Les Rondeurs de Keily - Couverture du livre

Les Rondeurs de Keily

Manjari

Chapitre 5

Pour son ami Bassanio, un véritable panier percé, Antonio a décidé de signer une caution avec Shylock qui l'obligerait à donner une livre de chair de son corps s'il ne remboursait pas le prêt. Vraiment!

Cette scène me touchait à chaque fois. Ça ne me dérangerait pas de perdre quelques kilos de mon corps, mais là, ça allait un peu trop loin.

Shylock ne plaisante pas avec toi, Antonio! Cet homme te déteste, même s'il a de bonnes raisons pour ça, et tu es trop arrogant pour voir clair dans ses manigances.

Le Marchand de Venise de William Shakespeare.

C'était la pièce que j'avais choisie pour le devoir d'anglais que M. Crones nous avait demandé de rendre avant la fin du semestre.

On était samedi, et je n'avais nulle part où aller, alors j'ai décidé de commencer enfin à travailler dessus, au lieu de tergiverser jusqu'à une semaine avant la date limite.

Je parcourais un résumé de la pièce sur mon ordinateur portable pour me remettre l'intrigue en tête, en levant les yeux au ciel devant la stupidité des personnages.

Je connaissais déjà bien cette pièce, car dans mon lycée précédent, notre professeur avait voulu nous la faire lire pendant les vacances d'été.

Étant une passionnée de littérature, je faisais partie des intellos qui l'avaient effectivement fait.

Cette œuvre de Shakespeare fournissait beaucoup de thèmes politiques sur lesquels je pouvais travailler, comme l'antisémitisme contre Shylock, le pouvoir et la richesse dans la société, la culture des maîtres et des serviteurs, et évidemment, un peu de féminisme avec l'héroïne, Portia.

C'était suffisant pour les cinq mille mots que M. Crones voulait de nous.

Mon téléphone posé à côté de l'ordinateur portable a sonné. J'ai vu le nom d'Addison avant de répondre.

«Salut.»

«Keily, il y a une fête chez Keith ce soir. Sois prête. Je passe te prendre à huit heures», a ordonné ma cousine à l'autre bout de la ligne.

Keith faisait partie de l'équipe d'athlétisme avec Addison, et d'après ce qu'elle m'avait dit, ses parents quittaient la ville la plupart du temps, le laissant organiser des fêtes presque un week-end sur deux.

«Il est déjà six heures, et tu me le dis maintenant!» J'ai regardé la barre des tâches sur l'écran en face de moi.

«Pas moyen que tu me plantes encore. Vous êtes déjà allés manger une glace sans moi», s'est insurgée Addison. «Je ne peux pas croire que j'ai manqué le drame entre Lucas et James.»

Elle avait l'air en colère en disant sa dernière phrase.

Sadhvi et Addison étaient proches, et je me doutais que c'était elle qui avait dû parler à Addison de la prise de bec entre Lucas et James à mon sujet, chez le glacier.

«Il n’y avait rien de sensationnel. Je suis sûre que ça doit aller maintenant.» J'espère.

Le trajet en voiture jusqu'à chez moi avec James s’était un peu mieux passé que celui jusqu'au glacier. Il avait l'air beaucoup moins effrayant. Bon sang, il m'avait même demandé si j'avais aimé ma glace!

Mon simple «Ouais» avait été suivi de sa pique, «Bien sûr que tu aimes manger.» Même de bonne humeur, je pouvais m'attendre à ce que James soit un connard, mais cette fois, sa remarque m'avait paru légère.

J'ai supposé que son changement d'humeur était lié au fait que Lucas ne s'était pas disputé avec lui plus que ça pour me déposer chez moi. C'est vraiment un gamin pourri gâté.

«Qu'est-ce qui s'est passé entre toi, Lucas et James?» a demandé Addison.

«Rien d'inhabituel. En maths, Lucas a pris ma défense quand James m'a insultée.» J'ai baissé le ton, ne souhaitant pas lui raconter tous les détails.

«Mais cette fois-ci, ça a dégénéré un peu trop, donc ils n'étaient pas encore calmés quand nous nous sommes retrouvés chez le glacier.»

«James est une vraie ordure», a-t-elle maudit, ce qui m’a fait glousser tant j'étais d'accord. «Sadhvi m'a dit que Lucas et toi sembliez embarrassés par quelque chose...»

J'ai gémi intérieurement. Sadhvi avait fait en sorte de tout expliquer dans les moindres détails à ma cousine.

Addison était le genre de personne qui écoutait toutes les petites rumeurs, mais qui n'en lançait jamais.

Je lui faisais confiance, alors j'ai fermé mon ordinateur portable et me suis allongée sur le lit avant de commencer à raconter tout l'incident du cours de maths.

«Intéressant, très intéressant», a dit Addison quand j'ai terminé, son ton feignant le sérieux. «Deux jeunes hommes qui se battent pour courtiser notre belle dame.» Elle me taquinait volontairement.

