignon. Beaucoup trop mignon, d’ailleurs.
Je soupirai et me levai pour partir. Au moins, elle était allongée sur le côté maintenant.
Son bras se leva en même temps que moi, et je baissai les yeux vers elle.
Ses yeux étaient encore fermés, mais elle était clairement réveillée.
Après quelques secondes, elle se mit à parler.
« Reste », chuchota-t-elle.