Ivy White
HAZEL
Quand je retourne chez Chloé, elle est sortie, et je sais avec qui. Je ne supporte pas Rhianne parce qu'elle est vraiment déconnectée de la réalité.
Parfois, j'ai l'impression qu'elle et Chloé sont meilleures amies, et que Chloé ne s'occupe de moi que parce que j'ai une vie pitoyable et qu'elle a pitié de moi.
Je marche en direction de l'arrêt de bus, je sors le peu de monnaie qu'il me reste et je m’assois sur le banc.
Adossée à la paroi de l'abri, j'attends patiemment en gardant la tête baissée pendant qu'une bande de jeunes garçons se rapproche.
Ils n'arrêtent pas de cracher par terre, ils ont les mains dans les poches et, en général, ils n'ont aucun respect pour qui que ce soit.
Le bus arrive à l'arrêt et j'y monte pour rentrer chez moi. Le groupe de garçons va directement à l'arrière, et je m'assois à l'avant pour les éviter.
En arrivant, j’ouvre avec précaution la porte d'entrée, j'entre avec appréhension et j'avance lentement dans la maison. En passant la tête par la porte du salon, j'aperçois ma mère avec ses amis.
L'un d'entre eux est un vieil homme laid que j'ai déjà vu à plusieurs reprises. Je l'évite systématiquement parce qu'il me fait peur.
Je monte les escaliers en courant, j'entends l'homme crier derrière moi, mais je l'ignore et je claque la porte de ma chambre, la verrouillant derrière moi pour que personne ne puisse entrer.
J’enfile mon pyjama avant d'entendre des craquements dans les escaliers et des coups soudains sur ma porte. Je me bouche les oreilles et m’enroule dans ma couette pour créer l’illusion que je suis en sécurité.
« Hazel, tu ferais mieux de te tirer d'ici tout de suite, ou je jure devant Dieu que je vais te botter le cul et te faire passer par la fenêtre. »
Je ferme les yeux tandis que des larmes chaudes glissent sur mon visage. Mon cœur bat la chamade, mon corps n'arrête pas de trembler, et je me balance d'avant en arrière pour tenter d’occulter tous les cris.
Ce flot constant de hurlements et de menaces, qui me paralyse et me pousse à implorer de l'aide, même si je sais que personne ne m'écoute.
Oh, comme j'aimerais avoir une famille semblable à celle de Chloé, pleine d'amour, d'attention et de générosité. Comme j'aimerais pouvoir m'asseoir et regarder un film avec mes parents comme je l'ai fait lorsque je passais une soirée entre filles avec Chloé et Annette.
J'ai toujours voulu dîner au restaurant ou fêter l’obtention de mon diplôme en famille. Hélas, mon existence se résume à une mère toxicomane et un cœur vide et brisé.
J'entends des pas derrière la porte et j'attends qu'il parte. Je sais que c'est lui. C'est forcément lui, parce qu'il aime me narguer.
Je sors du lit et j'attrape le sac de sport que j'ai depuis environ quatre ans, je fouille dans mes tiroirs et je le remplis d'autant de vêtements que possible.
Ce faisant, je repense au jour où je suis allée faire du shopping avec Annette parce que les vêtements que je portais étaient devenus trop petits pour moi. Je dois ma vie à cette femme.
J’attends que le silence retombe au rez-de-chaussée. Je ne pourrai pas agir avant que tout le monde s'endorme. J'écoute, aux aguets, ma vie dépendant désormais de la réussite de ma démarche.
Je me tiens au bord d'une falaise, et un seul faux pas me fera tomber jusqu'à ce que je m’écrase sur les rochers. J'ai l'impression d'être un personnage de film d’action cherchant à exfiltrer une base ennemie.
Je déverrouille ma porte, me faufile dans les escaliers jusqu'à l’entrée. Je vérifie le salon pour m’assurer que tout le monde dort, et je quitte la maison.
Si je restais ici, alors cet homme irait jusqu'au bout de ses désirs et me ferait subir toutes les atrocités qu'il a énoncées vouloir me faire par le passé. Je ne survivrais pas jusqu’au soir, c'est pourquoi je dois partir d'ici. Question de vie ou de mort.
Je marche sans relâche dans les rues pour rester en mouvement, car je ne peux pas aller dans ma cabane. Il fait bien trop sombre pour me promener seule dans les bois en ce moment, et je mourrais de froid si j'y dormais ce soir.