«Ne me fais pas regretter de te l'avoir dit,» ai-je gémi à haute voix.

Addison a ri. «Désolée. Mais je dois admettre que Lucas t'a défendue contre son meilleur ami. James le méritait, il est toujours après toi. Peut-être que ça va le faire réfléchir.»

Ce n'était pas le cas. En fait, j'avais le sentiment que ça allait l'encourager.

«On peut toujours espérer.»

«Tu devrais essayer de frapper James. Ça va sûrement marcher», a plaisanté Addison, et j'ai entendu un bruissement à l'arrière.

«Je dois y aller. Sois prête pour huit heures et habille-toi bien. Qui sait si Lucas a vraiment le béguin pour toi?»

«Addison!» La ligne a été coupée avant que je puisse protester.

J'ai posé mon téléphone et j'ai soupiré. J'ai regardé mon ordinateur portable qui me fixait de l'autre côté du lit. La rédaction devait attendre un jour de plus.

***

Après avoir fouillé dans ma garde-robe pendant au moins une demi-heure, j'ai fini par trouver une robe pour la fête. J'avais des tonnes de vêtements décontractés, mais mon armoire manquait de tenues pour d'autres occasions.

Ce n'était pas comme si j'en avais eu besoin quand j'étais à Remington.

J'ai passé le reste du temps à prendre une douche, à me maquiller, à boucler mes cheveux et enfin à enfiler la robe. J'ai regardé le miroir pour voir le résultat final.

Mon maquillage était léger, mais le rouge à lèvres était d'un rose vif et mat, qui ressortait bien. Mes cheveux noirs étaient bouclés sous les épaules.

La robe noire que je portais m’arrivait à quelques centimètres au-dessus du genou. Elle avait des manches courtes, et épousait ma poitrine avant de se transformer en une jupe fluide.

J'étais consciente de mes cuisses et de mes bras un peu ronds qu'elle laissait apparaître, mais sinon, elle m'allait bien. Et les escarpins argentés que ma mère avait achetés en solde l'année dernière allaient très bien avec.

J'ai pris ma pochette et j'ai filé en bas pour attendre Addison. Après avoir fait autant d'efforts, j'étais gonflée à bloc pour la fête.

Même l'idée d'y voir James ne m'a pas refroidie. Ce n'était pas comme si je devais m'asseoir à côté de lui, comme chez le marchand de glaces.

L'éviter dans la grande maison remplie d'autres adolescents serait relativement plus facile.

«On dirait que tu t'es mise sur ton trente et un», a commenté mon père lorsque je suis entrée dans le salon. Il était en train de préparer le dîner dans la cuisine, qui était ouverte sur le salon.

«À quoi je ressemble ?» ai-je demandé, en souriant et en faisant un léger mouvement de rotation.

«Tu es belle, si belle que j'hésite à te laisser aller à la fête.»

«N'y pense même pas, papa.» Mon sourire s'est effacé.

Il s'est moqué de moi. «Rappelle-toi juste que tu dois rentrer avant...»

«Pas d'alcool, pas de flirt avec les garçons, et appelle-moi immédiatement si quelque chose arrive», ai-je complété. «Je sais.»

«Et reste avec Addison, elle veillera sur toi», a-t-il ajouté avant de se retourner vers la cuisinière.

J'ai froncé les sourcils. «Merci pour ta confiance», ai-je marmonné avec sarcasme.

Malgré cela, j'ai décidé de l'aider à faire de petites tâches en attendant Addison. Dix minutes plus tard, on a sonné à notre porte, et j'ai ouvert la porte d'entrée à une Sadhvi et une Addison souriantes.

Sadhvi était vêtue d'un haut rouge à col en V profond, rentré dans un short en jean. Elle mettait joliment en valeur sa petite silhouette.

Addison portait une robe courte bleu foncé, qui épousait son corps mince et musclé. J'étais sûre qu'elle aurait affaire à beaucoup de garçons qui se disputeraient son attention ce soir.

«Tu es superbe, petite sœur», a dit Addison en me regardant de haut en bas. «On dirait que tu as suivi mon conseil.»

«C’est plutôt toi. Vous êtes si belles toutes les deux.»

«On sait», ont dit gaiement Sadhvi et Addison ensemble, en rejetant leurs cheveux en arrière. J'ai gloussé. Leur confiance n'était pas injustifiée.

Mon père, un tablier noué autour de la taille, a salué les filles. Il s'est assuré de répéter à Addison, encore et encore, de garder un œil sur moi, et elle a hoché la tête à chaque fois avec diligence.

«Allons-y. Nous sommes déjà en retard», nous a rappelé Sadhvi.

Avec un hochement de tête rapide, je me suis retournée et j'ai pris ma pochette, et nous nous sommes précipitées hors de la maison.

«Au revoir, mon oncle!»

«Au revoir, M. Harris!»

«Au revoir, papa!»

Nous avons toutes les trois crié ensemble avant de claquer la porte derrière nous, et de marcher vers la voiture d'Addison.

Sadhvi m'a laissée prendre le siège avant, et s'est installée à l'arrière. Addison a mis la musique et démarré la voiture.

«Tu as l'air prête à sortir avec quelqu'un.» Addison m'a jeté un regard, le visage fendu d'un rictus.

«Tu n'es pas censée m'empêcher de faire ça?» ai-je demandé, et j'ai vu Sadhvi dans le rétroviseur, qui s'est redressée après nous avoir entendues.

«La surprotection des pères envers leurs filles est tellement stéréotypée. Tu ne devrais pas laisser cela t'empêcher d'attirer les garçons», a ajouté Sadhvi en ajustant son haut.

«Regarde-moi, mes parents m'ont littéralement nommée «fille vertueuse». Et laisse-moi te dire que j’en suis loin.»

Addison a acquiescé avec un sourire en coin, regardant son amie dans le rétroviseur. «Très loin.»

Sadhvi a détourné le regard et s'est décalée sur son siège. Son mouvement me rappelait moi-même lorsque je me sentais mal à l'aise ou timide.

«Je ne suis pas intéressée à sortir avec quelqu'un pour le moment», ai-je dit, rompant la tension étrange. «Je veux juste m'amuser et profiter de la fête avec vous, les copines.»

«Mon Dieu, tu es une enfant.» La pétillante Sadhvi était de retour. «Et c'est quelque chose que j'admire.»

«Merci, je suppose.»

La voiture s'est dirigée vers un quartier chic. Mes sourcils se sont levés quand j’ai regardé les belles demeures le long de la route.

«Celle-là, c'est celle de James.» Addison a désigné une grande maison sur ma gauche.

Derrière son grand portail en fer, je n’ai pu qu'apercevoir un jardin massif et une statue blanche immaculée au milieu d'une large allée, qui menait au porche d'entrée éclairé.

Mais c'était suffisant pour savoir que James Haynes était plein aux as. «Je sais, hein? Ma première réaction a été celle-là aussi.»

J'ai fermé la bouche quand j'ai réalisé qu'elle était grande ouverte. «Que font ses parents?» ai-je demandé quand on a dépassé la maison.

«Son père dirige l'entreprise qui lui a été transmise par son père. C'est quelque chose en rapport avec la production de pièces pour les machines du quotidien», a répondu Sadhvi.

«La mère de James est neurologue. Je suppose que cela contribue aussi à leur énorme revenu.»

J'ai hoché la tête. Pas étonnant que James se comporte comme un roi. Il l'était vraiment à un certain niveau.

Une minute plus tard, nous nous sommes arrêtées devant la maison de Keith. Même si sa maison ne rivalisait pas avec celle de James, elle s'intégrait parfaitement dans ce quartier.

Addison a garé la voiture à côté des autres dans l'allée. Il semblait qu'une foule assez importante s'était déjà rassemblée.

«Keith est riche, lui aussi, mais au moins il a une meilleure attitude à ce sujet.» Elle est sortie et nous avons fait de même. La musique a braillé avant même que nous ayons franchi la porte ouverte.

La fête avait déjà commencé.

J'ai vu des visages familiers de notre lycée. Ils riaient, buvaient et dansaient. L'odeur de l'alcool, de différents parfums et de la sueur flottait dans l'air.

J’ai parié que la maison de Keith était spacieuse, mais remplie de tant de personnes, elle n'en avait pas l'air.

«Je vais me saouler cette fois-ci» a crié Sadhvi en regardant Addison. «La dernière fois, j'ai dû conduire ton petit cul ivre chez toi, avec seulement un demi verre d'alcool dans le ventre. Je vais me rattraper.»

«Si tu perds ton sang-froid, je te laisse ici.» Addison a froncé les sourcils. Sadhvi et elle se relayaient pour être la conductrice désignée l'une pour l'autre quand elles allaient à des fêtes. Ce soir, c'était le tour d'Addison.

J'ai souri à leur plaisanterie. Mais il s'est figé quand j'ai bougé la tête et que j'ai vu James sur le canapé. Une fille était assise trop près de lui.

Il buvait une gorgée dans un gobelet en plastique, et hochait la tête à tout ce qu'elle lui disait à l'oreille. Mes yeux ont inconsciemment parcouru sa silhouette.

Il portait une chemise bleu marine dont les trois boutons du haut étaient défaits, et un jean noir. Tout était décontracté mais cher, sans aucun doute, ce qui lui donnait l'air divinement beau.

Lorsque la fille lui a touché l'épaule, il lui a adressé un sourire charmant. J'ai froncé les sourcils. Son côté diabolique m'était donc réservé, alors que les autres jolies filles avaient droit à ses charmes de garçon. Connard!

J'ai secoué la tête intérieurement, et j'ai décidé de disparaître de sa vue. J'étais heureuse et pas d'humeur à me laisser abattre par ses remarques grossières. Mais avant que je puisse faire un seul pas, ses yeux m'avaient trouvée.

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