Je marche pendant des heures, pour maintenir mon corps au chaud jusqu'à ce que l'aube se lève. Je suis gelée. Alors que je marche dans mon pyjama léger, mes mains deviennent rouges et ma lèvre inférieure tremble.
Rien ne peut décrire la douleur que je ressens au bout de mes doigts et de mes orteils. Il faut que je trouve un endroit pour me réchauffer.
Je décide d'aller dans un bar juste en bas de la rue, car la température est inférieure à zéro, et je ne sens plus ni mes mains ni mes pieds.
Je voudrais bien quitter la maison de ma mère, mais je n'ai tout simplement pas les moyens de louer un appartement à Arlington.
Les appartements sont trop chers ici, et j'ai eu beau chercher en ligne une colocation, je ne pourrais même pas payer le loyer d’une chambre sans emploi, bien que j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour en trouver un.
J'ai été refusée à chaque fois que j'ai postulé quelque part. Apparemment, je ne suis même pas assez qualifiée pour faire de la mise en rayon, ce qui est ridicule. Même si je ne suis jamais allée à l'université, certains métiers ne requièrent pas beaucoup de qualifications.
Je bifurque dans l'allée sur le côté du bar, j’ouvre mon sac et j'enfile un pantalon noir et un haut à manches longues par-dessus mon pyjama.
En entrant dans le bar, je fouille mes poches et soupire en me rappelant que je n'ai pas d'argent sur moi. Résignée mais déterminée, je m'adosse au bar et attends le barman qui vient vers moi plus vite que je ne m'y attendais.
« Que puis-je vous servir ? »
« Un verre d'eau au robinet, s'il vous plaît. Merci. » Je lui souris et il me lance un regard compatissant avant de regarder ma tenue et de s'éloigner.
« Bien sûr, mademoiselle. »
Je baisse les yeux sur mes vêtements pour voir si mon pyjama dépasse sous le t-shirt, mais je ne vois rien qui pourrait suggérer que je suis une clocharde.
Il revient vers moi à grandes enjambées assurées, et je baisse la tête vers le comptoir du bar, embarrassée par ma tenue, mais je n'avais pas d'autres options.
« Voilà, mademoiselle. » Il pose une boisson devant moi ainsi qu’un verre d'eau, et je le fais glisser vers lui.
« Non, je ne peux pas prendre ça, ce ne serait pas juste. Je ne l'ai pas commandé. »
« C'est votre verre. Je suis des ordres stricts, désolé mademoiselle. » Mes yeux fouillent rapidement la pièce jusqu'à en faire le tour et que j'atterrisse à nouveau sur le barman.
« Les ordres stricts de qui ? » lui demandé-je. Je suis perdue. Qui pourrait dire au barman de me servir de l'alcool sans que je ne le paie ?
« Je ne sais pas, mademoiselle. Mais ce verre est pour vous », me dit-il, l’air lui-même confus. Mon visage se crispe.
« Vous ne savez pas qui vous donne ces ordres, et vous obéissez quand même ? »
Il hausse les épaules et s'en va, me laissant debout au bar à me torturer les méninges. Des boissons continuent à m'être envoyées, et je les bois une à une.
Je ne les refuse pas, mais je n'arrive pas à comprendre cette situation « tu peux boire de l'alcool et ne pas payer. » Cela n'a aucun sens pour moi. Rien n'est gratuit dans ce monde.
À la seconde où je termine mon verre, on m'en tend un autre. Je me sens assez ivre, et commence à danser sur la piste du club, en bougeant mon corps au rythme de la musique. J'ai laissé mon sac sur mon tabouret, et quand j'y retourne, il se trouve derrière le bar.
Je continue à danser toute la nuit, en buvant verre après verre. Qui n’en ferait pas de même, avec un flux constant de boissons qui lui arrivaient de l'autre côté du bar ?
Je suis en train de danser comme une possédée quand je sens que quelqu'un m'attrape par les hanches et commence à onduler avec moi au rythme de la musique. Je pivote sur moi-même jusqu'à croiser un regard brun, et ma tête se met à tourner.
Je m’ébroue pour chasser la nausée et je continue à danser avec lui jusqu'à ce qu'un bras s'interpose entre nous et m’arrache à lui.
« Qu'est-ce que vous faites ? » Je lève les mains, sur la défensive.